• * Page souvenir - Noël BERRIOT - Ancien du B.M.5 - 1ère DFL


    Nouvel extrait du livret des mémoires de Noël BERRIOT

    18 juin 1945

     

     

     

    Noël BERRIOT - ancien du B.M.5 - 1ère DFL 

    Recueillies par Christine MOUTTE 

     

    18 juin 1945 :

    PARIS - défilé sur les Champs-Elysées

     

    De Juan-les-Pins, on nous a remontés en camions jusqu'à Paris pour défiler le 18 juin 1945 sur les Champs-Elysées. On défile devant De Gaulle et le Sultan du Maroc avec toute sa garde, le sabre au clair sur leurs chevaux. 

    *

     (Photo 1ère DFL)

    Défilé le 18 juin 1945 sur les Champs-Elysées

     

    On porte le pantalon d'uniforme kaki avec la chemise aux manches retroussées et au col ouvert avec la Croix de Lorraine sur le côté et la médaille du BM5 sur le devant, le calot bleu marine avec l'ancre de marine. 

    Devant nous défilent les chasseurs alpins qui marchaient à toutes pompes. Nous, on défile sur 12 de front, c'est beaucoup. Et arrivés devant la tribune, on ne se partage pas en deux. Comme la Légion, quand on défile, on ne se partage pas en deux. On reste toujours soudés. Celui qui était du côté qui tourne, il marchait trop vite, alors moi quand il a fallu tourner tous en ligne, avec mes petites pattes pour faire le tour!!! Derrière nous défile la Légion étrangère qui avait sa musique. Nous, on n'avait pas de musique, on n'arrivait pas à marcher au pas, alors on comptait "Un, deux, un, deux". Tous, on comptait. 

     

    Région parisienne :

    Dampmart  près Lagny-sur-Marne / Fort Neuf de Vincennes

     

    En arrivant de Menton, on reste 6 mois en région parisienne :

    3 mois à Dampmart, à côté de Lagny-sur-Marne, et 3 mois à Vincennes.
     

    Dampmart 

    Avant de monter en caserne au Fort Neuf de Vincennes, quand on est à Dampmart, là, on me vole le contenu de ma valise rangée à la tête de mon lit. On me laisse juste un passe-montagne et une paire de ciseaux. Ce qui les intéressait surtout, c'était mon linge de corps, mes mouchoirs. Les gars fauchaient tout ça pour les vendre. On me vole aussi ma tenue que j'avais bien mise en dessous de ma paillasse pour qu'elle soit bien repassée et donc, je n'ai plus que mon treillis. En treillis, je ne peux que monter la garde à la compagnie, mais je ne peux plus monter la garde au bataillon, car il me faut ma tenue. Alors pour remplir de nouveau ma valise, j'ai ramassé les chemises que les gars n'avaient pas le courage de laver et ils s'en débarrassaient, c'était des fainéants, et je les ai lavées pour moi

    A Dampmart, je reste environ 3 mois. On va danser dans les guinguettes, ou on va valser à l'Hôtel de Ville de Lagny où il y avait souvent des bals. On ne peut pas entrer si on a des souliers à clous, sinon ça pourrait rayer le parquet, et on doit aussi laisser notre capote en bas. 

    *

     

    (Photo Wikipédia)

    Hôtel de ville de Lagny-sur-Marne.

    Deux gars qui étaient bourrés, l'un caporal et l'autre caporal-chef, font le bazar dans un cinéma et se font sortir par les flics. Les gars crient : "Berriot, viens nous donner un coup de mains". Je me retourne, j'ai 2 flics derrière moi, un qui a sorti un nerf de boeuf, l'autre qui a sorti le pétard. Je leur dis :"Mais qu'est ce que vous faites là avec ça? votre arsenal là, c'est en Alsace qu'il aurait fallu sortir ça avec nous! Alors maintenant, toi tu poses ton pétard et toi tu poses ton truc, et venez, venez, on va s'expliquer!" J'étais tout seul, un gamin de 21 ans devant deux hommes armés. Ils n'ont pas bougés, ils sont restés tête basse, comme deux gars qui ont honte 

    A Dampmart, on avait faim, on voit des pancartes : "Donnez pour nos soldats qui ont tellement combattu". A Vincennes, on a encore eu plus faim qu'à Dampmart. Au début, on a crevé de faim parce que la guerre était finie, donc on ne recevait plus les rations américaines, on mangeait du chou tous les jours, on n'avait rien à bouffer. 

    A Dampmart, on recherche des cuistots, je me propose. Je me dis qu'au moins je vais pouvoir casser la croûte. On fait un feu à l'extérieur et on réussit à faire chauffer des lessiveuses qu'on pose sur des cailloux pour faire du feu en dessous. Et on arrive à faire à manger comme ça. La France avait été vidée, il n'y avait plus aucun équipement militaire ; pendant leurs quatre années d'occupation les Boches avaient tout fondu pour faire de l'armement. Plus de cuivre, plus de laiton, c'était pour faire des cartouches. Les cloches des clochers avaient été embarquées pour être fondues. 

    On se mettait dehors pour faire la corvée d'épluchures et les autres devaient participer, mais il y avait des "messieurs" qui ne voulaient pas faire de pluches. Ceux qui ne faisaient pas de pluches, je ne leur donnais pas à manger et je leur disais : "Quand t'auras fait ta gamelle de pluches, je te donnerai ta ration". 

    Avec un copain breton, on était tous les deux cuistots. On décide de dormir dehors sous une tente qu'on monte pas loin de la cuisine, comme ça on peut avoir un oeil dessus. Parce que sinon, on est logés dans une école avec au moins une trentaine de gars par pièce, tous sur des paillasses par terre, on n'avait pas de lit, on est tous les uns sur les autres.

    Je pars en perm pendant un certain temps et à mon retour, ma place de cuistot est prise. On veut me mettre au mess des officiers, mais finalement je n'y vais pas parce qu'on me considère comme une tête de con qui va envoyer chier tout le monde.

    Pour le ravitaillement en vêtements, on doit aller à Meaux. Je ne regrette pas de ne plus être cuistot parce que le cuistot ne peut jamais sortir comme les autres copains. Le cuistot n'a pas besoin de demander de perm de spectacle, il peut sortir toute la nuit s'il veut parce qu'il travaille. Mais tu tombes jamais en même temps que les autres. S'il y a un bal, toi le cuistot, t'arrives qu'après, c'est comme ça. 

    A Dampmart, j'avais mon copain CHAUVIN qui devait être déjà caporal parce qu'il avait déjà fait le peloton (école de formation pour ceux qui veulent devenir gradés), il travaillait dans les bureaux.

    - "Allez Noël, tu veux une perm pour aller voir ton père?

    - Oui, je veux bien.

    - Je vais te faire une perm exceptionnelle de 3 jours, c'est moi qui suis le chef, le lieutenant  est parti.

    - Et si je reviens et que vous n'êtes plus là, comment je fais moi?

    - Mais ne t'en fais pas!"

    Perm exceptionnelle de 3 jours! Berriot le voilà parti en perm. Je partais en train avec mon autorisation de perm et j'allais voir mon père qui était à Saint-Erme chez ma soeur Margueritte. Par la gare du Nord, j'arrivais à Laon, mais pour les 22 bornes qui restaient jusqu'à Saint-Erme, il n'y avait pas toujours de correspondance, c'était difficile comme tout. Alors je préférais passer par Reims, c'était plus facile car le train passait plus souvent. J'ai eu au moins 3 ou 4 perms comme ça! Avec une perm, c'était quand même plus facile. Parce que ça, je l'ai fait aussi sans perm.

    Stage 

    Avant de rejoindre Vincennes, j'ai occupé les fonctions de caporal lors d'un stage d'anti-char à Saint-Germain-sur Morin, près de Dampmart. J'avais toute une équipe avec moi et le sergent qui était avec moi me dit : "Moi l'anti-char, je n'y connais rien du tout, alors Berriot, tu te démerdes". On était dans une pâture, on dormait sous la tente, on faisait des manoeuvres. D'autres étaient partis en stage : les mortiers, la mitraille...

     
    Fort Neuf de Vincennes 

    *

    (Photo Généanet) 

    Caserne au Fort Neuf de Vincennes.

    Autres photos au Fort Neuf de Vincennes.

     

    * Page souvenir - Noël BERRIOT - Ancien du B.M.5 - 1ère DFL

    Septembre / octobre 1945 
    Fort Neuf de Vincennes de gauche à droite :

    Noël BERRIOT, Maurice LEFEVRE, Henri JORE,
    (tous de la même section anti-char du BM5)

    * Page souvenir - Noël BERRIOT - Ancien du B.M.5 - 1ère DFL

    Septembre / octobre 1945
    Fort Neuf de Vincennes

    2ème debout en partant de la gauche : Etienne DULOQUIN du BM5

    4ème debout en partant de la gauche : Noël BERRIOT du BM5

    (Il reste des soldats à identifier, si vous reconnaissez des personnes
    veuillez contacter le blog) 

     

    Quand on était à Vincennes, avec Maurice LEFEVRE, on n'avait rien à manger, on voulait aller chercher des patates dans notre village, alors on s'est barrés tous les deux. Pour passer le poste de garde, on s'est tapis au fond du camion, le samedi. Pour LEFEVRE, c'était plus facile car il était de Laon. Mais moi qui suis d'un petit village, pour rentrer le lundi, c'était plus difficile pour rejoindre une gare. Alors j'en parle à ma petite voisine de Ramecourt :

    "- Je sais pas comment je vais regagner là-haut !

    - Ne t'en fais pas, je vais demander à Papa, il travaille à Laon, il remonte là-bas en moto,
    il t'emmènera."

    Heureusement, il a bien voulu. Parce que pas de vélo. Autrement, j'aurais dû faire les 22 bornes à pied... il aurait fallu que je parte de bonne heure! 

    A Vincennes, il y a 3 appels par jour et s'il manque des personnes à l'appel, il y a un contre-appel, un peu après l'appel. Avec LEFEVRE, on est rentrés le lundi à 13h, alors qu'il y avait déjà eu des contre-appels à cause de nous, et depuis le samedi, on cherchait après nous. Fallait plus beaucoup de temps pour qu'on soit considérés comme déserteurs.

    On est arrivés juste pour l'appel de 13h du lundi. L'appel ne se faisait pas par ordre alphabétique. On appelle :

    - "Lefevre?

    - Présent!

    - Sortez des rangs!"

    Arrive mon tour :

    - "Berriot?

    - Présent!"

    Et il continue l'appel. J'ai rien eu. Mais LEFEVRE, il a eu des jours de taule parce que lui, il se barrait souvent. 

    A Vincennes, je suis rentré aux chauffeurs sur des camions 6x6, j'ai tout de suite été pris comme chauffeur. On faisait du ravito dans Paris, on allait chercher du charbon. Nous, on réussissait à avoir plus de charbon que les autres. Quand on chargeait le charbon dans les camions, on relevait les banquettes ; en dessous des banquettes, ce sont des coffres, on chargeait le camion et on remplissait les coffres. On refermait et ça ne se voyait pas. Nous au moins, on avait du chauffage. 

    Je voulais passer mon permis de conduire, je l'ai eu début 1946. Mais je ne l'ai pas eu du premier coup. Parce que les gars qui passaient avant moi ne disaient rien de comment ça se passait. Le lieutenant DULAU, il l'avait fait exprès, il avait tellement serré qu'il avait bloqué le frein à mains ; alors au départ, les gars passaient une vitesse et essayaient d'avancer en lâchant un peu la pédale et en desserrant le frein à mains, mais ils calaient le moteur. "Descendez!" Un autre montait, il essayait. "Descendez!" Quand vient mon tour, je me fais avoir comme les autres. "Descendez !" Alors, je l'ai dit aux autres qui sont passés après moi : "Avant de passer ta vitesse, débloque déjà un peu le frein à mains". Et tous les autres ont eu leur permis. Et moi, j'ai dû le repasser après. 

    A Vincennes, on logeait dans les casernes du Fort-Neuf, on dormait dans des dortoirs sur des lits superposés, c'était plein de rats. C'était dégueulasse. Dès qu'on éteignait la lampe le soir, on les entendait, c'était la cavalerie! Autour des cuisines, c'était plein de rats. On en voyait même sur les avenues. 

    Et il y avait des gars qui étaient plein de poux. Un copain de Reims m'appelle et me montre un sergent en train de faire sa lessive dans une bassine : le dessus de l'eau de la bassine était couvert de poux. Il me dit de faire gaffe de ne pas laver mon linge derrière ce coco là.

    On nous donnait de la poudre DDT, j'en avais mis plein mes couvertures, ce n'était pas sain, mais au moins j'avais pas de poux. 

    Les matelas étaient en paille, parfois c'était de la paille dans des espèces de paillasse à claire-voie, toute la paille passait au travers. Y'avait rien, on était logés comme des cochons. On n'avait plus rien, tous les équipements avaient été pillés par l'occupant. 

    On recevait une solde : quand on montait au front, on recevait 1 200 francs et quand on ne montait pas au front, c’était 850 francs. Pour se faire tuer, on était payés plus cher. Après l'Armistice, on n'avait plus de solde. On était engagés pour la durée de la guerre, la guerre était finie, ils ne nous ont plus payés. Avec tout ce que j'ai fait, j'aurais dû avoir la Croix de guerre avec palmes, je l'ai pas eu, j'étais jeune, je m'en suis pas occupé, et voilà. 

    On avait une compagnie disciplinaire, pour ceux par exemple qui sont partis sans perm ou qui ne sont pas rentrés, on te fout en taule là-dedans. Ils les faisaient dormir sur le bord de mer sans couverture, et gardés par la Légion! Ceux qui étaient là, ils en chiaient! 

    Des anciens de la 1ère DFL débarqués dans le Var et qui se sont battus au mont Redon (Page 3), ils disaient en voyant les gens : "C'est pour ça qu'on est venus là? t'as vu, c'est pour ces gens-là qu'on est venus là? c'est pour eux qu'on a fait tout ça?" Tout le monde se baignait, pour eux ce n'était pas la guerre. Quand on était passés à Baccarat, on a eu cette impression là aussi : toi, tu vas te faire casser la gueule, et puis les autres, ils vont au bal et au cinéma. Ils ne se sont pas engagés eux, ils n'ont pas été cons. Nous, on s'était engagés, on était là, on n'avait qu'à fermer notre gueule. Et puis c'est tout. Y'en a qui gueulaient parce qu'on manquait de plein de choses, on n'avait pas un armement extraordinaire, c'était des fusils, c'est tout ; ensuite, on a eu des mitraillettes qui gelaient ; on ne nous a pas donné de snow boots - que tardivement, c'était les Américains qui les avaient. Y'en a qui regrettaient. Je leur répondais qu'il ne fallait pas s'engager, et c'est tout. Moi ça faisait longtemps que j'avais fait la part des choses. 

    Avec mes chefs, je n'ai jamais eu de bons rapports, j'étais un peu tête de bois, je faisais un peu comme je voulais, mais je n'ai jamais été en taule. J'ai pas eu peur, j'étais relax. Même quand c'était dur, pas une seule fois, je n'ai pensé à abandonner. 

    Toi, tu as eu de la chance? 

    Oui, beaucoup. Mais tu sais, il faut être courageux dans la vie et moi, c'est ça qui m'a sauvé. Je me suis bien débrouillé. C'était dur quand même...

    *

    Oncle Noël veut se bagarrer...

    (Photo Christine Moutte)

     

    Noël BERRIOT est décoré de :


    - la Croix du Combattant
    - la Croix du Combattant Volontaire de la guerre 1939/1945
    - la médaille de la Reconnaissance de la Nation avec barrette

     

    Faire-part du décès  - 4 septembre 2018

    1ère page souvenirs - 1er avril 2020

    2ème page souvenir - 17 janvier 2021

    3ème page souvenir - 20 avril 2021

    4ème page souvenir - 25 juillet 2021

     

     

    Fondation B.M.24 Obenheim            

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Gilles Méhaut
    Samedi 13 Novembre 2021 à 23:34

    J’adore ce gars là !

    Habitant Lagny sur Marne, j’ aurai toujours une pensée pour lui  en passant devant l’ Hôtel  de ville…

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