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* Histoire des SPAHIS de la France Libre - 3/3 : Le 1er RMSM de la campagne de Tunisie à la 2e DB (Mars-Octobre 1943)
La Campagne de Tunisie
Le 26 février 1943, la Colonne volante franchit la frontière tunisienne et va bivouaquer pendant quelques jours à BEN GARDANE pour remettre son matériel en état avant d'être engagée. Pour la plupart des spahis c'est le premier contact avec une terre française depuis près de trois ans mais ce contact est un peu décevant.
Un calot rouge : « La population indigène nous regarde avec indifférence. La seule chose qui semble l'intéresser c'est la quantité de thé qu'il est possible d'obtenir de nous en échange de quelques œufs ou d'un poulet rachitique. La guerre n'intéresse les Tunisiens qu'autant qu'elle constitue une source de profits. Grâce aux échanges ou à la rapine ou à d'autres actions plus dangereuses mais aussi plus lucratives : on trouve sur les pistes des tellermines ou des mines de bois posées de nuit par des mains inhabiles mais intéressées.
À BEN GARDANE, il n'y a pratiquement pas de Français. Seuls deux officiers des affaires indigènes viennent nous voir, plutôt en curieux qu'en camarades, heureux de trouver des compagnons qui ont eu la chance de combattre. Ils sont affublés de casquettes et pattes d'épaules brodées d'or qui leur donnent un vague air d'officiers italiens endimanchés".
Les spahis vont alors s'illustrer lors des combats face aux hauteurs de MATMATA près de MEDENINE. L'arrivée de la Force L du général Leclerc en provenance du Tchad fait que, rapidement, le 12 Mars, la Colonne volante y est incorporée, et va effectuer avec elle la campagne de Tunisie.
Début mars 1943, la Colonne volante comprenant toujours le 1er RMSM et la 1ère Cie de chars français Libres se trouve dans le sud tunisien entre MEDENINE et FOUM TATAOUINE.
Le dispositif allié installé face à la ligne MARETH décrit un arc de cercle de la mer au kilomètre g de la route Medenine-Foum Tataouine ; entre la gauche du dispositif allié et la position occupée par la Colonne volante il existe un trou d’environ 10 km.
Le général MONTGOMERY attend une contre-offensive de ROMMEL et craint une tentative ennemie de débordement de sa position par le Sud.
Il donne en conséquence au commandant de la Colonne volante l’ordre d’arrêter à tout prix toute progression ennemie, soit en la maintenant de face, soit en la contre-attaquant dans le flanc. Il insiste particulièrement sur l’importance de cette mission.
Général Montgomery
Le 3 mars, la Colonne reçoit pour mission de relever un escadron du King Dragoon Guard stationné dans la vallée de l’OUED GRAGOUR et de patrouiller vers l’ouest dans les vallées pénétrantes du MATMATA.
Résumé des opérations de MEDENINE du 6 Mars 1943
Le 6 mars à 6h30, les deux pelotons d’AM qui verrouillent les débouchés Est des oueds TEMZAIET et EL KHEIL signalent des bruits de chars vers le fond des vallées. A 7h30, le premier contact est pris avec de fortes colonnes blindées ennemies. Les deux pelotons d’AM mènent le combat retardateur pendant que le gros de la Colonne volante alertée se porte aux emplacements de combat.
Au moment où le gros des forces ennemies débouche dans la plaine, 3 pelotons d’auto-canons sont en position sur un front de trois kilomètres, entre la sortie de l’OUED GRAGOUR dans la plaine et la route de MEDENINE à FOUM TATAOUINE. Ils prennent sous leurs feux les véhicules ennemis, en détruisent plusieurs et mettent le désordre dans les colonnes. La Compagnie de Chars et prête à contre-attaquer.
La progression ennemie est ralentie et arrêtée à hauteur de la route de Medenine. L’ennemi hésite à s’engager plus à fond en laissant derrière lui une force qu’il semble d’ailleurs surestimer. Ses tentatives de rejeter la colonne volante vers le Sud échouent. Il lance alors dans le flanc ouest de la Colonne volante une attaque d’un bataillon d’infanterie qui progresse par la montagne. Devant cette menace, la Colonne volante se regroupe à proximité immédiate de la route de MEDENINE qu’elle continuera à interdire à l’ennemi jusqu’au soir.
Cette opération a coûté au 1er RMSM 4 auto-canons et 6 AM et 4 chats à la Cie de Chars. Elle a permis d’infliger à l’ennemi des pertes sévères : 22 véhicules dont la moitié blindés.
Le commandement britannique a manifesté sa reconnaissance en attribuant la Distinguished Services Order au commandant du RMSM, la Military Cross au commandant de l’escadron d’autos-canons.
Un calot rouge : « Le lendemain, 7 mars, nous apprenons que l'attaque de ROMMEL a été repoussée partout. Les pertes allemandes ont été particulièrement élevées devant le secteur de la 201e brigade de la garde, où les Panzer Division en perdirent près de 50 chars.
La Colonne Volante compte à son tableau de chasse 23 pièces dont deux automoteurs de 75 PAK et trois A.M. Elle-même perdit dans le combat quatre A.M., deux A.C. et quatre chars dont deux par accident mécanique. Les pertes en hommes sont de quatre tués, six blessés et 14 disparus. Parmi ces derniers, 12 appartenaient au peloton de l'aspirant C... qui, dès le début de l'action, isolé dans une vallée, fut coupé du reste de la colonne. Deux jours plus tard, l'aspirant C... nous rejoint ramenant avec lui trois de ses hommes, dont un blessé. Nous apprendrons ainsi que le groupement qui nous était opposé était le groupe de reconnaissance Kiel, notre vieille connaissance d'EL HIMEIMAT.
Vers midi, la liaison est prise avec le groupe de reconnaissance de la 2e division néo-zélandaise à BiIR AHMAR. L'ennemi s'est replié, mais avant de se retirer il a eu le temps de semer des mines un peu partout. Nous perdons encore un auto-canon et deux hommes blessés, dont le maréchal des logis V..., qui la veille détruisit une A.M. allemande en tirant sur elle à 100 mètres, le dernier obus de son coffre". (1)
Fusion de la Colonne volante avec la Force L
Le 12 mars 1943 la Colonne Volante reçoit l'ordre de rejoindre la force L..., venue du Tchad sous les ordres du général Leclerc à KSAR KHILANE.
Elle participe dès lors avec la Force L à toutes les opérations que cette formation effectue pendant la campagne de Tunisie, et prend une part particulièrement importante à l’occupation d’EL ORTID le 18 mars 1943 ; l’enlèvement du col du Borg FEDJEID le 7 avril, l’occupation de MEZZOUNA le 9 avril et les opérations autour du djebel FADDALOUN du 12 au 16 avril 1943.
L’ensemble de ces faits d’armes figurent sur l’emblème du RMSM sous le nom de « Tunisie 1943 ».
Avec la Force L
« Le 15 mars, la Colonne Volante rejoint KSAR RHILANE. En cours de route le général de LARMINAT vient nous voir et s'entretient avec nous du passé et de l'avenir. Il nous parle de l'état des esprits en A.F.N. et des difficultés qu'il prévoit avant la réalisation de la fusion de toutes les forces françaises ayant repris les armes contre l'ennemi.
Cependant le général Montgomery prépare un nouveau « left hook » (crochet du gauche). La 2e division néo-zélandaise et la 8e brigade blindée se massent entre le Grand Erg oriental et les contreforts du djebel MATMATA, un peu au sud de KSAR RHILANE. La force L... doit préparer le débouché des Néo-Zélandais en s'emparant de la colline d'EL OUTID qui domine un oued particulièrement difficile à franchir. Il faut aménager des passages pour permettre la circulation de quelque 5.000 véhicules qui vont être engagés.
Toute la Colonne Volante participe à cette opération. Elle est appuyée par des éléments de la force L... ; les unités franchissent le ravin dans la nuit, après que les sapeurs eurent déminé le lit de l'oued. La colline est largement débordée par l'Est et par l'Ouest. Un léger accrochage se produit vers 6 heures du matin avec un élément blindé ennemi venant de la direction de BIR SOLTAN. À 7 heures EL OUTID est occupé par les chars de la compagnie Divry ; ceux-ci sont bientôt relevés par l'infanterie de la force L...
Les seules pertes que nous avons à déplorer sont celles du lieutenant C... et de trois spahis de l'atelier du 1er R.M.S.M. Une A.M. s'étant trompée d'itinéraire dans l'obscurité a sauté sur une mine. Le lieutenant C... chef du service auto du régiment, voulant remettre le plus rapidement possible le véhicule en état, partit dans la nuit pour le reconnaître. Une mine « S » explosa, le tuant net ainsi que les trois spahis qui l'accompagnaient.
Le surlendemain, 20 mars, le 1er R.M.S.M. les enterre au pied d'EI Outid. Une messe est dite par le Révérend Père FINET, aumônier de la Colonne Volante. Tous les spahis sont présents et très nombreux communient en cette veille de nouveaux combats.
En effet, c'est ce jour même que le général Freyberg, commandant le corps d'armée néo-zélandais, lance son attaque en vue de déborder par l'Ouest la position de MARETH. Quelques minutes à peine après la fin de la cérémonie, les premiers chars néo-zélandais passent près de nous. Le général Freyberg est assis sur l'avant du char de tête. En passant il nous adresse des gestes amicaux.
La force L a pour mission initiale de couvrir le flanc Est du corps d'armée néo-zélandais barrant les pistes du massif des MATMATAT qui descendent vers l'Ouest. La Colonne Volante est chargée de celle qui relie BENI-KREDACHE à BIR SOLTAN.
L'attaque menée par le 30e corps d'armée, le long du littoral échoue. Partout ailleurs la VIIIe armée marque des points. La 4e division indienne pénètre dans les massif des Matmatas et le commandant d'un bataillon Gourkhas envoie ce compte rendu resté célèbre dans la VIIIe armée : « Objectif atteint -stop - Pertes ennemies : 30 tués, 50 prisonniers - stop -nos pertes : néant - stop - munitions dépensées : néant - Fin ». L'attaque a été faite au couteau...
La menace qui aurait pu s'exercer sur le flanc droit du corps néo-zélandais disparaît. Tout le dispositif se reporte vers le Nord, mais sa tête est arrêtée par le large fossé antichars qui barre la plaine entre le djebel TEBACA au Nord et le djebel MELAB au Sud et interdit toute progression blindée vers El HAMMA et GABES. Le général LECLERC s'empare, avec l'infanterie de la force L..., de la position du djebel MELAB et permet ainsi de déborder l'obstacle qui s'oppose à la progression.
Le général MONTGOMERY renforce le corps néo-zélandais en lui envoyant les lère et 7e divisions blindées et une bataille confuse de chars s'engage entre ces deux divisions et les 15e et 21e Panzer.
Pour la première fois dans l'histoire des opérations au désert, la R.A.F. participe directement au combat en attaquant les chars allemands sur le champ de bataille même. La Colonne Volante assiste de loin à ces engagements car elle a toujours pour mission de couvrir le flanc Est des Alliés.
Quelques mouvements suspects de camions sont observés sur notre droite et un Conus Gun ouvre le tir en mettant en feu un des camions néo-zélandais et -comble de malheur, c'est le camion popote d'une des brigades qui a été touché. Des Néo-Zélandais viennent examiner de près l'engin qui a causé cette perte et admirer la précision du tir exécuté à plus de 800 mètres. Faisant preuve d'esprit sportif bien britannique, ils reconnaissent que l'incident est dû à une erreur d'itinéraire de leur part et sont tout prêts à arroser l'événement. Hélas, la réserve de whisky se trouvait précisément dans le camion qui flambe. On se quitte néanmoins bons amis.
Conus gun
Par les pistes défoncées, au milieu de carcasses de chars brûlés, la force L... et la Colonne Volante progressent vers l'Est. Elles bivouaquent dans la nuit du 28 au 29 mars près de QUATTANA et nous apprenons là, la prise de GABES où nous devons stationner pendant quelques jours en attendant le regroupement de la VIIIe armée, avant l'attaque de la position de l'oued AKKARIT. Le franchissement de l'étroit goulot qui s'étend entre la mer et le chott EL FEDIEDI livrera à la VIIIe armée l'accès de la Tunisie centrale et nous permettra enfin de réaliser la jonction avec les forces franco-anglo-américaines qui viennent d'Algérie.
Pendant le séjour près de la ville, nous entrons pour la première fois en contact avec la population française de Tunisie. L'accueil que celle-ci nous réserve est magnifique. Les spahis, les Marocains, les Chasseurs, les sous-officiers, les officiers connaissent la griserie de l'enthousiasme populaire.
Pour ces enfants, que personne ne traite de prodigues, on tue le veau gras qui se réduit d'ailleurs à un poulet dont la coriacité témoigne de l'esprit de résistance. De derrière les fagots sortent les bouteilles échappées aux fouilles des Allemands et des Italiens. Le conseil municipal, ressuscité, reçoit le général LECLERC et les principaux officiers de la force L... et la Colonne Volante. Pour la première fois depuis bien longtemps nous voyons sur la table des bouteilles de Heidsieck extra-dry. Ce devait être un tour de force que de trouver ce Champagne après quatre ans de guerre et cinq mois d'occupation.
À l'église de Gabès, une messe d'action de grâces est célébrée à l'occasion de la libération de la ville.
Le général LECLERC assiste à cette messe entouré de ses officiers et des notabilités de la ville. Une foule énorme se presse dans la nef et déborde sur la place. L'aumônier du bataillon d'infanterie de marine et du Pacifique prononce un sermon dont le thème est ce cri du Christ :
« Mon Père, faites que nous soyons Un. Oui, Mon Dieu, faites que nous soyons unis pour la même cause pour laquelle nous luttons chacun de notre côté, faites que cessent les jalousies mesquines, les soupesages sordides de grades et de mérites.»
La sortie de l'église s'effectue aux cris de : « Vive de Gaulle ! » et « Vive Leclerc ! » et le général a quelque peine à fuir l'enthousiasme populaire.
Les engagements sont de plus en plus nombreux et nous comblons rapidement les vides creusés par les derniers combats. Il était temps car à la Colonne Volante, le commandant a été obligé de refuser, faute d'équipage à y mettre, une partie du matériel que les Britanniques lui avaient offert pour remplacer celui détruit au combat.
Un groupe de charmantes jeunes femmes, épouses des officiers de la garnison partis avec leurs troupes rejoindre les forces de l'A.F.N., s'attache à rendre notre séjour à Gabès le plus agréable possible.
Chaque jour c'est un déjeuner, un thé, un bridge, tantôt dans l'une, tantôt dans l'autre, des maisons vite devenues amies. Nous nous rendons compte de ce que le moindre gâteau, la moindre tasse de thé représente d'ingéniosité de la part de la maîtresse de maison et aussi de privation pour les jours à venir. Le charme simple et plein de sensibilité de ces femmes nous a tous conquis et nous voudrions partager avec elles nos rations, mais elles les refusent avec gentillesse, mais aussi avec fierté. Avec l'intuition propre à leur sexe, elles ont compris que la raison est de notre côté et par leur attitude à notre égard elles semblent chercher à nous faire oublier toutes les injustices et calomnies dont nous avons été abreuvés.
Tous ceux qui les ont connues garderont un souvenir fait de reconnaissance et d'émotion de ces réceptions qui ont permis aux sauvages du désert de goûter au charme de la vie civilisée et à la douceur de la présence féminine.
Mais l'heure de nouveaux combats approche. Le 5, nous assistons nombreux à un thé bridge que nous savons devoir être le dernier. En les quittant nous disons un simple au revoir à nos charmantes amies, alors que nous savons très bien que notre séjour à GABES est terminé et que peut-être nous ne les reverrons jamais. Mais nous avons pris le pli de l'armée britannique « Don't Talk ». D'ailleurs à quoi bon parler du lendemain. Cette nuit à 3 heures, les tirs de préparation de l'artillerie de la VIIIe armée diront bien à toute la population de Gabès que les calots rouges, les bérets noirs et les calots bleu marine sont partis vers leur destinée.
Le 6 avril, au lever du jour, la Colonne Volante reprend sa place habituelle à l'extrémité de l'aile gauche de la VIIIe armée. Des patrouilles sont envoyées vers le col du Bordj FEDJEDJ où elles accrochent une résistance ennemie. Le soir, le col est enlevé. Il était tenu par 117 Allemands dont deux feldwebel. Les officiers avaient reçu l'ordre de quitter la troupe et de se replier en auto vers le Nord. C'était tout ce qui restait du Kampfgrupp-Muller, arrivé en Libye du front oriental trois mois plus tôt à l'effectif de près de 800 hommes. Au cours d'un interrogatoire, l'un des feldwebel s'écrie :
« Il n'y a plus d'armée allemande. Elle est morte en Russie ».
Avant de reprendre notre progression, il faut déminer un passage et combler le fossé antichars qui barre l'accès du col. Les prisonniers sont employés à ce travail. Ils l'exécutent avec une discipline et une aisance qui frappent nos hommes et les obligent à reconnaître que nos adversaires sont de splendides soldats.
Le 7 avril, toute la force L... se porte vers le Nord, en direction de MEZZOUNA et de MAKNASSY, flanc gardant le gros de la VIIIe armée qui, par la route côtière, progresse vers SFAX.
Le 8, Mezzouna est occupée après un court engagement livré par un des détachements de la Colonne Volante à l'arrière-garde ennemie. La progression continue et vers 10 heures nous recevons deux ou trois obus qui viennent de notre gauche.
Sur les crêtes, dans la même direction, on aperçoit quelques silhouettes se profilant sur le ciel. Bien que ces hommes soient coiffés d'un casque rond, leur attitude n'est pas celle des Allemands. Ceux-ci en effet ne pitonnent pas et leur camouflage est toujours parfait. Une patrouille avance prudemment, sans tirer, pour prendre un contact plus étroit. Le mystère est rapidement éclairci. Ce sont des Américains du 3e corps d'armée U.S. qui viennent de GAFSA.
Sans perdre notre temps à nous congratuler de la liaison enfin réalisée, nous poursuivons notre chemin. Vers 15 heures, nous nous heurtons à quelques chars Tigre qui livrent un combat retardateur, sans d'ailleurs nous causer aucune perte.
Le lendemain, le mouvement est repris et nous franchissons la route SFAX-SBEITIA. Le 30e corps d'armée britannique entre le même jour à Sfax et tout le dispositif s'arrête quelques jours sur la ligne atteinte".
De Kairouan au Dhebel Zaghouan
Le 10 avril, une forte reconnaissance aux ordres du capitaine Morel-Deville est envoyée en direction de KAIROUAN. Elle pénètre dans cette ville dans l'après-midi, en même temps que les premiers éléments américains. L'accueil qui lui est fait par la population française est délirant.
"Le lendemain, toute la force L... se porte sur KAIROUAN, dépasse cette ville et entame une manœuvre en vue de déborder SOUSSE par le Nord. La Colonne Volante constitue l'avant-garde de la force L.... A peine nous avons commencé à tourner la Sebkhia de SIDI EL HANI que nous recevons la nouvelle de la chute de SOUSSE et en même temps l'ordre de nous porter sur ENFIDAVILLE.
Le mauvais terrain nous oblige à rebrousser chemin jusqu'à KAIROUAN pour prendre la route nationale qui mène à Enfidaville.
Le temps est délicieux. Les récentes pluies d'hiver et la tiédeur du printemps ont transformé les terres incultes en prairies. Les jonquilles, les coquelicots et les asphodèles tissent sur le fond vert des arabesques de tapis d'Orient. Du haut de nos tourelles, nous contemplons ce spectacle qui ravit nos yeux habitués à la fauve aridité du désert. Nous comprenons l'émerveillement de Si Okba et de ses compagnons qui, 12 siècles avant nous, firent le même périple et qui mirent tant d'acharnement à conquérir cette terre qui a dû leur paraître un véritable paradis.
Qu'il serait agréable de s'étendre au soleil sur le tapis moelleux des fleurs et herbes fraîches et odorantes et rêver tranquillement à la douceur de vivre. Mais nous ne sommes pas ici pour cela. Voici les briques rouges de murs de KAIROUAN, voici la route d'ENFIDAVILLE, bordée de marécages, faite en remblai, coupée d'oueds encaissés qu'elle franchit sur des ponts étroits. Tel le Juif Errant il nous est interdit de nous arrêter. En avant, toujours en avant...
Mais bientôt l'élan est brisé. À 12 kilomètres de Kairouan, un pont détruit nous arrête. Les reconnaissances effectuées à proximité montrent qu'il est impossible de franchir l'oued rempli encore d'eau bourbeuse sur un fond de vase. À gauche et à droite, sur plusieurs kilomètres s'étend un enchevêtrement d'oueds et de marais dans lesquels s'embourbent tous les véhicules qui essaient de trouver un chemin.
L'étude de la carte n'offre qu'une solution : contourner les marais par l'Ouest et rattraper la route de DJEBEBINA et se rabattre ensuite par le haut de terrain en direction d'ENFIDAVILLE.
Se fiant à son flair d'ancien méhariste, le commandant de la Colonne prend la tête de sa troupe et réussit à atteindre la route de DjJEBEBINA. Il fait nuit lorsque nous commençons à monter sur cette route. Bientôt nous nous imbriquons dans les formations de la 6e division blindée britannique qui vient de livrer un combat à l'arrière-garde de l’Afrika-Korps. Ça et là, des chars amis ou ennemis flambent encore et les explosions des soutes à munitions éclairent le terrain d'une lueur intermittente.
Voici enfin un carrefour. Il est repéré, grâce surtout à un scout-car éventré et à un char déchenillé par les mines. Un examen plus attentif permet de trouver quelques mines posées au bord de la route. Les sapeurs ont travaillé ici. Mais jusqu'où ? Les blindés s'engagent précautionneusement, précédés par les chefs de voiture, qui à pied tâtent le terrain. Nous trouvons une piste à droite qui doit mener à EL-ALEM. C'est bien la bonne. Le carrefour est dépassé largement et nous apercevons une masse d'ombre d'arbres et de constructions. C'est bien El-Alem, centre d'un domaine de quelque 20.000 hectares.
Tout est silencieux dans la petite agglomération et lorsque nous commençons à frapper aux portes, les gens mal éveillés refusent de croire que nous sommes des Français et flairent quelque ruse des Allemands. Enfin nous arrivons à les convaincre. Les portes s'ouvrent et malgré l'heure tardive (il est près de 2 heures du matin) c'est l'accueil habituel : embrassades, verres de vin, repas préparés à la hâte, brocs et cuvettes mis à notre disposition pour un brin de toilette. Nous apprenons que les Allemands s'étaient retirés d'EL-ALEM après le coucher du soleil, donc quelques heures à peine avant notre arrivée.
Le lendemain, le général LECLERCet le gros de la force L..., rejoignent EL-ALEM. Une fois de plus la mission est changée et c'est vers SAOUAR que la Colonne Volante agira dorénavant. La progression est reprise de part et d'autre du djebel FADDALOUN, malgré les réactions des détachements retardateurs de la 15e Panzer.
La partie Sud du djebel est occupée par les deux pelotons portés de spahis. Malgré la motorisation, nos spahis marocains, algériens et tunisiens ont su garder leurs qualités de grimpeurs. La rapidité avec laquelle ils atteignent le sommet du djebel surprend la section chargée de la protection du poste d'observation d'artillerie qui règle les tirs sur nos blindés éparpilles dans la plaine. Les Allemands étaient en train de manger au moment où les spahis franchissant le dernier changement de pente ouvrent le feu sur eux à une centaine de mètres de distance. Une quinzaine de prisonniers sont capturés. Le reste s'enfuit, laissant sur place tout le matériel y compris les binoculaires et le poste radio qui servait au réglage des tirs. Les résultats se font sentir immédiatement car les pièces ennemies se taisent jusqu'au moment où les premiers blindés dépassent vers le Nord le djebel FADDALOUN.
L'horizon est barré par la muraille du djebel ZAGHOUAN. Ses avancées, le djebel TAKROUNA et GARCI sont impropres à l'action des blindés. La Colonne Volante passe la main à l'infanterie de la force L... et se regroupe à l'arrière".
La guerre du recrutement
Le recrutement devient la préoccupation majeure. Il faut combler les vides creusés par les derniers combats. Il faut aussi penser à la création d’unités nouvelles car personne ne considère notre rôle comme terminé.
Les engagés affluent en masse. A SFAX, à SOUSSE, à KAIROUAN, des jeunes gens n’ayant jamais servi, des démobilisés après l’armistice de Compiègne, des sous-officiers en congé d’armistice, se présentent à nos unités et signent des engagements « pour la durée de la guerre plus trois mois ».
Malheureusement des difficultés s’élèvent bientôt à ce sujet avec les représentants des autorités d’ALGER. En effet, au fur et à mesure de l'avance de la VIIIe armée britannique, les commandements territoriaux sont mis en place par le 19e corps d'Alger.
Les changements survenus dans la situation depuis le Débarquement américain en Afrique échappent encore à certains qui continuent à voir en nous les « dissidents ». Pour eux l'élan qui jette vers nous ces jeunes gens avides de reprendre les armes est un mouvement criminel. Aussi n'hésitent-ils pas à menacer ceux qui nous rejoignent des foudres de la justice militaire pour avoir « contracté un engagement dans une armée étrangère ».
Une période pénible commence et nous constatons que la prière de Gabès : « Mon Dieu, faites que nous soyons un », est encore loin d'être exaucée...
Fin de campagne
Cependant le rythme des opérations s'accélère. La 1ère et 7e divisions blindées britanniques et la 4e division indienne passent de la VIIIe armée à la 1ère armée britannique. La 1ère D.F.L. nous rejoint et lance son attaque sur TAKROUNA.
Le piton de Takrouna
Le 7 mai, nous apprenons que les patrouilles du 11e hussards pénètrent à TUNIS et, le 12, nous entendons par hasard au poste radio de la popote le message suivant : « Here is the eight British Army calling to the first Italian Army. The conditions of redition are... ».
Le 13 mai, la campagne de Tunisie est terminée. La patrouille du lieutenant Conus reçoit la reddition d’un bataillon allemand et d’un bataillon italien. Une fois de plus nous sommes frappés par l’attitude des vaincus. Les compagnies allemandes parfaitement alignées. Les adjudants rendent au commandant du bataillon l’appel dans la forme règlementaire, le matériel qui doit être remis et déposé en tas réguliers, mais il a été rendu inutilisable
Nous constatons que si ces hommes ont été battus, leur moral reste intact, ils gardent toujours confiance en l’avenir. Leur commandant salue ces hommes dont il est séparé pour longtemps.
Se tournant vers le lieutenant Conus, il lui dit ces mots, que nous devions garder longtemps dans nos mémoires « Oui, l'Allemagne a perdu la guerre et il ne reste parmi nous aucun homme intelligent pour en douter. Mais ce dont vous ne vous doutez pas c'est combien de temps cette guerre durera encore ». [1]
La campagne d'Afrique est terminée. D'autres combats attendent les spahis et les chasseurs. Ils les mèneront deux ans plus tard au nid d'aigle de Berchtesgaden sur lequel les trois couleurs flotteront un jour de mai 1945 pour prouver que ceux qui luttent ont toujours raison d'espérer.
Des rives du Nil au pied du ZAGHOUAN, dans les sables fauves des dunes, dans la grisaille pierreuse des hamadas, dans l'argile rouge des steppes tunisiennes, des hommes dorment leur dernier sommeil. Le khamsine ou le sirocco effacent petit à petit les traces du passage des bérets noirs et des calots rouges. Mais la nature est plus lente que l'oubli des hommes.
Le 20 mai 1943, un détachement du 1er RMSM défilait dans TUNIS libéré.
A l'issue de la campagne de Tunisie et jusqu'à la fin du mois d'août 1943, les spahis et la 2e DFL rejoignent la 1ère DFL en Tripolitaine au camp de SABRATHA (Libye) où les deux divisions ont été envoyées "en pénitence", sur ordre du général Giraud, commandant civil et militaire à Alger, en attendant la conclusion des accords de Gaulle-Giraud.
Tunisie - Le général Brosset à gauche et le général Leclerc de dos
Les chemins des spahis et ceux de la 1ère DFL au sein de laquelle ils firent leurs premiers combats dans la France Libre, vont bientôt se séparer. Il se recroiseront bien plus tard, en 1944 à NOD-SUR-SEINE en Bourgogne, à la jonction de leurs trajectoires respectives à la poursuite des Allemands : d'Ouest en Est pour la 2e DB, du Sud au Nord pour la 1ère DFL !
Cest à SABRATHA, durant cette période de "pénitence" qu'un certain nombre de spahis entament leur formation d'élève aspirant. Ils la termineront au camp de TAMARA au Maroc où le 1er RMSM fait mouvement à la mi-septembre 1943 avec la 2e DFL (future 2e DB) .
Futurs aspirants du cours de Temara. Michel ABALAN est à l'extrême gauche
En octobre 1943, toujours sous les ordres du lieutenant-colonel REMY, le 1er RMSM devient le régiment de reconnaissance de la 2e Division blindée du général LECLERC. C'est à ce moment que s'échève l'histoire des spahis dans la France Libre, alors qu'ils se préparent à leur nouvelle épopée dans la Libération de la France.
A l'image de la Division, le 1er RMSM est réorganisé et rééquipé en matériel américain. Il est alors composé d'un escadron de chars légers à trois pelotons de cinq chars et de quatre escadrons d'automitrailleuses à trois pelotons de cinq automitrailleuses et il comprend plus de 1 100 hommes.
Le jour de Pâques 1944, les spahis et la 2e DB embarquaient pour l’Angleterre où ils poursuivraient leur entraînement à Hull, avant de débarquer en Normandie le 1er août 1944, à Utah Beach près de Sainte-Mère l’Eglise...
(1) Revue de la France Libre n° 57 – Avril 1953
La semaine prochaine, notre 4e et dernier volet de l'Histoire des Spahis dans les FFL vous présentera le parcours de l'un d'entre eux, le Compagnon de la Libération Michel ABALAN, de son évasion le 19 Juin 1940 d'Argenton dans le Finistère, à son entrée dans Berchstengaden en Allemagne, cinq années plus tard....
Tags : spahis, colonne volante, 1943, Tunisie
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Commentaires
Honneur et respect,a nos heroiques liberateurs!!