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* Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 9 - FRANCE : De la Provence à l'Alsace (1944)
Ce 9e article est aussi l'avant-dernier des mémoires de Diego Lopez.
AOUT 1944 - LA LEGION DEBARQUE EN PROVENCE
Enfin nous quittâmes le campement et avec une joie et un enthousiasme indescriptible. Nous nous disposâmes à gagner Naples qui devait être le port d'embarquement. Les camions nous y conduisirent et une fois à terre, nous nous mîmes en colonne par un, attendant le moment d'être appelés pour prendre place dans la péniche qui nous conduirait au bateau ancré dans la baie. Lorsque la charge fut complète, l'embarcation lâcha le câble qui la retenait à terre et commença à fendre les eaux en direction du vapeur sur lequel nous allions voyager en direction de la Gaule martyre et héroïque, où nous attendait une rude tâche, mais ce serait que nous l'accomplirions avec le plus de plaisir.
Nous montâmes dans le bateau en escaladant des échelles de corde qui pendaient sur ses flancs, "El Bamnet", ainsi s'appelait le bateau, était assez grand et en attendant le départ, nous avions cinéma à bord tous les soirs. Le troisième jour il leva l'ancre et le lendemain après-midi nous voyions les côtes de la Corse, entrant quelque temps après dans le détroit de Bonifacio, entre celle-ci et la Sardaigne.
Jusque-là comme pendant la nuit, la traversée s'était effectuée sans encombre. Le matin vers 7 h 30 nous aperçûmes la côte française.
Nous étions enfin là où nous avions tellement hâte d'arriver ; nous attendions avec Impatience le moment de débarquer, jusqu'à présent rien ne paraissait s’opposer à ce que nous le fassions tranquillement.
Du fait du calme qui régnait sur toute la côte nous pensions que notre commandant était avisé que cette partie était abandonnée.
A 9 h du matin le débarquement commença. Nous descendions des barcasses pendant que les véhicules étalent sortis, nous étions un peu retirés de la côte et les hommes de petite taille se lançaient à la mer avec des bouées de sauvetage e fut le seul inconvénient de cette opération. En prenant pied à terre les compagnons français laissèrent libre cours à leur émotion, et se mettant à genoux, prirent une poignée qu'ils embrassèrent avec ferveur, les yeux pleins de larmes.
Immédiatement après on commença la marche à pied. Nous arrivâmes au premier village français nommé la CROIX-VALMER ; quelques unités continuèrent pour se porter de suite au combat et parmi elles, celle dont faisait partie nos camarades SALAVERRI et BORELLI.
Nous n'entrerions pas en action maintenant. Depuis que nous foulions la terre française, nous avions la consolation de penser que si le destin voulait notre mort dans ce chaos, ce serait sur une terre de héros et de penseurs, d'idéal et de grandeur.
Nous campâmes dans l'ombre fraîche d'une pinède, près de la ville de CAVALAIRE, aux mains des Allemands, à 60 kilomètres du port de TOULON tenu aussi par l'ennemi.
Une fois ces lieux entre nos mains, nous partîmes et continuâmes la poursuite des Germains en débandade. Par des routes magnifiques nous traversions des villages et des villes ; Hyères, Toulon, La Bouilladisse où nous nous arrêtâmes pour emplir de naphte les réservoirs de nos camions.
Dans toutes les agglomérations le long du chemin nous étions acclamés par une population folle de joie devant notre présence. Nous étions couverts de fleurs et si les camions s'arrêtaient, on nous assaillait, on nous embrassait, on nous congratulait, jusqu' à nous étouffer.
Pour un village d'ici, qui n'aurait donné sa vie ?
C'était l'apothéose de la liberté qui avait enfin rompu les chaînes de l'oppression et de l'humiliation qui durèrent de longues années, c'était surtout la France qui revivait. Plus d'une fois les larmes nous montèrent aux yeux devant les manifestations sans équivoque de remerciements, devant ces explosions de joie. Nous étions à même de dire, avec un certain orgueil, que nous offrions la seule chose que nous possédions, notre vie, pour contribuer à rendre complet le bonheur de ce peuple qui avait tant souffert.
Notre route continuait : Aix-en-Frovence, ville de tourisme, Senas, Cavaillon, Avignon qui fut la cite des papes. Là, nous traversâmes le Rhône. Toute l'après-midi il avait plu copieusement et comme les camions n'étaient pas bâchés, nous étions mouillés, et dans le petit village de VERS nous fûmes accueillis dans les maisons pour passer la nuit. Le lendemain, très tôt nous partîmes, passant par UZES, RIOM... A la sortie de cette ville la route s'ouvre au pied d'une montagne et on trouve des tunnels et des galeries naturelles d'un très bel aspect. Ensuite, nous traversâmes AUBENAS et VALS, et nous arrêtâmes à TENCE. Comme la veille, tout au long de notre chemin, les gens nous recevaient avec des témoignages de joie. Dans quelques villes nous nous régalâmes de banderoles dans ce genre : "Louange à nos vaillants libérateurs" ; "Honneur et reconnaissance éternels aux libérateurs" et d’autres dans le même style, qui nous faisaient du bien à l'esprit, nous donnant un courage accru pour continuer la lutte.
A TENCE, pour dormir le collège nous fut cédé, les lits et couvertures des élèves mis à notre disposition. Jusqu'à ce moment nous n'avions pas rejoint les Allemands qui se retiraient précipitamment. Nous entrâmes à leur poursuite dans le département de la Haute-Loire, passant par St-Just, Le Chambon, et la ville importante de SAINT-ETIENNE où le convoi stoppa sur une place. Nous avions l'impression qu'il n'y avait aucune raison à cet arrêt mais le commandant le fit seulement pour nous permettre de prendre contact avec la population de cette grande cité.
Nous étions déjà près de la grande ville de LYON où les Allemands se trouvaient encore, attaqués par des unités de notre division, et lorsque nous arrivâmes, ils l’avaient abandonné depuis quelques heures. Nous étions désormais sur leurs talons que nous pensions que nous n'allions pas tarder à les rencontrer.
Nous retournâmes sur nos pas et logeâmes dans un petit village nommé ECULLY, campant dans les communs d'un joli château qui appartenait au Maire.
Deux jours plus tard, nous étions à LYON, logés dans l'Ecole Normale, qui se trouvait dans un quartier qui est sur une colline de la rive droite du Rhône, connu sous le nom de Croix-Rousse.
Le soir, après avoir pris la précaution de glisser nos revolvers dans nos poches, nous partîmes faire un tour en ville sans qu'il ne nous arrive rien. Nous quittâmes RELLY pour SOMBERNON et, pour la première fois sur le sol de la Métropole, nous mîmes à l'affût de l'ennemi. Nous attendions une colonne motorisée qui devait tenter cette fois de s'échapper par là. Nous l'attendîmes en vain pendant 24 heures, par chance ou par malheur, car notre emplacement était magnifique et nous aurions pu lui causer une désagréable surprise sans grand risque pour nous.
Nous étions en septembre et déjà le mauvais temps commençait à se faire sentir avec des pluies et du froid. Nous gagnâmes DIJON dans le département de la Côte-d'0r, où nous fumes logés au lycée Camot.
Le Général De Lattre de Tassigny vint et nous défilâmes devant lui avec les Forces Françaises de l'Intérieur de la région.
Ecpad
Ecpad
A 10h du soir, pendant que nous étions au mieux ne notre plaisir, un lieutenant apparut dans une jeep, accompagné d'un légionnaire qui sonnait du clairon pour nous réunir. Précipitamment, bousculant les gens, nous cherchâmes nos vêtements de pluie et nous précipitâmes vers le lycée où nous étions cantonnés. Dans tous les endroits, la même scène s'était répétée en entendant cet alarmant clairon inhabituel.
Lorsque nous arrivâmes, les camions étalent déjà prêts pour partir et en un tournemain nous étions équipés, propres et prêts à partir. Les véhicules furent alignés le long d'une rue et au milieu de chants joyeux qui réveillèrent la ville, les portes et les fenêtres s remplies de nombreux habitants qui venaient nous dire au revoir, nous quittâmes DIJON.
VERS LES VOSGES
Il pleuvait toujours. Nous traversâmes BESANCON et à 5h du matin nous étions au PUY où nous passâmes la journée et la nuit. Avant l'aube nous gagnâmes la ligne de feu où nous devions relever les Américains qui paraissaient être pressés, car ils étaient partis avant notre arrivée.
A cet endroit, tout était calme et à cause de cela nous changeâmes ensuite de secteur, gagnant ACCOLENS, d'où nous devions gagner le front, mais bien sûr où il y avait un peu plus de mouvement. Nous eûmes raison. Avançant sur un terrain ravagé, bossu par endroits, nous allions tranquillement, assis dans les camions, lorsque tout à coup, à quelques mètres derrière nous l'explosion d*un obus leva la terre qui nous piqua le visage.
Le chauffeur freina immédiatement, mais comme quelques uns lui criaient de continuer, il redémarra au moment où je me préparais à sauter à terre et je restai un pied engagé, presque suspendu. Heureusement, j'arrivai à me tirer de cette position périlleuse ; je tombai à terre, mais aussitôt me relevai et me mis à courir, cherchant l'angle mort sauveur. Le tank, caché, attendait notre passage en continuant à tirrer, mais déjà le camion était à couvert et moi aussi.
Ce qui se passait en réalité, était que personne n'aimait être devant les autres.
Ces faits se déroulaient dans le département du DOUBS. Toute la nuit il avait plu et depuis l'aube, profitant de ce que notre artillerie n'était pas arrivée, l'ennemi pilonnait nos positions au mortier, les observateurs arrivèrent à localiser un observatoire allemand qui n'était pas à plus de deux cents mètres ; et de là la batterie avec laquelle ils faisaient feu.
La pluie cessa, immédiatement les armes automatiques entrèrent en action et le premier objectif fut cet observatoire qui nous faisait tant de mal. Nous pûmes voir de notre place, étant donnée la courte distance comment les boches se mirent à courir en quittant leur cachette pour gagner l'abri de la colline.
Ce fut dommage qu'afin de les empêcher de repérer notre mitrailleuse, nous n'ayons pas pu les mitrailler à volonté.
Le reste de la journée, mis à part une petite escarmouche avec une patrouille nazie qui prétendait s'infiltrer dans nos lignes, se passa calmement. A 5 heures du matin, tout le monde à son poste. La sixième compagnie d'infanterie et une de nord-africains allaient attaquer les positions ennemies. Les officiers, près de notre pièce, discutaient de la façon de mener le combat. Il était nécessaire de savoir si, à la droite des positions ennemies, couverte de bois, il y avait des forces. Pour repérer cela, l'adjudant-chef UNGERMAN fut désigné avec deux légionnaires.
Georges Ungerman - Ordre de la Libération
Le calme avec lequel l'homme e reçut cet ordre nous surprit.
« Il faut, lui dit le commandant SIMON, que vous alliez à ce bois et y pénétriez. S'ils tirent, nous saurons qu'il est occupé. C'est dangereux, mais il faut le faire. Allez et bonne chance. Dans une heure, si rien ne se passe, vous serez de retour ».
Pas un muscle de son visage ne bougea sur cet homme qui était envoyé à la mort. Il vira sur ses talons et partit à la recherche de ceux qui devaient l'accompagner. Nous le vîmes s marcher jusqu'au bois et y entrer. Une demi-heure plus tard, il était de retour. Nous étions bien contents.
Malgré l'épaisse brume qui nous entourait et qui pouvait être favorable à eux comme à nous, à six heures du matin, l'avance commença.
la compagnie de nord-africains tomba dans une embuscade tendue par un tank et fut presque complètement exterminée.
La 6ème de notre bataillon en pénétrant dans le bois, fut reçue par un feu nourri d'armes automatiques. Les boches, astucieux, n'avaient pas bougé lorsque l'adjudant-chef UNGERMAN y avait pénétré, et n'avaient pas tiré pour ne pas se découvrir, mais maintenant ils se montraient. Le lieutenant OGENEC se trouva presque nez à nez avec un tank. A cause de la neige il ne le vit qu'à une distance d'une vingtaine de mètres et, à peine lui et les deux Espagnols qui l'accompagnaient eurent-ils abandonné la jeep, qu'un tir précis la détruisit et l'incendia.
Notre pièce tirait presque à tâtons sur les positions ennemies à cause de la neige, lorsque tout à coup un tir de mortier nous jeta à terre. Il avait éclaté à pas plus de trois mètres devant nous. Etourdis, nous nous relevâmes et regardâmes autour de nous. SCHNEIDER, le chef de pièce, avait un doigt de la main droite arraché, et le pied gauche abîmé, le lieutenant GUERARD avait une grande blessure au bras.
Pensant que ce ne serait pas le seul projectile à tomber sur notre pièce, nous nous mîmes à l'abri derrière un mur, nous retirant prudemment de la pièce et nous étendant ; Les balles sifflaient au-dessus de nos têtes, frappaient le mur. Nous ne voyions rien et la neige continuait à tomber très épaisse. Tout le jour les Allemands nous disputèrent le terrain pied à pied, mais au crépuscule, ils se retirèrent.
Nous avancions, nous mettant en position sur les lignes conquises. La nuit arriva, obscure et pluvieuse. Prévoyant une contre-attaque, notre commandement laissa libre un passage dans les lignes qui servirait d'appât.
De chaque côté furent placées les mitrailleuses et vers minuit l'ennemi entra par où nous l'attendions. Nos armes automatiques commencèrent à cracher le feu sur eux ; en fuyant ils laissèrent sur le terrain plusieurs morts et blessés.
Le reste de la nuit et le lendemain se passèrent calmement, à part le tir des mortiers. On parlait de nous relever, ce qui nous faisait bien plaisir, car nous étions tous mouillés et presque tous enrhumés, bronchiteux, ou a demi grippés.
Enfin vint la relève et nous allâmes jusqu'à AILLEVIN, un petit village où nous trouvâmes du lait, du fromage, du beurre en abondance et où nous ne craignions personne. Malheureusement, cela ne dura pas plus de vingt-quatre heures , le temps de sécher le linge mouillé, et nous partîmes pour un autre secteur. Nous allions maintenant à 3 kilomètres de FRESSE où nous montâmes en ligne à deux heures pour renforcer le premier régiment de Paris, composé de civils qui n'avaient jamais combattu qu'en guérillas.
FRESSE, Automne 1944
Lorsque la nuit vint, les boches nous tombèrent dessus, mais ils n'eurent qu'à s'en retourner. Le matin, ils revinrent à la charge et, cette fois, nous obligèrent presque à quitter le terrain de peur d'être encerclés. Heureusement, de nouveaux renforts nous arrivèrent et nous les repoussâmes. A un kilomètre devant nous se trouvait une route en leur pouvoir et dont nous voulions nous emparer.
Dans l'après-midi nous vîmes un tank allemand passer sur cette route et disparaître derrière un bosquet ; ensuite, il en passa un autre, puis un autre. Déjà les téléphones qui nous reliaient à l'artillerie fonctionnaient. Un moment après, les tanks reparurent et tout tranquillement commencèrent braquer leurs canons dans notre direction. Le désespoir qui s'empara de nous devant cette menace est indescriptible mais notre joie fut encore plus grande lorsque nos canons de gros calibres lancèrent sur eux une pluie de fer qui, en moins de temps qu'il ne m'en faut pour le raconter, en détruisit deux, le troisième se sauvant par miracle.
A la tombée de la nuit, tombèrent autour de nous quelques obus, dont un blessa un homme de notre pièce. C'était un Ukrainien qui venait pour la première fois au front. Il avait été affecté à notre pièce la veille.
Le temps ne nous laissait pas nous reposer et il pleuvait sans cesse. Nous étions sursaturés d'eau. A 7 heures du matin la canonnade nous réveilla, tuant trois des patriotes et en blessant plusieurs,rien d'autre ne se passa jusqu'à cinq heures de l'après-midi où des avions anglais livrèrent un combat presque sur nos têtes. Deux avions tombèrent, dont un anglais qui tomba si près que nous vîmes le pilote lorsqu'il se lança en parachute. Par malheur le vent le porta sur les lignes ennemies. Notre commandement prépara une attaque pour la possession du bois qui était devant nous. La cinquième compagnie fut envoyée.
Dans le bois de Fresse - Jean Coquil (BM 5)
Les S.S. leur préparèrent une embuscade, dans laquelle ils tombèrent, furent encerclés et presque tous tués. Dans la bagarre quelques légionnaires blessés restèrent sur terrain ainsi qu'un curé. Tous furent brutalement assassinés à coups de hache, ou par des coups de feu dans les yeux. Nous avions su que la station radio-téléphonique de la B.B.C. s’tait emparée de ce fait qui, joint à d'autres, ne laissait aucun doute sur la sauvagerie de nos ennemis.
Le lendemain nous fûmes réveillés de la même façon que la veille, c'est-à-dire à coups de canon, mais cette fois sans aucun dommage. Dans ce secteur, le calme revenait les forces se retirèrent, nous laissant seuls. Ceux qui tenaient la position à notre droite nous avaient accoutumé aux combats de nuit, mais le dernier nous empêcha de dormir : il fut plus violent que de coutume, et nous restâmes à veiller toute la nuit pour en guetter les suites, mais il n'y eut que du bruit. Ces choses venaient moins à l'esprit des patriotes, étant donné leur expérience de ce genre de guerre.
Enfin nous fûmes relevés et allâmes en repos à FRESSE, logés dans les greniers, sur la paille, où nous nous trouvions bien, car au moins nous ne sentions pas le froid, nous étions sous un toit.
Le village était sous le feu des batteries allemandes qui y firent quelques victimes. Parmi les habitants en particulier, une femme qui était arrêtée à la porte de sa maison, lorsque tomba un projectile tout près d'elle et qui causa sa mort ainsi que celle de ses deux fils qui l'accompagnaient.
Après quatre jours de repos nous remontâmes en ligne et reprîmes les mêmes positions que précédemment. Nous faisions une guerre de position. Ni eux ni nous ne faisions le moindre mouvement qui aurait pu définir la situation du front ; tranquilles dans les trous, nous recevions l'eau qui tombait et qui nous trempait comme des soupes. Cette maudite pluie s'arrêtait seulement de brefs instants pour continuer tomber avec monotonie.
Et la guerre continuait sans qu'on en entrevoie la fin. Des hommes mouraient remplacés par d'autres auxquels nous apprenions le maniement des armes pendant les périodes de repos, quelques jours avant de monter au front.
De la chair à canons pensions-nous et nous aurions bien protesté de toutes nos forces mais ... Que pouvions-nous faire si c'était le gouvernement qui les envoyait. En guerre, il faut des hommes pour combler les vides des morts et des blessés et si la chance ne les aide pas beaucoup ils peuvent partager le sort de ceux qu'ils ont remplacés.
Nous quittions un endroit pour aller dans un autre, presque toujours pire. Froid, pluie, neige. Monter en ligne, être relevés, et cette opération se répétait sans cesse, sans relâche.
Dans un des secteurs où nous fûmes appelés, nous vîmes un jour un spectacle très douloureux : un matin nous aperçûmes un mouvement de gens devant la position, ils venaient à nous en arborant de grandes banderoles blanches. Ce sont les allemands qui se rendent, bien que nous ne les distinguions pas bien, étant à nos postes de combat. Lorsqu'ils furent plus près, nous n'en crûmes pas nos yeux : des centaines de femmes de tous les âges, des vieillards et des enfants portant leurs paquets sur les épaules, des mères avec leurs bébés dans les bras, dont quelques-uns étaient nés dans les bois, sous la neige, car cela faisait cinq jours qu'ils marchaient sans savoir où aller.
C'était un autre exploit des suppôts d'Hitler. Après avoir arrêté tous les jeunes du village de La Bresse, ils l'incendièrent, condamnant ainsi ses habitants à mourir de faim ou de froid dans les champs gelés ou dans les montagnes : est-il possible malgré leur férocité et après de telles atrocités quelqu’un puisse mettre en doute leur sauvagerie, et ce qui est pire, les admirer ? Ceux qui le font sont leurs semblables.
Nous avons fait ce bref récit pour que tout le monde se rende compte que dans les mains criminelles des nazis personne n'était libre.
Changeant sans cesse d'endroit, aujourd'hui un village, demain un autre, nous traversâmes les départements de la Côte d'Or, du Doubs, des Vosges, de la Moselle, de la Haute-Loire et d'autres dont nous ne nous souvenons plus, nous rapprochant de plus en plus de la tanière du fauves l'Allemagne ! et ce fut ainsi que nous arrivâmes en Alsace, occupant un village nommé ROMIGNY où nous-dormîmes, pour continuer le lendemain la campagne qui s'avéra la plus dure de toutes celles que nous avions menées jusque-là.
MASEVAUX EN ALSACE, Novembre 1944
A l'aube nous commençâmes l'avance, prenant un village au passage, et au lever du jour nous étions embusqués dans une maison à quelques centaines de mètres des boches qui se faisaient de plus en plus dur en approchant de leur pays. Quand il fit jour, une forte offensive fut lancée dans tout Le secteur ; nous appuyions l'avance de l'infanterie légère, du feu de nos pièces, les mortiers tiraient d'abondance, nous enveloppant dans la fumée. Peu à peu, les teutons se retiraient, se mettant hors d'atteinte de nos tirs.
Avec ténacité nous les poursuivîmes jusqu'à MASEVAUX où nous les attaquâmes de nouveau, les rejetant dans les montagnes. Ce village, comme tous ceux où se déroulait un combat, était en ruines et semé de cadavres que nous fîmes enterrer plus tard par les prisonniers allemands.
Masevaux novembre 1944 - DR
On nous assigna comme logement une école dont les murs étaient placardés de photos de l'ennemi public n° 1 et qui furent jetés à la rue à l’état de confettis. Dans la pièce qui nous était réservée se trouvait un lit pour deux personnes que nous nous empressâmes de prendre.
Cette nuit nous allions dormir comme des rois. Lorsque nous fûmes prêts à jouir de cette couche moelleuse, nous fûmes alarmés par une canonnade qui s'approchait de l'édifice, le faisant trembler, l'oreille en éveil pour percevoir le sifflement du prochain obus qui arriverait. Il ne tarda pas à arriver et, cette fois mieux dirigé que les précédents, fit des morceaux de la fenêtre et d'une partie des tuiles du toit, nous faisant tomber dessus une pluie de décombres. Il était indiscutable que notre bonne nuit était gâchée.
Saisissant rapidement nôtre équipement, nous dévalâmes l'escalier, sans nous arrêter jusqu'à la cave Le troisième projectile détruisit l'escalier. En bas nous n'étions pas aussi bien que sur ce lit formidable, mais au moins nous étions en sécurité.
Pendant plusieurs heures le bombardement se prolongea, qui laissa en pièces l’étage de la maison.
A peine le jour levé nous nous préparâmes pour déloger les Allemands des montagnes voisines. Le commandant SIMON au commandement de notre bataillon et du deuxième de choc français, appuyés par l'artillerie, se chargerait de le faire.
Tous les mouvements furent exécutés avec une sûreté extraordinaire, et nous arrivâmes au col de BUSSANG, qui était notre objectif, sans perdre un seul homme et faisant beaucoup de prisonniers. C'était très important pour nous de prendre cet endroit car à partir de là s'étendait la plaine où se trouvait le travail des tanks et des forces blindées. Le froid était terrible et il pleuvait aussi bien qu'il neigeait ou qu'il grêlait.
(Vers le col du Hünsruck ) : Les troupes qui devaient nous relever étaient en bas, mais on disait que le commandant ne voulait pas être relevé maintenant, et nous étions furieux contre lui. Avec leurs mortiers les boches nous faisaient une de ces boucheries, et si nous avions cru au mauvais sort, nous aurions pensé qu'il était sur le capitaine SIMON, car il se trouvait parmi les morts et les blessés, avec deux grands trous dans le dos causés par le même obus, qui avait coupé le fil de la vie du valeureux adjudant KOCSIS et de bien d'autres.
Imre Kocsis - Ordre de la Libération
Lorsque nous allâmes en repos ce fut près des villes de FOUGEROLLES et de LUXEUIL que nous connaissions déjà.
Un matin nous allâmes rendre les honneurs aux morts qui dormaient dans le cimetière proche.
Nous arrivâmes et formâmes un carré autour des tombes de nos camarades, nous présentâmes les armes et le drapeau fut hissé.
Le commandant s'avança avec un sergent jusqu'au milieu des sépultures. Il commença la lecture de la liste de ceux qui étaient enterrés là et : après chaque nom le sergent répondait "Tombé au champ d'honneur'' !
Ensuite un clairon fit retentir les notes de l'Appel aux Morts, pendant que nous observions un profond silence Jusque-là dans la campagne de France, notre bataillon avait perdu 700 hommes sans compter les blessés dont beaucoup resteraient à jamais infirmes. Qui sait, pour ceux-là la mort aurait peut-être été un sort plus doux.
La nuit nous allâmes prendre le train à la station de FOUGEROLLES, nous nous amusâmes beaucoup d'un lieutenant très jeune et très militaire qui prétendait imposer une discipline de temps de paix ; il devait s'imaginer que froncer les sourcils et faire mauvaise figure allait nous impressionner. Il en avait envoyé pas mal en prison et cette nuit dans l'obscurité, il allait le payer. D'abord il prétendit nous empêcher de chanter et lorsque les premiers se taisaient ceux de derrière commençaient ; ensuite ils lui crièrent des choses rien moins qu'agréables, puis ils roulèrent son uniforme dans la boue et dans quelque chose qui sent bien plus mauvais que la boue. Le jeune officier était aveuglé par la rage et ne savait plus que faire, pourtant il en parla au commandant qui lui demanda s'il connaissait l'auteur de cette plaisanterie, et comme il ne pouvait nommer personne, le commandant déclara qu'il ne pouvait pas punir tout le bataillon pour une faute commise par un seul homme.
ALLER-RETOUR SUR LE FRONT DE L'ATLANTIQUE
A 21 heures le train démarra sans que nous sachions où nous allions. Sur la porte des wagons on lisait cette inscription « chevaux, 8 , hommes 25 » ce qui voulait dire qu'ils pouvaient oontenir 8 chevaux ou 25 hommes. Ce voyage dura trois jours pendant lesquels pour dormir nous étions obligés de poser les pieds sur le visage d'un autre.
Nous passâmes par LIMOGES, ANGOULEME et d'autres villes dont nous ne nous souvenons plus, pour descendre du train en pleine nuit et monter dans des camions qui nous conduisirent à un vieux château où nous allions loger.
Le lendemain matin nous préparâmes oe qui devait être notre cantonnement pour quelques jours et dans l'après-midi nous, allâmes au cinéma du hameau de CHEVANCEAUX.
Ledit cinéma était installé dans une grange où dormaient des vaches qui de temps en temps mêlaient leurs mugissements aux dialogues et dont l'odeur arrivait jusqu'au public. Pour nous libérer des exercices quotidiens nous demandâmes une permission qui nous fut accordée. Le lendemain, avec SALAVERRI, nous partions passer 10 jours à Paris.
FIN DECEMBRE 1944 : EN PERMISSION A PARIS
Cet après-midi-là, malgré le froid, nous le passâmes à laver et repasser notre linge pour le sécher. A 7 heures du matin, les camions nous emmenèrent à ANGOULÊME, où nous devions prendre l'express Bordeaux-Paris. Nous partîmes à 9h40, arrivant au but de notre voyage à minuit et demi. Sans rien connaître nous commençâmes par chercher un hôtel pour passer la nuit, chose qui n'était pas facile. Après avoir beaucoup marché, sans savoir où, nous trouvâmes enfin une chambre. Le lendemain nous allâmes à la maison de ma marraine de guerre et comme nous ne trouvâmes personne, nous allâmes aux Invalides faire viser notre permission par la gendarmerie, et ensuite à l'Eoole Militaire chercher nos rations. Nous mangeâmes n'importe où et revînmes à la maison de ma marraine. Elle ne nous connaissait que par lettre et nous nous présentâmes en disant simplement "me voilà, je suis votre filleul », ce qui équivalait à une sorte de Sésame "ouvrez-nous", car nous fûmes reçus comme si nous nous étions toujours connus.
Le soir, nous allâmes avec elle chez-un ami qui avait écrit qu'il nous recevrait comme elle-même. Après quelques minutes de conversation, pas très alerte, car nous ne comprenions pas bien le français avec l'accent parisien, nous dîmes que nous allions chercher un hôtel pour passer la nuit, avant qu'il ne soit trop tard, car nous savions par expérience comme c'était difficile. Ils ne le permirent pas et Madame M. mit notre disposition la chambre de son fils déporté en Allemagne.
Nous acceptâmes avec joie. Très tôt le lendemain nous prîmes un autobus gui nous conduisit dans la banlieue de Paris, où nous passâmes une journée très agréable. Dans la n u i t, nous allâmes danser et nous nous couchâmes à six heures du matin. A midi, nous regagnâmes Paris où un Monsieur que nous connaissions nous convia chez lui à un déjeuner royal. Si ce n'était pas être ingrat, nous dirions volontiers que cet homme devait se livrer au marché noir pour posséder tant de choses à manger et à boire.
Notre permission passait avec une rapidité incroyable et nous voulions tout voir des beautés de cette ville. Nous faisions la plupart de nos promenades à pied pour mieux la connaître. Qui sait, peut-être ne reviendrions-nous pas ! Il fallait profiter au maximum de ces quelques jours et nous fîmes ainsi.
Pendant une de nos promenades nous rencontrâmes un légionnaire du bataillon, et lui demandâmes où il était cantonné. Il nous répondit qu'il était parti, mais qu'il ne savait pas pour quelle destination. Comme à ce moment-là la contre-attaque allemande des Ardennes était en pleine action, nous supposâmes qu'il devait être au front. Raison de plus pour continuer à nous amuser le plus possible. Nous continuâmes nos promenades en essayant de ne pas penser que bientôt nous reviendrions à la tuerie.
Nous étions aux fêtes de fin d'année et tous les soirs il y avait un bal auquel nous allions, ne sortant qu'au lever du jour.
Après avoir dormi un peu, à midi nous sortions pour visiter Paris et essayer de voir le plus intéressant. Un jour, c'était le musée des Invalides, où semblait flotter l'esprit des héros de la France immortelle, entre les trophées de cent batailles de glorieuse mémoire et des reliques historiques.
Le Musée Grévin, avec ses figures de cire un réalisme extraordinaire. Ici étaient réunis en des scènes familières : Napoléon avec sa famille et ses Maréchaux, Louis XIV avec quelques personnages de son époque ; la Reine Marie-Antoinette dans sa prison avec sa garde et le Dauphin dans le cachot à côté. Plus loin, Marat, assassiné dans son bain - on pouvait voir dans sa poitrine la blessure causée par le poignard de Charlotte Corday, qui, appuyée contre le mur, les bras levés, comme pour se défendre, regardait son œuvre avec un air épouvanté, pendant qu'une vieille femme s'avançait vers elle avec un geste menaçant. Nous vîmes les magnifiques salons du Louvre, dépouillés de toutes les œuvres d’art, afin de les soustraire à la rapine nazie.
Au cours d'une seconde visite aux Invalides, nous admirâmes la tombe de Napoléon, celle de ses frères et celle du Maréchal Foch, le cœur embaumé du premier grenadier.
Nous respirions la paix et la tranquillité, en longeant les quais de la Seine. Ceux de gauche, avec leur interminable file de bouquinistes, et ceux de droite, avec leurs magnifiques allées où s'ouvrait une piste cavalière. Nous nous délections de la contemplation de la magnifique œuvre d'art qu'est le théâtre de l'Opéra, sur la place du même nom, depuis la terrasse du fameux café de la Paix.
Tout était pour nous motif d'admiration, depuis les jardins des Tuileries et du Luxembourg, jusqu'à la cathédrale Notre-Dame, l'Abbaye de Saint-Germain et le coin de beaucoup de bohèmes qui firent la renommée de l'art français ; Montmartre, avec ses petites rues qui grimpent.
Mais ce n'était pas encore tout ça qui nous enchantait à Paris, pas les grands boulevards ni les petites ruelles du quartier latin. Le plus beau de la Ville Lumière nous ne pourrions pas le décrire parce que ce n'est pas corporel, c'est un "on ne sait quoi" d’inexplicable, et qu'une fois loin d'elle reste en nous le désir éternel de revenir, quelque chose qui nous attire avec une force extraordinaire.
Le temps courait inexorablement et le moment de partir arriva. Très tôt le matin, accompagnés par Madame et Mademoiselle M., nous allâmes prendre le train à la gare de l'Est, la même où pendant cette guerre comme pendant l'autre, des milliers et des milliers d'hommes s'étaient embarqués pour aller jusqu'où nous allions, au front, et avec le même espoir, dans bien des cas irréalisé, de revenir.
Comme SALAVERRI, nous étions empreints d'une grande tristesse et les pensées les plus moroses se bousculaient dans nos têtes.
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