• * Hommage au Compagnon Yves de DARUVAR, qui nous quitte ce 28 Mai 2018

     

    Le Point


    Communiqué : "L’Ordre de la Libération a la grande tristesse de vous faire part de la disparition de monsieur Yves de DARUVAR, Compagnon de la Libération, survenue le 28 mai 2018 à l’hôpital militaire Percy à Clamart (Hauts-de-Seine), à l’âge de 97 ans. 

    Grand-Croix de la Légion d’honneur, il était le dernier Compagnon ayant servi au sein de la 2ème DB du général Leclerc".

    La cérémonie religieuse des obsèques de monsieur Yves de Daruvar aura lieu en la cathédrale Saint-Louis des Invalides lundi 4 juin 2018 à 11h. Les honneurs funèbres militaires lui seront rendus à l’issue dans la cour d’honneur des Invalides.

     

    Hommage à Yves de DARUVAR, dernier Compagnon de la Colonne Leclerc et de la 2e DB

    Le 21 juin 1940, Yves de Daruvar, un étudiant âgé de dix-huit ans, s’embarque à Saint-Jean-de-Luz sur le Batory pour rejoindre l’Angleterre. Pour embarquer sur ce transport de troupes polonaises, il fait semblant de pousser les chariots des soldats…

    De son vrai nom, Yves s’appelait Imre Kacskovich de Daruvar :

    "Je suis encore, aujourd'hui, en quête d'identité. Je possède des ascendances variées. Mon père, hongrois, officier de carrière avait pris part à la Première Guerre mondiale du côté de la "triple alliance" puisque son pays était allié de l'Allemagne. Ma mère qui était d'ascendance à la fois autrichienne et française (ma grand-mère maternelle, catholique, était née à Montpellier, son mari était juif de Vienne), avait vu le jour à Constantinople et était de nationalité iranienne. On disait persane à l'époque. Son père étant conseiller du shah d'Iran.

    Quant à moi, je suis né turc ! Et catholique. Mon père qui avait acquis cette nationalité, s'est ensuite converti à l'islam. A partir de là, la relation entre mes parents s'est considérablement dégradée. Ce qui nous a conduit ma sœur et moi à partir, avec notre mère, pour la France. Cela se passait en 1929, j'avais huit ans.

    Bien que de langue maternelle française, j'étais un étranger. Au collège on me traitait de "sale boche". J'en étais excédé.

    Cette IIIème République que je découvris n'était pas très reluisante. Je suis né trois ans après la fin du premier conflit mondial. Le deuxième round s'est rapidement profilé. Les grondements étaient perceptibles. Des événements s'annonçaient.

    Quel serait mon destin ? De quel côté serais-je engagé ?

    Nous assistions, en France, à une lâcheté morale généralisée. Les actualités nous montraient des régimes "resplendissants" en Allemagne et en Italie. Un culte de la jeunesse annonçait un autre avenir. J'étais fasciné.

    Que faire ? J'étais comme l'âne de Buridan.

    L'année de terminale, j'ai miraculeusement viré ma cuti grâce à un livre de Friedrich Sieburg, Dieu est-il français ? Dès la préface ce fut un coup de clairon. En substance, il écrivait : "Nous Allemands, nous avons de l'ordre chez nous mais du désordre dans nos têtes. Vous Français, vous avez de la pagaille chez vous mais de l'ordre dans vos têtes".

    Qu'un allemand qui avait vécu vingt ans en France puisse écrire cela m'a soudainement éclairé. Il décrivait les Allemands comme un peuple brumeux, qui cultivait des mythes "moyenâgeux", tandis qu'il admirait la clarté et l'ordre intellectuel français.

    Electrochoc qui m'a incité à la réflexion. Je me suis, dès lors, demandé ce qui faisait l'essence de la France, et me suis mis à lire Péguy, y découvrant le mystère profond de l'âme française. Puis j'ai lu Psichari, "Les voix qui crient dans le désert", "Le voyage du centurion", préfigurant pour moi "Le silence de la mer" de Vercors qui a si bien pénétré et analysé l'étrange complexe d'infériorité morale des Allemands vis-à-vis de la France.

    Cela s'est produit à la veille même de la guerre. Je ne peux m'empêcher de penser que sinon, j'aurais peut-être été séduit par la propagande de Vichy et me serais engagé dans la division Charlemagne où je ne sais quoi.

    Lorsque la guerre a éclaté, j'étais mûr. (…)

    J'avais pensé à l'Ecole navale, une sorte de désir d'évasion, mais ce fut l'Ecole coloniale. (…)

    J'avais quitté Paris, à bicyclette, le 12 juin à quatre heures de l'après-midi. Le 15 juin à minuit, j'étais à Bordeaux. Révulsé par le discours de Pétain annonçant que "nous allions demander à l'ennemi de traiter entre soldats, dans l'honneur", j'ai repris mon vélo et poursuivi ma route vers le sud. A Saint-Jean-de-Luz, j'ai réussi, déjouant la surveillance des policiers français, à embarquer sur un navire polonais, le Batory, et rallier Plymouth, le 23 juin et Londres, le 25. (1)

    Il s’engage aussitôt dans ce qu’il appelle la "légion de Gaulle", autrement dit les Forces Françaises Libres (FFL). Affermi dans sa volonté d’être Français, Daruvar a opté pour les Chasseurs, jugeant la Légion trop « étrangère » relève Jean-Christophe Notin (2).

    Alors que près de 2000 hommes sont prêts à partir avec le Corps expéditionnaire pour Dakar, le camp d’Aldershot se vide de ses occupants, mais les chasseurs n’ont reçu aucun ordre de mouvement.

    Le 26 Août 1940, George VI passe en revue les troupes françaises. « Où sont les cadets ? » lance de Gaulle à Magrin-Vernerey. « Les cadets ? » « Mais oui, vous savez bien, nous sommes en Angleterre. Il nous faut des cadets, des élèves-officiers, quoi ! ». « Nous n’en avons pas ». « Eh bien s’enflamme de Gaulle, je sais que vous disposez de tout un tas de jeunes gens qui préparaient les grandes écoles. Prenez-moi tout ça et faites-en moi des officiers ! »

    A la va vite, 24 « prépas » sont rassemblés… Jean Pierre Mallet, Roger Podeur, Jacques Bourdis, Henri Beaugé, Michel Carage, Yves de Daruvar… (2)

    Il sortira promu aspirant au camp d’Old Dean le 1er mai 1941 et, le 28 mai 1941, avec Bourdis, Quelen, et d’autres, il quitte l’Angleterre par bateau pour le port de Pointe-Noire, en Afrique occidentale (Congo).

    Au sein d’une colonne, il participe ensuite à un long périple à travers la jungle, qu’il narrera dans ses mémoires à la façon d’un explorateur.

    « Depuis mon départ de France, j'ai eu le sentiment d'une succession de miracles : embarquement pour l'Angleterre, rencontre avec le colonel Leclerc en août 41. Celui-ci a illuminé ma vie ! Je crois qu'il m'avait pris en affection car, deux ans plus tard, il est venu me voir à l'hôpital d'Héliopolis, au Caire, lorsque j'ai été blessé à la mâchoire en Tunisie. Je l'avais trouvé assis à mes côtés alors que je m'éveillais de ma sieste.

    Leclerc c'était ça : très pète-sec dans le service mais un cœur tendre. Il m'a aussi beaucoup impressionné sur le plan spirituel car cet homme que j'admirais énormément était profondément pieux. Je l'ai vu, auprès d'un missionnaire de Faya-Largeau, agenouillé, servant la messe. Il est juste de dire que nous étions nombreux à aimer ce meneur d'hommes. C'est la raison pour laquelle j'avais fait le vœu de communier lorsque j'avais été blessé si je restais en vie. Autant j'ai adoré Leclerc, autant, je n'ai pas eu de chance dans mes contacts avec de Gaulle (…) (1)

    Le 28 août 1941, il est affecté à la 1ère Compagnie de découverte et de combat (2e peloton) du RTST, unité automobile de reconnaissance et d’attaque stationnée à Largeau, au Tchad.

     

    * Hommage au Compagnon Yves de DARUVAR, qui nous quitte ce 28 Mai 2018

    Faya Largeau - Archives Maurice Lassablière

    Les premiers mois se passent dans l’inaction propre à la vie de garnison. A l’instar d’un ethnologue, l’auteur en profite pour découvrir les us et coutumes des autochtones. Il poursuit également sa collection de clichés photographiques qui illustrent son livre.

    Le "baroud" tant attendu survient enfin à la fin du mois de décembre 1941. L’objectif des Français libres, placés sous les ordres du colonel Leclerc, se résume à s’emparer de Tripoli avant les Britanniques. Dans leur progression vers la capitale libyenne, les postes italiens tombent inexorablement entre leurs mains.

     

    * Hommage au Compagnon Yves de DARUVAR, qui nous quitte ce 28 Mai 2018

    Source : "De Londres à la Tunisie, carnet de route de la France Libre"

     

    En juillet 1942, Yves de Daruvar est affecté au Groupe Nomade du Tibesti (GNT), stationné au Tchad, aux environs de Zouar. Il y fait son initiation à la vie de méhariste.

    A compter du mois de novembre 1942, il participe à la seconde campagne de libération du Fezzan, territoire libyen occupé par les Italiens.  Il s’y distingue en s'acquittant à la perfection des missions qui lui sont confiées durant l'investissement de la position fortifiée de Gatroun.

    Yves de DARUVAR : "Le 15 janvier (1943), le quartier général du général Leclerc nous annonce qu'en moins de trois semaines la conquête du Fezzan est terminée, Mourzouk, la capitale religieuse, et Sebha, la capitale militaire, étant occupées. Le 28 janvier, nous faisons mouvement sur Umm-el-Araneb. Après avoir formé une dernière fois notre carré méhariste près de ce poste, nous quittons définitivement, non sans émotion, nos braves " bossus " pour devenir, à l'exemple du G. N. B. (groupe nomade du Borkou) et du G. N. E. (groupe nomade de l'Ennedi) une banale compagnie d'infanterie transportée en camions, " à charrions ", comme nous avons coutume de dire.

    Malgré les 2.000 kilomètres que j'ai dans les mollets depuis Largeau, il me semble que la plus belle période de mon initiation coloniale prend fin avec celle de cette vie si sportive et si pleine, faite de volonté constante, d'efforts physiques, d'exaltation morale et de tant de poésie et de pittoresque. Retrouverai-je jamais, et vous aussi mes chers camarades méharistes, cette indépendance foncière et ces infinies satisfactions de commandement ? Quelle belle époque de notre vie, n'est-ce pas, que celle où nous pouvions ramasser nos forces dans le soleil et le vent du désert !  (3)

    Yves de Daruvar  prend part aux campagnes de Tripolitaine et de Tunisie en 1943.  Cette fois, Français et Britanniques affrontent une armée allemande pugnace. En mars et avril 1943, de violents combats ont lieu sur terre comme dans les airs.

     

    * Hommage au Compagnon Yves de DARUVAR, qui nous quitte ce 28 Mai 2018

    Source : "De Londres à la Tunisie, carnet de route de la France Libre" 

     

    Il conduit une patrouille de nuit à grande distance vers l'Oued El Hallouf et en rapporte des renseignements très intéressants. Il est blessé deux fois par des éclats d'obus au Djebel Garci : à la tête le 21 avril 1943, et très grièvement à la face et aux jambes quatre jours plus tard.

    Au cours de son  hospitalisation à Héliopolis en Egypte, il retrouve les blessés de la DFL, et notamment, Michel Bollot, blessé à El Alamein,  qui confie à Daruvar d'origine hongroise ce compliment de choix : " Avec tes qualités, quel dommage que tu ne sois pas un vrai Français !" (...)

    Sa convalescense s'éternisant, le lieutenant de Daruvar, blessé au Zagouan, prend quelques jours pour rendre visite à ses camarades en forêt de Témara (Maroc). Il arrive à temps . après de longues discussions entre Américains et Français, en effet, la 2e DB a été choisie pour représenter la France au cours du Débarquement de Normandie. Le départ est prévu pour la semaine suivante, en avril. 

    Entousiasthe, Daruvar entreprend le colonel Dio, puis les médecins militaires sur sa réincorporation. Les bandages qui entourent son visage ne plaident pas en sa faveur ! Le jeune officier joue sa dernière carte : il intercepte Leclerc et le supplie d'accepter. Le général sourit, le serre dans ses bras ; Daruvar a gagné ..." (2)

    Il rejoint  le Régiment de marche du Tchad (RMT, formé à Temara au Maroc en avril)  de la 2e Division blindée du général Leclerc nouvellement créée, comme officier d'ordonnance du colonel Dio.

    Yves de Daruvar débarque en Normandie début août 1944 avec l'état-major de la Division. Demandant à reprendre une activité combattante, il est placé à la tête d'une section et combat en Normandie.

    Après la libération de Paris, à la tête de la 1ère section de la 10e compagnie du RMT, il s'illustre magnifiquement par son audace et son calme à Andelot où, malgré de fortes résistances ennemies, il entraîne ses hommes et traverse la ville d'un élan irrésistible, faisant de nombreux prisonniers.

     

    * Hommage au Compagnon Yves de DARUVAR, qui nous quitte ce 28 Mai 2018

    Photographie d'un groupe d'Allemands fait prisonnier,  prise par le Lieutenant de Daruvar

    le 12 septembre 1944 - parismuseescollections.paris.fr

     

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    Ordre de la Libération

     

    Grièvement blessé aux jambes le 17 septembre 1944 à Châtel-sur-Moselle, il ne peut achever la campagne.

    Naturalisé français en novembre 1944, le lieutenant Yves de Daruvar peut alors reprendre ses études à l'Ecole coloniale d'où il sort major. Démobilisé en février 1946, il obtient une bourse pour étudier aux Etats-Unis pendant six mois.

    Ensuite, de 1947 à 1950, il est chef de circonscription administrative à Madagascar puis, sous les ordres du gouverneur Pierre Messmer, successivement en Mauritanie (1952-1954), en Côte d'Ivoire (1955-1956) et au Cameroun (1957-1958).

    Yves de Daruvar est ensuite directeur par intérim de l'Office du Tourisme de l'AOF à Dakar (1958-1959) puis secrétaire général de la Côte française des Somalies (1959-1962).

    Haut-commissaire de la République aux Comores (juillet 1962- janvier 1963), il termine sa carrière au Commissariat à l'Energie atomique (1963-1981).

    Il était membre du Conseil de l'Ordre de la Libération par décret du 5 janvier 2007.

     

    * Hommage au Compagnon Yves de DARUVAR, qui nous quitte ce 28 Mai 2018

    Crédit photo : La Vie (2010)

     

    Yves de Daruvar avait assisté aux obsèques du Compagnon Claude Raoul-Duval, le 16 Mai dernier aux Invalides aux côtés de Hubert Germain.

     

    * Hommage au Compagnon Yves de DARUVAR, qui nous quitte ce 28 Mai 2018

    Crédit photo : Le Point - Afp Archives. Thomas Samson

     

    • Grand Croix de la Légion d'Honneur 
    • Compagnon de la Libération - décret du 17 novembre 1945 
    • Croix de Guerre 39/45 (4 citations) 
    • Croix de Guerre des TOE (1 citation) 
    • Médaille Coloniale avec agrafe avec agrafes "AFL", "Koufra", "Fezzan 1942, "Fezzan-Tripolitaine", "Tunisie 42-43", "Madagascar"
    • Médaille des Blessés 
    • Croix du Combattant 39/45 
    • Croix du Combattant Volontaire 39/45 
    • Croix du Combattant Volontaire de la Résistance 
    • Médaille des Services Volontaires dans la France Libre 
    • Médaille Commémorative 39-45 avec agrafes "Afrique, "Libération"
    • Commandeur de l'Etoile d'Anjouan (Comores) 

     

    * Hommage au Compagnon Yves de DARUVAR, qui nous quitte ce 28 Mai 2018

    Yves de Daruvar au Mont-Valérien le 18 juin 2012 © Michel Pourny

     

    Sources bibliographiques

    (1)    Les Compagnons de la Libération : Résister à vingt ans. Henri Weill, Editions Privat ; 2006 Extraits publiés sur le blog de Henri Weill 

    (2)    1061 Compagnons. Histoire des Compagnons de la Libération. Jean-Christophe Notin. Perrin, 2000

    (3)  De Londres à la Tunisie, carnet de route de la France Libre, Yves de Daruvar. Ed. Charles Lavauzelle et Cie, Paris, 1945.  Extraits  publiés sur le site de la Fondation Leclerc

    Biographie de l’Ordre de la Libération 

     

    La Fondation B.M.24 Obenheim présente
    ses sincères condoléances à sa famille

     

    Fondation B.M. 24 Obenheim   

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