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* Etape n° 35 - 8 et 9 janvier 1945 - Osthouse et le bois de Pfifferwald : ultimes tentatives du BM XI pour rompre l'encerclement du BM 24
Si les Allemands n'ont pu s'emparer par surprise des passages de l'Ill fortement tenus, ils ont réussi à pénétrer dans la partie Ouest de l'entonnoir et à couper de leurs arrières la principale ligne de résistance bordant le Rhin. La Division fait une nouvelle tentative le 8 janvier pour dégager le Bataillon de Marche 24 : le Bataillon de Marche XI et des chars du C.C.5 sont concentrés sur l'axe Sand-Obenheim, et une Compagnie du B.M. 24 doit venir à leur rencontre jusqu'au pont du canal. Mais les chars lourds Jadgpanther et Tigre de la Brigade Felderrnhalle surclassent nettement ceux des Français, l'opération échoue.
EXTRAITS
- 32 HOMMES POUR QUATRE KILOMETRES DE FRONT
Gérard GALLAND (11e cuirassiers) : "Les combats font rage. Tour à tour, tous les pelotons du 11ème Cuirassiers sont obligés de repousser de nouvelles attaques qui viennent de tous les côtés. Encerclés, les blindés viennent à la rescousse. Les Allemands sont partout dans nos lignes, cela n'a rien d'étonnant car celles-ci sont discontinues. Avec un seul peloton de trente-deux hommes pour quatre kilomètres de front, comment pourrions-nous arrêter ce flot continu d'ennemis. Une chose est certaine, sans les blindés des deux régiments de cavalerie de la Division, nous n'aurions jamais pu tenir. Lorsqu'un semblant de calme est revenu, l‘Etat-major divisionnaire nous fait changer de secteur. Il faut renforcer la défense de BENFELD et de HUTTENHEIM. Nous retournons dans ce dernier bourg...". C'est dans ce dernier village qu'il est le témoin d'un drame qui le bouleverse : une petite fille qu'il voit jouer tranquillement sur la place se volatilise dans l'explosion d'une salve d'obus.
le temple de Boofzheim
- L'INQUIETUDE DES VILLAGEOIS
Jecques MANTOUX (1er Régiment d'Artillerie), observateur, est posté dans la journée dans le clocher du temple de BOFFZHEIM. "Le bombardement continue, sporadique. La sécurité de nous tous dépend de quelques dizaines d'hommes couchés dans la neige autour du village, veillant dans le noir, et n'ayant que leurs jambes et quelques téléphones pour communiquer avec le P.C. de Compagnie. Il fait largement -10°C. Heureusement, le ravitaillement reste suffisant, mais pour combien de temps ? Les villageois ne cachent pas leur inquiétude. Ils songent aux règlements de compte terribles qui suivraient une reprise de BOOFZHEIM par les Allemands, et qui frapperaient ceux qui ont pavoisé depuis la libération de fin novembre et qui nous ont aidés encore maintenant. Ils se taisent... Dans l'après-midi, il faut se rendre à l'évidence : dans la poche formée par OBENHEIM et BOOFZHEIM, BOOFZHEIM - le poste plus avancé des deux - est l'objet d'une manoeuvre d'encerclement à part".
Ils reçoivent d'OBENHEIM l'ordre de se replier sur OBENHEIM même, à la faveur de la nuit.Jean TREMEAU (Bataillon de Marche XI) - "Lundi 8 janvier : toute la nuit nous veillons dans l'attente de camions et nous démarrons à deux heures du matin roulant sur la neige, tout est plat et blanc dans la nuit. Les rares villages, la campagne tout semble figé de froid et de crainte, nous allons ver le RHIN. A KERZFELD nous descendons et commençons à décharger lorsqu'un contre-ordre arrive, il faut tout recharger sauf le paquetage de combat et en file indienne nous quittons à pied le village et les camions. Très loin devant, un autre village : nous y allons, croisant des charrettes chargées à craquer comme pour la débâcle de 40, les gens ont peur, les boches avancent".
- dE JOUR AVEC LES CHARS AMIS...
Jean Trémeau
... "Nous passons sur le pont, ce sont les dernières défenses. Le premier prêt à tirer fonce, nous les fantassins éparpillés sur les côtés suivons de notre mieux en courant. C'est le commencement de l'action.
Flanquant les chars dans le bois à gauche de leur chemin nous avançons de notre mieux dans une neige à hauteur de cheville, épiant devant nous d'arbre en arbre. Les buissons sont contournés avec l'appréhension de se trouver à chaque fois face à un ennemi. Un bruit de tonnerre ébranle le bois : le char de tête a tiré. Une trombe de fumée sort du tube, le vacarme devient infernal, nous devons nous arrêter pendant que les chars tirent..."- LA NUIT...SEULS DANS LES BOIS, LES FANTASSINS...
" ...La section de pionniers est regroupée derrière ses chefs, MOULIN, RAFFIER, MARTINEZ, GABRIELLI. MOULIN (Lieutenant), de ses grands bras qu'il agite, leur explique que nous devons passer la nuit ici pendant que dans le silence de la nuit on perçoit encore le ronflement des chars qui nous quittent, ils retournent à OSTHOUSE". Jean Trémeau.
Pendant ce temps, Louis CRUCIANI (7e compagnie du B.M. XI) se trouve également à la nuit dans le Pfifferwald "La nuit tombe dans un calme relatif. Notre Capitaine convoque les chefs de section, nous dit que la liaison avec le Bataillon est rompue. N'ayant pas d'ordre de repli, il nous demande de nous installer en carré dans la partie Sud du bois, côté droit de la route. Chaque chef de section donne son avis. Le mien : nos hommes n'ont pas d'outils, aucune possibilité de s'enterrer. Si des ordres n'arrivent pas, à l'aube, nous serons détruits à peu de frais.
Le Capitaine DELAUNAY donne l'ordre de repli et me demande de prendre la tête.
Colonne par un, ma section démarre derrière moi. Je suis le côté gauche de la route vers SAND. La neige aidant, il y a suffisamment de visibilité jusqu'à une vingtaine de mètres. Nous n'avons pas fait 400 mètres que deux chars allemands progressant à une vingtaine de mètres à droite de la route arrivent à notre hauteur. Nous sommes couchés à touche-touche dans le caniveau longeant la route qui nous sépare des chars.
Les deux blindés tirent quelques rafales de mitrailleuses devant eux, s'arrêtent, tirent encore. On entend l'équipage parler à la radio, dans le ronronnement des moteurs. Vus d'en bas, je les vois paraître plus hauts que longs. Ils redémarrent pas loin l'un de l'autre et s'en vont tout droit. J'oblique sur la gauche et m'éloigne progressivement de la route, n'ayant pas envie de retrouver ces mastodondes que nous craignions beaucoup et qui, un laps de temps, avaient provoqué de ma part beaucoup plus de curiosité que de crainte. Toute la section trottine derrière moi, colonne par un, les hommes collés...."
Jagdpanther
Un peu plus tard... : "Je reprends la progression, contre l'accotement et vers l'amont... et me retrouve à touche-touche avec un guerrier casqué. Américain ? Allemand ?... pistolet au poing. J'ai bien moi-même une carabine qui se croise, à l'horizontale, avec son pistolet. Quelques hommes derrière lui et j'en devine d'autres. Je dis : "Vous êtes Français ? ».
A ce moment-là, mon vis-à-vis lève la main gauche qu'il baisse et relève comme un signe d'apaisement et commence à faire demi-tour, au ralenti, comme s'il ne voulait faire aucun bruit ; et ceux que je vois et devine derrière lui font la même chose. Ce sont des Allemands. J'attends de ne plus les voir et remonte en haut de la berge.
Je crois que l'homme d'en face avait pensé que s'il y avait eu ouverture du feu, étant donné son dispositif, ses hommes auraient tiré droit devant eux, le terrain n'offrant qu'un ou deux mètres de dispersion frontale et qu'ils se seraient fusillés mutuellement. Il s'est avéré qu'en une fraction de seconde, j'ai pensé la même chose pour nous et je savais que nos jeunes, s'ils avaient du courage à revendre, faisaient leurs classes au fil du temps et des occasions. Jusque-là, nous avons réussi, sans pertes, et en ayant des résultats, à nous tirer de pas mal de traquenards".
- LA DEFENSE DE SAND
Bertrand CHÂTEL (R.F.M.) "Nous sommes chargés de défendre le pont sur l'ILL, qui commande l'accès à SAND depuis la zone des attaques allemandes.
J'installe des guetteurs prêts à donner l'alerte, des nids de mitrailleuses, des postes de fusils-mitrailleurs, dispose l'obusier, les scout-cars et le half-track ; j'établis ainsi un programme de feu nourri. De plus, je constitue une patrouille mobile, qui reliera, au cours de la nuit, les points de feu entre eux.
Mais bientôt, l'artillerie allemande commence à pilonner le village, par des tirs de harcèlement qui se poursuivent régulièrement, tout au long de la nuit. SAND est visiblement devenu la cible à détruire et l'objectif à prendre.
A 1 heure du matin, le 8 janvier, FESSARD et GUENANTEN sont tués durant l'un de ces bombardements ; CHARPENTIER, blessé, est évacué par l'ambulance".
René Guénanten
- 9 JANVIER: LA "RETRAITE DE RUSSIE"
Le 9 Janvier, Jean TREMEAU découvre la suite des opérations..." Le Capitaine LUCIANI de la 6ème compagnie nous rassemble en carré et, sans donner trop de détails, nous explique que nous allons remettre « ça » séance tenante alors que nous sommes depuis plus de deux jours sans repos véritable et en pleine nature par grand gel. Nous ignorions qu'il fallait aller au secours du Bataillon B.M. 24 encerclé tout près de là (c'est l'affaire d'Obenheim), et l'ordre c'est l'ordre. Nous marchons et cette fois l'attaque est à très grande échelle"....
"Nous passerons sans doute ici la nuit qui arrive, face à la Wehrmacht à deux cents mètres en face. Il va falloir creuser son trou au milieu des racines et cela va réchauffer. Le poêle est tout trouvé. En attendant comme j'ai les poches bourrées de conserves, je pose mon fusil et entame une boite de « ham and eggs with potatoes », l'omelette froide servie à la pointe du couteau passe bien... Un éclatement épouvantable me laisse étourdi, les oreilles sifflantes. Deux autres 88 suivent ils sont en plein sur nous. Des petits flocons, comme du papier brûlé tombent sur nous lentement, ce doit être des restes de poudre. Nous éprouvons le malaise de celui qui se sent spécialement visé. Fini le ham and eggs, je suis à nouveau à plat ventre, une rafale de mitrailleuse trace des sillons blancs sur les troncs au-dessus de nous deux. Ils tirent trop haut, leur hausse est mal réglée, on ne va pas leur dire".
"...C'est la nuit, mais que se passe-t-il ? Il y a un remue-ménage insolite sur la droite, je vois enfin MOULIN arriver. Il est pressé « qu'est-ce que vous foutez là, voulez-vous vous dépêcher, nous sommes les derniers il n'y a plus personne à gauche, surtout pas de bruit ». ... "C'est le repli général de tout le Bataillon. Il paraitrait que les chars Tigre nous ont tournés. Nous allons bon train dans le bois ; je me demande comment en tête ils font pour se repérer. Nous n'avons qu'à suivre collés les uns aux autres. A la lisière nous nous regroupons. ...Devant nous dans la plaine sombre, des ombres défilent en s'éloignant. En bon ordre à distance réglementaire nous les suivons. La situation est angoissante, nous savons que nous allons au-devant de l'ennemi et qu'il faudra passer coûte que coûte. Personne ne tire la jambe malgré la fatigue'.
..." Un seul pont nous permettra de passer l'ILL… s'il existe toujours. LAFOND chargé de son bazooka et de ses obus vient d'enfoncer dans la fondrière. BERARDI réussit à l'en sortir avec son fusil. Ils sont les derniers et personne ne voyait rien. Nous sommes à plein découvert, il y a plus d'un kilomètre à faire dans la neige sans une touffe d'herbe pour se cacher.
Une fusée blanche a jailli sur la droite tout près de nous. « Couchez-vous » hurle une voix ! Avant qu'elle ne retombe, aveuglante, silencieuse, pas pressée du tout au bout de son parachute.
Tout dans la plaine est devenu immobile, il n'y a plus qu'une rangée de tas noirs insignifiants tels des cadavres mais qui vivent, palpitent et surtout cherchent à savoir. Une canonnade courte et brutale se déclenche puis tout redevient silencieux. Nous autres, les fantassins, nous sommes pour l'instant hors de cause. Les chars ont dû s'expliquer entre eux. Deux brûlots éclairent maintenant la plaine de leurs germes de flamme et d'étincelles. Tigre ou Sherman ? MARTINEZ tout de suite à voix passe essaye de prouver que ce sont des Tigre mais j'appréhende d'apprendre que ce sont les nôtres. Nous n'arrêtons pas de les observer tout en marchant, les munitions explosent à tout moment".
Char Sherman
C'est aussi ce 9 janvier 1945 que le Compagnon de la Libération Mohamed BEL HADJ (22ème B.M.N.A) saute sur une mine en conduisant une patrouille à Dambach la Ville dans le Bas-Rhin. Mortellement blessé, il dit au médecin : "Le lieutenant Bel Hadj va mourir, mais cela ne fait rien. Vive la France !". Il décède dans l'heure suivante, pendant son transfert à l'hôpital. Mohamed Bel Hadj est inhumé au cimetière national de Sigolsheim dans le Haut-Rhin.
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Après l'échec du groupement (B.M. XI et chars), l'investissement ennemi va alors se resserrer sur Herbsheim et Obenheim, pris au piège....
A suivre dans nos prochains articles....
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