• * 76e Anniversaire - 1er Juin 1942. A Bir Hakeim, deuils et victoires pour les fusiliers marins, par Benjamin Massieu

    Extrait du livre de Benjamin Massieu à paraître aux Editions Pierre de Taillac. Publié sur la page Facebook "Le Royal-Voyou , l'épopée des fusiliers marins de la France Libre", diffusé sur le Blog avec l'aimable autorisation de l'auteur.

     

    Il y a 76 ans : la bataille de Bir Hakeim. Pour marquer l'évènement, voici en avant-première un 6e extrait de mon livre à paraître consacré à l'histoire des fusiliers marins de la France Libre. Aujourd'hui, une journée particulière : le 1er juin 1942, marqué par de grandes victoires mais aussi la perte de valeureux fusiliers marins.
    Bonne lecture !

    Benjamin Massieu... 

     

     *****

    Lundi 1er juin. Vers 9 heures, la 1re batterie de Bauche et Le Goffic « appareille » avec le bataillon du Pacifique, direction Rotonda Signali toujours inoccupée et où la brigade doit se regrouper une fois Bir Hakeim évacué. Les deux canons de Bauche doivent se tenir à droite de la colonne et ceux de Le Goffic à gauche. Au total, 34 marins et 4 Bofors.

    Le mouvement sera éclairé par des automitrailleuses britanniques et couvert au nord par une brigade motorisée anglaise en charge de gagner Rotonda Mteifel. À 10 heures, c’est la mitrailleuse quadruple du quartier-maître Audren qui part escorter la colonne du commandant Puchois qui va faire une liaison avec les Britanniques.

    En prévision du départ du reste de la brigade, note Constant Colmay, « on travaille ferme à la pièce Le Borgne. Les pointeurs Guitton et Bertin graissent et astiquent tandis que Choquer et Moniot gréent des lames-chargeur avec les obus calibrés par Daviault et Giorgy. Genovini, le chauffeur, qui a servi le thé matinal, fait tourner le moteur de son camion en chantant à pleine voix. Carnet en main, Le Borgne compte les munitions, les vivres et l’essence et pousse un coup de gueule quand quelque chose ne va pas à son idée. » (1)

    Le quartier-maître Le Borgne est un fusilier marin de l’école de Lorient, rallié de la première heure. « Trapu et solide comme un roc, il est d’un extérieur froid et maussade. » Mais Le Borgne est aussi un remarquable entraîneur d’hommes reconnu comme tel par ses chefs.

    Vers 11 h 40, Daviault appelle ses camarades « à la soupe ». Tout le monde se précipite dans l’abri-popote à l’ombre. Les discussions vont bon train sur le déroulement de la bataille quand Le Borgne interrompt tout le monde d’un « chut » énergique. Il est 11 h 50. Un ronronnement bien connu se fait entendre. « – Alerte ! crie le chef de pièce au moment où, déjà bien convaincus de la chose, les sept marins, bousculant table, sièges et gamelles, foncent à leur poste de combat. »  (2)

    En quelques secondes, tout le monde est sur la pièce. À ce moment, en bordure nord-ouest du camp, la pièce de Bernier et de Charpentier ouvre le feu aux obus traçants afin que les autres pièces repèrent la direction des avions ennemis. Apercevant les petits nuages noirs formés par l’éclatement des obus, Le Borgne fait tourner la plate-forme de sa pièce. Les avions ennemis, 12 Junkers 87, les fameux Stukas, apparaissent, déjà pris à partie par Fremeaux, Canard et Laporte. Ils doivent rompre leur formation serrée. Le Borgne fait ouvrir le feu à sa pièce tout en hurlant des corrections de tir. La pièce tire tout ce qu’elle peut. Le recul génère un nuage de sables qui complique d’autant plus la visée. Les Stukas descendent brutalement en piqué et lâchent leurs bombes à tour de rôle.

    Colmay raconte : « Cet avion qui, dans un hurlement sinistre, pique sur chaque pièce en donnant l’impression qu’il va tout pulvériser, fait trembler les cœurs et courber les épaules mais, debout à leur pièce comme à bord, nus jusqu’à la ceinture et casque plat sur la tête, les marins tirent toujours. À chaque explosion, les torses sont douloureusement cinglés par les jets de gravier. Dans ce décor hallucinant, de nombreux points rouges apparaissent ; ce sont des camions qui brûlent… et qui sautent. Le départ de la batterie Bauche a créé un trou dans la défense D.C.A. et c’est Le Borgne qui en subit déjà les conséquences, plusieurs fois pris à partie. Les bombes ont explosé tout près et, malgré les secours que lui prêtent Le Sant et la batterie anglaise, les Stuka s’acharnent sur lui. Sans arrêt, le chargeur alimente sa pièce qui tire à cadence accélérée, et il va bientôt falloir changer le tube rougi. Les corrections de tir sont inutiles et Le Borgne pare au plus pressé en virant lui-même pièce et pointeurs du côté de l’assaillant le plus dangereux. » (3)

    Soudain, un des Stukas pique droit sur la pièce Le Borgne.

    « Le Borgne a vu, et il va se défendre : – Feu !… Feu ! hurle-t-il… Moniot écrase la pédale sous son pied et, les yeux exorbités, enfile les chargeurs dans le Bofor surchauffé… Les obus de 40, en un trait de feu continu, filent en direction du Stuka qui ne dévie pas d’un pouce. Déjà, dans un vrombissement du tonnerre, l’engin de mort remonte en chandelle car il a largué ses trois bombes et toutes trois explosent en plein centre de l’emplacement où tout est balayé. La pièce est tordue et culbutée, les sacs de sable éventrés et volatilisés, les corps déchiquetés et broyés… » (1)

    Les quartiers-maîtres Le Borgne, Genton, Bertin et les matelots Monniot, Georgy et Genovini sont morts. Seul le quartier-maître Daviault s’en sort miraculeusement avec des éclats dans la jambe. Leurs camarades observent, sans pouvoir intervenir car les munitions sont en train d’exploser dans le camion de Genovini. Le tube tordu, le canon est hors-service alors que son affût et ses quatre roues, situés en-dessous du niveau du sol, sont intacts.

    Pendant ce temps, à la colonne en direction de Rotonda Signali, Bauche note : « Le train est rapide et nos canons "Bofors" avec leurs tracteurs trop bas ont du mal à suivre. À chaque alerte aérienne il faut stopper, mettre les pièces en batterie, et repartir ensuite pour rejoindre la colonne. Après avoir fait cinquante fois de suite cet exercice sous le soleil implacable, les hommes sont rompus. Cap, Pontillon. Joudrier, Lebail, malgré leurs muscles imposants sont complètement fourbus. » (4)

    Enfin, à 19 h 30, la colonne arrive sur son objectif, ancien camp italien à l’abandon situé en plein désert.

    « Les marins fourbus étaient couverts de poussière. Rotonda Signali ressemblait sur la carte à un petit pain posé à côté d’un croissant sur la grande nappe de sable plat. Les unités se disposèrent pour le mieux dans les alentours désolés de ce paysage aride. » (5)

    À 20 heures, alors que le bivouac s’établit, c’est l’alerte aérienne. Les fusiliers marins vont avoir du travail : quatre Messerschmitts 110 piquent en rase-motte et mitraillent la colonne. Bauche et son chauffeur se jettent hors de leur pick-up pour s’abriter derrière les roues. La mitraille tombe tout autour. La voiture est touchée et immobilisée avec ses deux roues tordues et crevée et le moteur atteint.

    Au même moment, d’autres fusiliers marins s’affairent sur leur pièce et ouvrent le feu mais sans résultat. Les avions s’éloignent, puis virent et reviennent à l’attaque à seulement 30 m d’altitude. Soudain, l’un d’eux explose en deux : la première pièce de la 2e section, commandée par Malesieux, vient d’abattre son premier avion. Il y a maintenant six Messerschmitts 110 et trois Messerschmitts 109 au-dessus des Français. La deuxième pièce de la 2e section est touchée par la mitraille d’un avion ennemi au moment d’ouvrir le feu. Le tracteur est transpercé et le moteur démoli. Le chef de pièce, Fiémaux, est indemne, mais Monville, Pouvrasseau et Miremont sont blessés, ainsi que la pauvre chienne de la section qui reçoit trois éclats. Aucun de ces blessés ne l’est toutefois grièvement et tous pourront être évacués en ambulances.

    Il est à peine 20 h 05 quand une nouvelle attaque en rase-motte survient. Six avions en deux groupes piquent pour se croiser au-dessus de la pièce du quartier-maître Rey qui va parvenir à en abattre deux en un seul coup comme le raconte l’enseigne de vaisseau Bauche : « La mitraille commence ; l'armement de la pièce, sans sourciller, continue à tirer. Le bruit des moteurs à vingt mètres, celui des mitrailleuses et du canon qui tire deux coups par seconde, sont noyés dans un tonnerre assourdissant, des flammes, une fumée noire, de l'huile chaude qui gicle partout autour de nous, des explosions dans tous les coins, des morceaux de tôle gros comme une armoire, tombent en sifflant. Nous sommes tous couchés par terre, suffoqués par la fumée... Que s'est-il donc passé ? Lorsqu'on y voit plus clair, je me relève pour constater que l'un des avions touché par un obus a perdu l'équilibre et en a accroché un autre; le tout est tombé sur nous dans une belle salade. » (6)

    Le quartier-maître Henri Bohuon, un des servants de cette pièce, note dans son carnet : « Encore une fois j’ai eu chaud. Un des avions abattus est tombé à coté de mon tracteur et lui a arraché le moteur qui vole à 20 m de là, juste le temps de me coucher et un bout d’aile d’avion de 2 mètres me défonce mon casque, me blesse superficiellement à l’avant-bras et au côté droit. Je suis assommé sur le coup mais réalise vite que c’est par miracle que je ne suis pas tué. J’aurai levé la tête, j’étais décapité. » (7) 

    Un des camions a été coupé en deux et le feu s’y déclare. Miraculeusement, tout le monde est indemne. « La pièce est avariée et il faut la mettre à l'abri d'une nouvelle attaque et des munitions du camion incendié qui commencent à sauter. » (8)

    À peine dix minutes de répit sont laissées aux marins qui en profitent pour s’abriter et abriter leur matériel quand survient une nouvelle vague à 20 h 15 : trois Messerschmitts 109, douze Stukas et deux Messerschmitts 110 reviennent à l’assaut. 24 bombes de 250 kg tombent à l’endroit même où se trouvait la pièce de Bauche quelques minutes plus tôt. Le choc de l’explosion secoue tout le monde, la terre vibre plusieurs secondes, les éclats sifflent aux oreilles et des pierres volent dans tous les sens. Encore une fois, les marins ont de la chance : personne n’est touché. Un avion passe si près de la quatrième pièce qu’il manque de la toucher avec son aile. Mais les fusiliers marins qui servent ce canon ne manquent pas, eux, leur coup : d’un obus en plein moteur, ils envoient l’avions ennemi s’écraser contre la falaise. Un des camions de munitions est atteint par des balles incendiaires et explose à son tour. Ce combat intense entre l’aviation ennemie et la D.C.A. des fusiliers marins a à peine duré vingt minutes. Quatre Messerschmitts 110 ont été abattu. Les avions ont pour leur part réussi à détruire deux camions, un tracteur, un pick-up, à avarier une pièce et à faire trois blessés. Les deux compagnies du bataillon du Pacifique qui font parties de la colonne comptent pour leur part trois tués et quatre blessés.

    « La nuit est complètement venue maintenant et la lueur des incendies va durer jusqu'à l'aube. Dans l'obscurité, les matelots réparent les avaries et préparent des munitions, en vue d'une prochaine alerte. » (9)  Avant de s’endormir, le chauffeur de Bauche va visiter les restes des appareils abattus. « Au milieu de l’aluminium tordu il ne put trouver qu’un canot pneumatique qui s’était gonflé automatiquement et sur lequel adhéraient encore des morceaux de cuir chevelu. Ironie du sort : il avait perdu son véhicule en plein désert et il trouvait en échange ce bateau en caoutchouc ». (10)

    Pendant les exploits de la section Bauche à Rotonda Signali, Bir Hakeim a encore été la cible d’attaques aériennes. Après le passage de quatre Junker 88 à 13h, une délégation de chaque batterie est envoyée à 15 h à l’enterrement des morts de la pièce Le Borgne, près du groupe sanitaire divisionnaire. Koenig et de Larminat viennent saluer les corps. Deux autres attaques ont lieu, à 18h (par 12 Junker 87) et à 18h45 (4 Junker 88) mais elles n’ont pas des conséquences aussi funestes.

    Dans la soirée, Hubert Amyot d’Inville diffuse l’ordre du jour suivant:

    « Fusiliers marins,

    Sept des vôtres ont été tués ce matin à leur poste de combat. Le coup est rude, mais nous ne devons pas faiblir une seconde. L’aviation ennemie fait tout ce qu’elle peut pour dégager son armée qui sait la bataille perdue pour elle. Ces diversions ne changent en rien l’avance des forces amies. Le moment n’est pas de s’attendrir, mais de combattre.

    Vos camarades sont morts pour la France Libre.

    Vive la France. »  

     

    (1,2,3) Les fusiliers marins à Bir Hakeim, Extrait de la Revue de la France Libre, n° 62, novembre 1953.

    (4) Jacques Bauche,  À force de vaincre, p. 190-191.

    (5) Jacques Bauche, Jean Marie de l’île de Sein.

    (6) Jacques Bauche,  À force de vaincre, p. 191-192

    (7) Carnet inédit d’Henri Bohuon – Notes en date du 1er juin 1942

    [8] Jacques Bauche, À force de vaincre, p. 192.

    [9] Jacques Bauche, À force de vaincre, p. 192

    [10] Jacques Bauche, Jean Marie de l’île de Sein

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    Retrouvez 20 pages de photographies des fusiliers marins dans notre Album RFM


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