• * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- Derniers combats en Alsace et à l'Authion (1945)

     

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945

    Ce 10ème chapitre vient clore les Mémoires de Domingo Lopez, caporal du 2e Bataillon de la 13 DBLE, sous les ordres du commandant Jean SIMON depuis son engagement à Londres en 1941.

    Les combats d'Alsace se terminent par une hécatombe  dans les rangs du 2e Bataillon, et nous retrouvons ici encore le sinistre Bois d'Elsenheim...

    Une anecdote : aucune indication d'auteur ne figurait sur la couverture des mémoires dactylographiées. Ce n'est qu'à la lecture des toutes dernières pages de ce manuscrit que, providentiellement, nous avons pu élucider quel  était le nom de ce jeune uruguayen, ce qui nous a permis ensuite de retrouver sa photographie dans le Livre d'Or des Français Libres...

    Nous publierons la semaine prochaine l'ensemble des chapitres dans un document unique téléchargeable.

    ******************

    JANVIER 1945 EN ALSACE

    Nous partîmes et le train sortit de la gare. Il faisait très froid et il manquait presque toutes les vitres à notre wagon, ce qui empirait la situation.

    A quatre heures de l'après-midi nous arrivâmes à NANCY, capitale de la Lorraine où nous dormîmes dans une caserne.  Là, nous ne désertâmes pas, grâce à un gros effort de volonté. Notre dépression morale, la peur de revenir au front, étaient telles qu'en voyant un train en partance pour Paris, il nous vint à cet instant l'Idée de le prendre et de revenir. Pendant un bon moment nous dûmes lutter contre nous-mêmes. Lorsqu'un se décidait, l'autre le retenait, et ainsi de suite, et le maudit train qui nous narguait.

    Quand il partit, nous poussâmes un soupir de soulagement. Nous avions été sur le point de commettre une lâcheté dont nous serions repentis sûrement toute notre vie. Par malheur, nous ne pouvions nous targuer de vaillance, car si nous ne montrions pas notre peu de courage lorsque notre vie ne tenait qu’à un fil, c'était plus par peur du ridicule, plus forte mille fois que la peur de la mort.

    Qu'auraient pensé nos camarades, nos compatriotes même, d'hommes qui, engagés volontaires, déserteraient par peur ? Pour nous, pour nos familles et pour tous nos amis, c'aurait été une éternelle honte. Pour cela, non par héroïsme, nous supportâmes tout jusqu'à la fin et nous aurions supporté encore bien d'autres choses.

    Le jour où nous quittâmes NANCY nous nous levâmes pour prendre le train à 6 h. du matin et nous arrivâmes à destination à 1 h. de l'après-midi.

    Nous passâmes par LUNEVILLE, et à 17 heures nous étions à SARREBOURG ou le lendemain, aux premières heures du jour, vinrent nous chercher des camions pour nous conduire à un village nommé KINZHEIM.

    Aussitôt arrivés nous fûmes envoyés avec notre pièce à un endroit avancé où le commandant en personne nous apprit les bonnes nouvelles qui étalent les suivantes : nous occupions le centre du secteur.

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945

    Voltigeurs de la DFL montant en ligne près de Sélestat

    A notre gauche, à environ 5 kilomètres était la ville de SELESTAT tenue par un bataillon français, et encore à gauche le village de BERGHEIM occupé par le 1er Bataillon de la Légion. Tous deux étalent attaqués presque journellement par les Allemands qui mettaient un point d’honneur à s'en emparer. Si l'un des deux tombait, les autres se trouveraient encerclés et on avait ordre de ne pas reculer coûte que coûte, se défendre jusqu'au dernier homme. Sûrement que cela n'allait pas relever notre moral, déjà si bas. De nouveau le désir de déserter nous reprit comme à Nancy, et nous nous repentions de ne pas l'avoir fait, nous promettant de ne pas nous laisser assassiner et si nous étions encerclés nous nous arrangerions pour nous échapper d'une façon ou d'une autre.

    Nous avions déjà dans ce genre d'exploit la triste expérience de Bir Hakeim. Le froid était plus vif que jamais et nous martyrisait. Tout était recouvert de neige. Les jours passaient et dans l'attente du pire nous fortifiions les positions avec une nervosité épuisante, qui nous faisait désirer que ce que nous craignions arrive, le plus tôt ce serait le mieux. Parfois les obus tombaient sur le village, démolissant quelques maisons.

     

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945

    Pendant la nuit nous patrouillions dans les rues et pendant une de ces promenades nous surprîmes un individu qui allumait et éteignait la lumière de sa maison d'une étrange façon. Nous frappâmes à la porte et quand il ouvrit : "pourriez-vous nous dire ce que vous faites en allumant et éteignant votre lumière ainsi ?" demandâmes-nous . "J'endors la petite", répondit-il. « C'est bien,  vous le direz demain au commandant ».

    Nous rendîmes compte de l'incident à l'officier de garde, qui mit immédiatement une sentinelle devant la maison. Le lendemain les gendarmes l'emmenèrent et nous ne le vîmes plus endormir la petite.

    Dans la position avancée nous nous relayions par pièces et, une fois, nous fûmes attaqués avec la section d'infanterie légère qui nous accompagnait par une patrouille allemande. Un légionnaire qui était de garde a la fenêtre de la maison reçut à la tête un obus d'arme anti-tank. L'éclatement nous fit tous bondir sur les armes. Après avoir échangé quelques coups de feu, ils nous laissèrent tranquilles. Un compagnon maintint dans la neige toute la nuit un soldat allemand en lui tirant dessus. Le boche était blessé et lorsqu'il bougeait, il faisait crisser la neige, ce qui guidait notre ami, pour diriger son tir et forçait ainsi l'Allemand à se tenir tranquille pour ne pas recevoir une balle. Lorsque le jour fut venu, nous le fîmes prisonnier et découvrîmes deux morts.

    Les Allemands désirant anéantir notre aile, nous nous déplaçâmes jusqu'à BERGHEIM où se trouvaient beaucoup d'hommes et de matériel.

    On voyait qu'il se préparait quelque chose. Dans la grande table de jeu qu'est un champ de bataille, où les joueurs sont les état-majors, et les pions, les pièces. Les Allemands avaient fait leur jeu et, de ce fait, nous étions déplacés, pour dire mieux nous étions en mouvement.

    Tout ce que nous envisagions devant ces montagnes de matériel, se réaliserait sûrement. Deux jours plus tard, l'offensive était lancée sur tout le front d'Alsace dans un grand effort final pour traverser le Rhin.

    Le même jour le village de GUEMAR tomba entre nos mains, pris par le premier bataillon de la Légion.  Là nous le relevâmes pour subir au crépuscule une terrible contre-attaque allemande qui nous fit reculer d'une centaine de mètres pour les reconquérir avec l’aide des tanks.

    ELSENHEIM

    A peine faisait-il jour quand se produisirent des attaques dans tous les secteurs. L'ennemi résistait avec fureur mais, bien que lentement et en faisant des trouées dans nos rangs, il céda le terrain.

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945

    Depuis que nous faisions la guerre, il nous semblait que nous n'avions vu des combats plus durs que ceux-là. Mètre a mètre, nous arrivâmes à un moulin où les boches laissèrent quelques-uns des leurs, morts ou blessés. Ceux des mitrailleuses lourdes restèrent là pour appuyer l'avance de l'infanterie légère qui, avec la compagnie de mitrailleuses légères, irait à l'attaque du bois d'ELSENHEIM.

    Ils auraient à traverser une bande de terrain complètement plate d'environ 300 mètres. La 6ème compagnie partit devant et lorsqu'elle fut à mi-chemin, elle fut surprise par le feu d'un tank qui, caché près de là, leur coupait le passage. Nos compagnons se jetèrent à terre, restant collés au sol ; pas un seul ne bougeait pendant que les projectiles tombaient au milieu d'eux, faisant un véritable carnage.

    Lorsque le feu cessa il y avait plus de trente vides dans la compagnie. Mais ils ne s'arrêtèrent pas pour si peu et continuèrent en avant jusqu'à entrer dans le bois et livrer un combat furieux contre les Allemands qui se défendaient depuis des casemates faites avec de gros troncs d'arbres. Nous et l'artillerie, nous tenions le bois sous notre feu, mais en réglant mal leur tir, les artilleurs firent des coupes sombres dans nos rangs. Délogés de leurs positions, les boches n e tarderaient pas à attaquer pour les reprendre et il était nécessaire d'envoyer la cinquième compagnie pour les tenir. S'il est permis de dire une chose pareille,  les hommes dans ce massacre tombèrent par « montagnes » et le commandant décida de se servir de tous ceux qu'il avait sous la main y compris ceux des bureaux et ce fut ainsi que l'adjudant-chef VITENS qui commandait notre section depuis que le lieutenant GUERARD était blessé, dit " ordonne aux hommes de ta section de prendre le plus possible de munitions pour les armes individuelles et de s'assurer de leur bon fonctionnement car dans un instant nous gagnons le bois pour aider les compagnies d'infanterie". Quelques minutes après nous étions en route.

    Jusqu'à l'orée du bois c'était un éclatement continuel, car les obus tombaient l'un après l'autre.

    Près de la ligne de feu nous rencontrâmes SALAVERRI qui commandait une pièce de mitrailleuse légère et qui était dans un état lamentable, mouillé, plein de boue et tremblant de froid. Je lui demandai comment étaient les positions, où je pourrais mettre les 15 hommes que j'amenais et il m'indiqua un endroit un peu en avant de sa pièce. Un trou était fait et nous y descendîmes, indiquant ensuite à chacun l'emplacement qu'il devait occuper.

    Une fois tous installés, je m'adressais de nouveau à SALAVERRI pour savoir quelles forces se trouvaient devant nous. "Regarde dit-il, je ne sais pas de quelle compagnie elles sont, mais elles sont allemandes et devant toi il y a une mitrailleuse qui tire à faire peur et je te conseille de ne pas te montrer plus".

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945

    Le 3e BLE dans les bois d'Elsenheim

    Il serait inutile de vouloir raconter avec plus de réalisme ce qui suivit. Attaques pour avancer de vingt mètres et être immédiatement contre-attaqués par les Allemands et après une brève lutte, retrouver les positions premières.

    Trois jours et trois nuits d'horreur, d'attente angoissée heure après heure, sous une canonnade terrible, avec seulement quelques minutes de sommeil agité duquel nous sortions toujours en sursautant l'horreur dans les yeux, et tout cela par une température de -20°.

    Les quelques hommes qui en sortirent, ce fut par miracle. Un obus éclata à seulement deux mètres de l'endroit où SALAVERRI s'était plaqué au sol. La déflagration de l'air le souleva et les éclats lui volèrent autour du corps, lui causant seulement une petite blessure à l'épaule. Plus tard nous comptâmes les trous de sa capote, il y en avait 14.

    Lorsque la relève arriva nous étions à bout de forces. Quelques heures de plus et il aurait été trop tard. Sur un effectif de 900 hommes, seuls 105 étaient sains et saufs.

    Plus de trois cents morts et près de cinq cent blessés. Notre bataillon était anéanti. Et tout cela en seulement trois jours et trois nuits. Nous avions seulement une consolation :  si la guerre se terminait assez rapidement maintenant, nous ne retournerions plus au front.

    Lorsque nous sortîmes du bois pour aborder la route, le commandant était là. Comme il voyait un groupe de 17 hommes commandés par un caporal-chef, il demanda à quelle compagnie il appartenait. "Ceci n'est pas un groupe, mon commandant  répondit le caporal-chef , ceci est ce qui reste de la 7ème compagnie d'infanterie du bataillon» .

    SIMON baissa la tête et ne dit rien. Derrière venait la 6ème avec 21 légionnaires, et ensuite la 5ème avec 32. La plus nombreuse était celle des mitrailleuses légères qui, avec le renfort de notre section comptait 150 hommes avant le combat. Maintenant nous restions 44.

    Avec une infinie tristesse le commandant regardait les restes de ce qui avait été le 2ème Bataillon de la Légion Etrangère. Les ombres n'étaient plus que l'ombre d’elles-mêmes. Nous marchions en traînant les pieds couverts de boue, le visage pâle et décomposé. 

    Quelques soldats des autres unités qui nous regardaient et savaient ce qui s'était passé, nous contemplaient comme si nous avions été des fantômes. Le lendemain, de retour au village de BERGHEIM qui nous avait vu partir, les gens nous demandèrent des nouvelles des autres compagnies.

    Là, le commandant, en public, nous lut un message du général de division qui nous exprimait son admiration pour la bravoure avec laquelle le bataillon avait fait son devoir. Il nous parut qu'à certains échappaient des paroles mauvaises en écoutant le message en question. Comme nous ne comprenions pas le motif de l'énorme sacrifice consenti, l'un d'entre nous le demanda au Commandant qui ne trouva rien à redire à notre question ; selon lui, c'était grâce à ce sacrifice, que nous jugions inutile, que les forces blindées qui attaquaient le Rhin trouvèrent la voie libre.

    Ce qui se passa ensuite, nous ne pûmes le croire.

    Le second jour après la relève, nous étions de nouveau en alerte pour remonter au front d'un moment à l'autre. Cet ordre causa une vague de protestations dans nos rangs. Le lieutenant GUERARD revint à ce moment de l'hôpital et nous lui exposâmes nos griefs, c'était pour qu'il en réfère plus haut, car lui seul ne pouvait rien faire et nous lui dîmes que s'il voulait nous faire tous tuer, il n'avait qu'à nous aligner contre un mur et commander le peloton d'exécution, ce qui serait plus rapide et nous empêcherait de souffrir.

    Avec son calme habituel, il nous apaisa et nous informa que le Commandant venait de me nommer caporal eu égard à mon comportement dans les derniers combats. Ceci ne me rendit pas plus joyeux, et nous nous assîmes près du feu pour nous chauffer et converser.

    La conversation languit bientôt et chacun était perdu dans ses propres pensées. Ce fut alors que nous eûmes une idée.

    Prenant une boite de corneed-beef qui traînait par-là, nous en coupâmes deux côtés et, avec un couteau, traçâmes une croix et dans le bras horizontal traçâmes cette inscription : "Caporal Domingo LOPEZ, mort au Champ d'Honneur".

    Nous l'emporterions en partant et dîmes à nos compagnons : "C'est une pitié que d'être enterré sans croix", bien que celle-là, d'un côté dise "corneed-beef" "industrie uruguayenne", et de l'autre côté porte notre nom".

    Après quelques instants de discussion sur l'utilité ou l'inutilité des croix sur les tombes, nous allâmes dormir. Peu après nous fûmes éveillés pour être prévenus qu'à l'aube nous devions être prêts à partir.  Nous pensions que cela avait ôté le sommeil à tout le monde, car sans cesse on entendait le bruit de quelqu'un qui se retourne sur sa couche.

    Avant l'heure dite, nous étions prêts. Lorsque nous fûmes pour prendre le camion, les camarades ne voulurent pas me laisser monter avec la croix, mais comme nous voulions être enterrés dans toutes les règles de l'art, je pris un autre camion où ils n'étaient pas aussi superstitieux.

    Nous nous mîmes en marche et avant d'arriver sur place on nous fit descendre, nous ordonnant de faire demi-tour et de retourner à notre point de départ, car on n'avait pas besoin de nous.

    On ne peut pas imaginer notre sentiment de délivrance.

    Criant et chantant nous arrivâmes à BERGHEIM, où nous nous mîmes à parler à perdre haleine et à rire avec ou sans motif. Pour notre complète tranquillité, nous fûmes ramenés en arrière garde.  Nous pouvions être plus ou moins sûrs de ne pas être relancés dans le combat, du moins dans l'immédiat.

    Dans le village de CHATENOIS nous fûmes reçus dans les familles et nous passâmes de bonnes journées, partant ensuite occuper les postes avancés sur la ligne Maginot pour garder les abords du Rhin où nous fûmes aussi assez bien.

    Nous revînmes de là à CHATENOIS pour être emmenés en camions à la gare d'ALTKIRCH où nous attendaient déjà les fameux wagons marqués chevaux 8, hommes 25.

    Ce voyage, fait dans d'aussi mauvaises conditions comme celui que nous avions fait peu de temps avant, dura 4 jours, à la fin desquels nous débarquâmes à la Bocca pour être transportés en camions jusqu'à MOUGINS.

    Là, nous étions mieux que personne : des lits, un château magnifique qui appartenait, selon les rumeurs à un milliardaire américain, un splendide parc l'entourait, et  il y avait une superbe piscine, et encore si tout cela ne suffisait pas, nous étions à 6 kilomètres de CANNES, où nous allions à pied tous les jours.

    Notre demi-brigade pour les combats d'Alsace fut décorée de la Croix de la Libération, et notre bataillon fut désigné pour la représenter. Nous, par malheur, ne pûmes y aller, car nous nous trouvions en prison pour un petit scandale que nous avions causé à Cannes…

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945

     

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945 

    Pour les défilés qui eurent lieu en raison de cette décoration à NICE et à PARIS, on ne nous sortit pas de prison, mais lorsqu'il s'agit de remonter au front, on vint bien nous chercher.

    DERNIERS COMBATS A l'AUTHION ET FIN DE LA GUERRE

    Priant pour que le sort nous soit favorable, nous gagnâmes les Alpes pour bouter hors de France les derniers Barbares.

    Nous prîmes une route qui court entre de hautes montagnes et en bien des endroits borde des précipices qui nous firent froid dans le dos en pensant ce qui arriverait si le chauffeur faisait une fausse manœuvre.

    A la tombée de la nuit les camions avec leurs phares allumés semblaient un immense reptile qui se traînait lentement avec ses cent paires d’yeux lumineux parmi les tours et les détours du chemin.

    Cette nuit-là nous dormîmes à une halte et à trois heures du matin nous partîmes à l'attaque.

    Nous fîmes une partie du chemin en camions pour charger ensuite le matériel à dos de mulets et continuer à pied. Nous nous approchâmes facilement du premier objectif et bientôt les autres tombèrent.

    A ce moment déjà on chuchotait que la guerre allait se terminer d'un moment à l'autre, ce qui au lieu de nous donner du courage, nous faisait penser qu'on pourrait bien être tués maintenant après avoir échappé à la mort plus de trois ans, et dans des circonstances pires.

    Enfin on nous laissa nous reposer pendant 48 heures et nous pensâmes « deux jours de gagnés sur la fin de la guerre ». Qui disait qu'elle ne pouvait pas se terminer pendant que nous étions là !

    La prochaine position que nous eûmes à prendre, nous le fîmes sans tirer un coup de feu : nous étions sous la protection du poste de commandement.

    Un matin la compagnie de mitrailleuses légères occupa un poste avancé avec quelques sections d'infanterie, et fut attaquée, perdant trente hommes, morts ou prisonniers.

    Dans l'après-midi, les Allemands prirent à notre barbe un observatoire ; la situation semblait compromise. A la nuit ARTOLA nous dit qu'il allait ordonner aux hommes de la pièce de se préparer à partir, « sans bouger beaucoup », sans se faire voir.

    Comme tout cela sentait mauvais, nous lui demandâmes ce qui se passait et il nous raconta une histoire de patrouille que bien entendu nous n'avalâmes pas, lui laissant entendre qu'il pouvait dire tranquillement de quoi il retournait, car il y avait longtemps que nous n'étions plus des bleus et que tout cela ressemblait à une charge comme une goutte d'eau à une autre goutte d'eau.

    Il consentit à admettre en effet que nous nous retirions parce que les choses allaient mal, mais qu'il ne fallait pas que nous en parlions aux autres pour ne pas les alarmer.

    la facilité avec laquelle le commandant abandonnait le terrain nous paraissait bizarre, mais nous pensâmes que du fait de la fin prochaine des hostilités il ne voulait pas s'exposer inutilement.

    Selon notre opinion, c'est une des meilleures décisions qu'il ait prise pendant les longues années qu'il fut notre chef, car il fallait voir avec quel plaisir nous mimes tout en œuvre pour lui obéir au pied de la lettre.

    A une heure du matin nous nous ébranlâmes dans le plus grand silence. Cela les mules ne le comprenaient pas et elles commencèrent à renâcler avec les caisses de munitions, faisant un bruit de tous les diables qui nous mit les nerfs à fleur de peau.

    A l'aube nous fîmes halte, rompus de fatigue d'avoir fait tout ce trajet en remorquant les mules.

    Lorsque ceux qui protégeaient la retraite nous eurent rejoints, nous nous avisâmes d'un fait curieux. Lors que vint l'heure d'abandonner les positions, notre artillerie commença à tirer sur l'endroit que nous venions de quitter et les Allemands en firent autant. Chacun préférait éviter la destruction de ses troupes en retraite, et les deux, croyant contenir l'ennemi, faisaient feu au même endroit, et chacun s'en fut de son côté.

    Et ainsi, aussi comiquement, se termina pour nous la grande tragédie qui durant des années ensanglanta le monde, endeuillant des millions et des millions de foyers. Ceci fut notre dernière intervention dans la grande lutte des démocraties contre les funestes régimes totalitaires et les dictatures abattus enfin.

    C'est dans la caserne Maud'huy des Chasseurs alpins, installée à LANTOSQUE dans les Alpes, que nous surprit la fin de la lutte.

    Nous pensions toujours qu'à ce moment-là notre joie serait immense et lorsque notre espoir de tant d'années se fut matérialisé nous restâmes comme stupéfaits, sans enthousiasme, et c'est seulement quelques heures après que nous nous mîmes à tirer des coups de feu pour faire du bruit, mais sans conviction, seulement parce que la guerre était terminée et qu'il était nécessaire de le fêter de n'importe quelle manière.

    Lorsque les officiers pensèrent que cette fantasia pouvait devenir dangereuse, ils nous retirèrent les armes et nous allâmes dormir bien tranquillement.

    Le lendemain nous fûmes acheminés vers l'ITALIE où nous devions demeurer en occupation dans un hameau dont le nom même nous paraissait sot et insignifiant « SAMBUCO ».

    Je ne me rappelle pas combien de temps nous sommes restés là, où nous ne faisions que nous abrutir, jusqu'à ce qu'enfin nous regagnâmes LANTOSQUE, continuant peu après jusqu’à ANTIBES sur la Côte d'Azur et quelques jours après, jusqu'à La FERTE-MILON, une petite gare à 60 km de Paris.

    Une fois là, on commença à envisager le commencement de la démobilisation et, comme lorsque nous avions quitté notre Patrie, nous n'avions qu'une pensée, partir … maintenant, nous n'avions qu'un désir, regagner nos foyers et pouvoir jouir des délices de la Paix.

    Ce jour inoubliable vint enfin, le 30 août 1945. A la gare d'Orléans à Paris, nous primes le train qui devait nous emmener au port de LA PALISSE, où déjà nous attendait le vieux bateau français Groix, qui nous mènerait dans les bras de ceux qui nous attendaient.

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945

    Telles furent les horreurs de la guerre auxquelles il nous fut donné d'assister sur les divers fronts où le destin nous avait conduits, et que j'ai essayé de relater, sans détails excessifs qui auraient pesé au lecteur.

    Il me reste seulement à souhaiter que ces horreurs qui nous firent bien mal au cœur, rencontrent leur compensation maximum dans le bonheur de fouler de nouveau le sol de la Patrie (d'autant plus chère qu'elle est plus lointaine), et qu'en tombant dans des bras fraternels, avec une profonde émotion, nous comprenions que dans notre âme naissaient une fois de plus des sentiments que la guerre n'était pas arrivée à détruire.

     

    FIN

     

    * "Survivant de Bir Heim" par Domingo LOPEZ -10- De l'Alsace (1945)  au 8 Mai 1945

    Le retour des Orientales célébré au pays.

    Zerpa, Salaverri, Lopez...

    Sur cette photographie figure sans doute Domingo Lopez...

     

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  • Commentaires

    1
    MEHAUT
    Dimanche 4 Février 2018 à 18:32

    Quel magnifique récit !

    2
    MEHAUT
    Dimanche 4 Février 2018 à 18:37

    La publication du récit complet est géniale,

    Ce que vous faîtes est Formidable,

    Merci pour Eux

      • Dimanche 4 Février 2018 à 21:33

        Heureux que ce récit enfin révélé rencontre ses lecteurs et qu'il vous ait touché. Merci à vous. Et Merci aux "Orientales" qui, de si loin de chez nous, ne supportèrent pas de voir Paris envahi par les Allemands... Ceci nous laisse rêveurs aujourd'hui, et reconnaissants.

    3
    durand
    Mercredi 7 Février 2018 à 08:37

    superbe,emouvant temoignage,honneur et respect...

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