• * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - Italie : la poursuite en Toscane (Juin 1944)

     

    * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - La fin de la Campagne d'Italie (Juin 1944)

    Extrait : "Parfois nous pensions que devant une si terrible tragédie, il aurait fallu qu'il arrive quelque chose, quelque chose de surhumain qui aurait mis un point final à toute cette épouvante, à toute cette absurdité. Parfois nos yeux essayaient de voir dans l'invisible pour rencontrer le signal que nous attendions inconsciemment et puis rien. Aucune des lois qui régissent l'univers ne changeait, le monde tournait impassible, imperturbable, indifférent à la clameur douloureuse lancée par l'humanité qui sentait ses entrailles se déchirer et la tuerie continuait…  Jusqu'à quand ? ... Ceci était une question à laquelle personne ne pouvait répondre"

    * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - Italie : la poursuite en Toscane (Juin 1944)

    VERS LA LIGNE HITLER ET PONTECORVO

    Avant la naissance du jour nous occupions une position un peu en retrait de la première ligne sur laquelle nous ne restâmes que pendant la journée. Avant le coucher du soleil nous la quittions et nous mettions en marche pour dormir plus près du front. Des muletiers arabes nous réveillaient à chaque instant, en passant si près de nous avec leurs mulets, qu'ils nous piétinaient presque. Nous nous insultions réciproquement ; la chose se répéta plusieurs fois.

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    Lorsque les lumières du jour nouveau dissipèrent les ombres, nous nous préparâmes à nous mettre en route. L'offensive contre la ligne Hitler était commencée. Tout près il y avait une voiture radio qui communiquait avec quelqu'un, disant des choses inintelligibles pour nous : on parlait de chiffonniers, de vieux chiffons, on citait des noms d'animaux et autres choses dans ce genre.

    Nerveusement nous nous promenions en attendant l'ordre d'avancer qui sans doute arriverait d'un instant à l'autre. L'autre groupe de la section l'avait déjà fait. Un agent de liaison vint chercher ARTOLA, chef de notre groupe, de la part du lieutenant. Nous nous préparâmes sachant que lorsqu'il reviendrait ce serait pour partir. Il revint. Appelant le chauffeur du camion, il lui indiqua à quel endroit il devrait nous attendre pour décharger le nécessaire. Le camion partit et nous derrière, portant l'arme individuelle et la couverture en bandoulière.

    La route par laquelle nous devions passer, bordée d'un côté par de grands arbres dont la plupart étaient mutilés et parfois même arrachés par la canonnade, était flanquée de l'autre côté par le MONTE LEUCIO, de triste mémoire, et qui maintenant servait d'observatoire à notre état-major, et était recherché de ce fait par les projectiles allemands dont la majorité éclataient au milieu de la trajectoire.  

    Un de ces projectiles éclata très près de nous nous jetâmes à terre, et lorsque nous nous relevâmes, nous vîmes qu'ARTOLA restait étendu. Nous essayâmes de le redresser, mais d'une voix qui n'était plus qu'un mugissement il nous demanda de ne pas le bouger, car cela le faisait terriblement souffrir. Comme nous ne voyions pas de sang nous lui demandâmes où il était blessé. Il nous indiqua son dos à la hauteur du rein gauche, et nous vîmes en effet qu'à cet endroit son ceinturon était coupé. En soulevant son linge, nous vîmes une plaie. L'obus en éclatant avait projeté une pierre qui l'avait touché avec une grande force. Heureusement, il en serait quitte pour quelques jours d'hôpital. C'était, comme disaient les Français « la belle blessure ». Les brancardiers le recueillirent et on envoya un autre sergent ; nous continuâmes notre route, enviant en nous -mêmes le sort d'ARTOLA.

    Lorsque nous arrivâmes à l'endroit où nous attendait le camion, nous prîmes les mitrailleuses et les munitions et à découvert nous les pointâmes vers le village de PONTECORVO, aux mains des Allemands et bastion de la ligne Hitler, à l'assaut duquel nous allions.

    Noua étions presque arrivés lorsque le soleil devint bas sur l'horizon. A la nuit nous creusâmes des trous et nous disposâmes à dormir. Serions-nous vivants le lendemain ? Qui sait… Notre destin est si incertain, nos vies si fragiles au milieu de cet épouvantable chaos.

    Nous fûmes tirés de notre sommeil par le ronronnement de moteurs d'avions. Sortant la tête de dessous les couvertures, nous étions éclairés par la lumière des fusées que jetaient les pilotes. « Ne bouge pas ... ne bouge pas », dirent à voix basse quelques compagnons. En un Instant nous repassa devant les yeux l'atroce dernier bombardement.  Ces cris, ces hurlements d'agonie... j'étendis la main et saisissant le casque je le mis sur ma tête, jusqu'aux yeux. Mes membres tremblaient, j'avais la bouche pâteuse et la respiration haletante.

    Nous attendions… Nous attendions le lugubre sifflement annonçant que les aviateurs laissaient tomber leur charge fatidique. Oh quelle horreur ! Quel désespoir l'attente de la bombe qui laisserait nos corps informes, mutilés, démembrés... des secondes, des minutes, comme c'est long ! Enfin nous entendîmes les explosions ailleurs et, pourquoi pas !  nous étions contents que d'autres les aient reçues, et tranquilles, nous retombâmes dans le sommeil.

    L'aube, une brume grise se levait des eaux du LIRI ; cela empêcherait que notre mouvement soit vu trop tôt.

    Lee silhouettes dispersées des hommes glissaient silencieusement ; un bruit de tanks... déjà on distinguait les premières maisons de PONTECORVO. Cette tranquillité nous faisait peur;

    Tout à coup..."tac tac tac..." chanta une mitrailleuse. "A terre ! " ordonna le Capitaine SIMON. Les premières lumières du jour traversaient le rideau protecteur de brume ;  quelques obus de mortier tombèrent aux environs. ils nous avaient vus, et c'était une barrière de fer et de feu qui nous coupait le passage, formée par le pilonnement incessant des boches.

    Le capitaine SIMON fixa des emplacements et lorsque quelque obus tombait près du sien, il se signait. Quels grands avantages ont, dans les moments où la vie est en jeu, les croyants sur les incrédules. Ces derniers regardaient le Capitaine non sans une certaine envie. Dans les moments les plus périlleux, avec une brève oraison ou seulement une simple prière, il se retrouvait serein, tranquille, disposé à mourir en paix avec Dieu et sa conscience.

    Les incrédules, par contre, pour dominer la peur devaient faire des efforts de volonté énormes, mais ils pouvaient se vanter de ce que leur valeur ne devait rien à personne, qu'elle était bien à eux, et qu'il était plus difficile de s'exposer à la mort tout en sachant qu'on allait vers l’épouvantable abîme du néant, plutôt que de mourir avec l'espoir d'une vie meilleure.

    Bans un grand fracas les tanks s'avancèrent pour donner l'assaut. Nous suivîmes leurs traces. Après une brève lutte le village fut à nous.

    A midi ils contre-attaquèrent et nous dûment céder devant eux. Nous nous réorganisâmes revînmes, et de nouveau il tomba entre nos mains, pour que nous le perdions une seconde fois.

    PONTECORVO était un bûcher, de rares maisons restaient debout, tout était en ruines et ce n'était pas pour rien, puisqu'il faut tenir compte du fait que chaque attaque était précédée d'un pilonnement, chaque fois qu'ils contre-attaquaient.

    * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - La fin de la Campagne d'Italie (Juin 1944)

    Soldats de la DFL dans Pontecorvo

    Par moment on se déplaçait presque à tâtons parmi les nuages de fumée et de terre qui flottaient dans l'air.  Nous avions l'impression que notre commandement, comme Napoléon, voulait dormir sur le champ de bataille et pour la troisième fois nous nous lançâmes contre l'ennemi. Ils se défendirent tenacement, avec l'espoir sans doute qu'à la nuit nous abandonnerions notre pression. Chaque maison était un fort, chaque tournant une embuscade ; mais, malgré tout, nous gagnions du terrain et au coucher du soleil nos alliés canadiens traversèrent la rivière et PONTECORVO fut nôtre définitivement.

    * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - La fin de la Campagne d'Italie (Juin 1944)

    Pontecorvo

    La ligne Hitler était coupée et par cela même la route de la Ville Eternelle était ouverte, "Tous les chemins mènent à Rome", nous irions par celui-ci.

    Comme un torrent nos troupes débouchèrent dans la vallée du LIRI derrière les troupes allemandes qui laissèrent une grande quantité de morts.

    Ils se retranchèrent dans le village de SAN GIOVANNI, mais les tanks se chargèrent de les déloger.

     

    * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - La fin de la Campagne d'Italie (Juin 1944)

    San Giovanni - Paul Gaujac

    Notre Bataillon revint au repos à l'arrière, nous avons campé près d'une grange, et,   après avoir lavé notre linge et nettoyé nos armes, nous pouvions dormir tout notre saoul.

    Les pertes subies dans les divers combats s'avérèrent assez élevées. De trois compagnies d'infanterie, composées de plus de 100 hommes chacune, deux durent fusionner pour en recomposer une, d'effectif réduit, le 22eme bataillon de Nord-Africains devant arriver plus tard en renfort.

    Nous restâmes là seulement un peu plus de deux jours, mais nous avions saisi l'occasion pour nous réunir les amis de toujours :  ZERPA, REAL DE AZU, BORELLI, SALAVERRI et quelques autres, pour prendre un chocolat et nous raconter les incidents que nous avions vécus.

    Un après-midi, le lieutenant GUERARD passa la revue d'armes, en donnant l'ordre de nous tenir prêts à partir. Déjà nous nous demandions où nous allions, mais cela avait cessé de nous intéresser. Pour tuer ou pour mourir, n'importe quel endroit était bon, n'est-ce pas ? aussi bien ce jour qu'un autre. Nous avions tout le temps.

    Nous partîmes et après quelques heures de voyage nous plantâmes le camp près d'une maison de campagne.

    Le matin, il y eut une grande effervescence ; on avait dénoncé au commandant un fait répugnant : un légionnaire, après l'avoir frappée avec la crosse de son revolver, avait violé une fillette de 10 ans. On fit des recherches pour retrouver l'auteur de ce sauvage attentat, qui s'avéra être un arabe. Avant midi, sans jugement, il fut conduit dans un petit bosquet, sous la garde de quatre hommes armés, qui, après l'avoir dépouillé de son uniforme, le fusillèrent. En ce cas les quatre balles furent simple théorie puisque l'homme en reçut dix-huit.

    Un défilé était organisé à ROME, qui se trouvait au pouvoir des alliés, et une de nos compagnies devait y participer, car nous pensions qu'indiscutablement la Légion Etrangère par ses sacrifices, avait des droits certains pour entrer dans la capitale Italienne.

    Défilé à Rome - Au fond : le Colisée 

     

    Paul Poggionovo (Bimp) hissant le drapeau Français au palais Farnèse

    Nous quittâmes CECCANO et roulâmes sur des pistes poussiéreuses pour gagner la route de Rome, la n° 6, qui fut la première fourmilière que nous vîmes dans le Paradis Mussolinien, en faisant halte à 20 kilomètres de Rome. A cet endroit le front avait une pointe qui pénétrait assez profondément dans les lignes allemandes. Nous primes position sur une hauteur, au pied de laquelle s'étendait une vallée d'environ trois cents mètres,  et au fond se trouvait une autre colline où se tenaient les allemands dans un village appelé TIVOLI, qui était notre objectif.

    Cette nuit-là nous apprîmes que le débarquement avait eu lieu en France, et pour la première fois nous pensâmes à la fin de la guerre. Ca finira rapidement, pensions-nous.

    L'ordre fut donné de commencer la progression. Lentement et en silence, essayant d'éviter la lumière de la lune, à l'ombre des arbres, nous descendîmes dans la vallée. Avec nous se trouvait un bataillon de marche français. A la moitié du parcours notre avant-garde tomba sur un petit poste allemand dont les occupants s'enfuirent après une petite escarmouche. Les canons boches se firent aussitôt entendre, mais leurs projectiles passaient au-dessus de nos têtes. "S'ils continuent à tirer de cette façon tout ira bien et nous pourrons dormir un peu. Ils pensent que nous sommes plus éloignés"

    TIVOLI

    Le feu des Allemands cessa. Le camp se retrouva enveloppé de silence, et la lune pâle éclairait notre sommeil. Avant l'aube nous nous réveillâmes. Nous préparâmes nos affaires et jetâmes un dernier coup d'oeil aux armes. Les chefs de section donnèrent leurs instructions à voix basse.

    Déjà l'horizon prenait les teintes livides de l'aube quand, silencieusement, séparés les uns des autres par une distance de dix à vingt mètres, les hommes de notre infanterie légère partirent pour TIVOLI. Les mitrailleuses lourdes restaient un peu en arrière. Quand on nous l'ordonnera, ce sera notre tour.

    Le premier choc se produisit au pied de la colline, avant d'arriver au village. Sûrement que les nôtres étaient arrivés par surprise, parce qu'on n’entendit pas les mitrailleuses allemandes, seulement les mitraillettes de nos compagons et quelques rafales courtes des leurs.

    Pendant que notre artillerie pilonnait le village, nous allions de l'avant.  Nos fantassins se battaient déjà dans les premières maisons. Avec de larges rafales de nos armes, nous essayâmes de mettre hors de combat les armes automatiques de l'ennemi.

    Quelques légionnaires passèrent près de nous, poussant les premiers prisonniers. Le bruit du combat allait en s’intensifiant; nous les roulâmes facilement, mettant merveilleusement à profit le facteur surprise qui nous avait favorisé. Le soleil n'était pas très haut que déjà TIVOLI était à nous. Rapidement nous prîmes toutes dispositions pour le défendre d'une éventuelle contre-attaque. Les canons anti-tanks arrivèrent et furent immédiatement installés aux endroits stratégiques. Les boches ne se résignèrent pas à être battus si facilement et ils ne se firent pas attendre :  sous la protection de trois chars "Tigre", ils se lancèrent contre nous qui résistâmes fort bien au premier choc ; mais par malheur, un canon après avoir détruit un tank fut mis hors d'état et presque tous les servants tués.

    Il y eut un trou où s'engouffrèrent les deux chars restants et l'infanterie menaçait de nous déborder ; le repli fut ordonné et effectué sans presse dangereuse.

    Un autre tank allemand brûla dans une rue. Beaucoup de maisons étaient aussi en flammes et on entendait de partout des cris de douleur. Il ne se passerait pas ici la même chose qu'à PONTECORVO.

    Nous nous arrêtâmes aux dernières rues opposant aux attaquants une résistance tenace qui fut renforcée par l'arrivée opportune de quelques-uns de nos chars d'assaut et destructeurs de tanks, avec l'aide desquels nous revînmes sur nos pas en contre-attaquant et après une courte lutte à brève distance nous nous appropriâmes le village pour la seconde fois.

    Les Allemands considérant qu'ils étaient complètement battus sur ce point se retirèrent et nous pûmes ensuite nous livrer à une vérification méthodique de toutes les maisons parmi lesquelles se trouvait un château de Mussolini, à demi détruit par le combat. Ce qui ne nous empêcha pas d'y pénétrer et de nous approprier des choses d'une valeur certaine.

    Durant le reste de la journée il régna dans ce secteur un calme absolu. Ni un coup de feu, ni un coup de canon. On aurait dit que ce qui s'était passé n'était qu'un horrible cauchemar, que la guerre n'existait pas, que de tels crimes ne pouvaient assombrir les champs qui ondulaient doucement, le soleil radieux et le ciel bleu. La nature na pouvait pas avoir mis ici tant de beauté pour que les hommes l'assombrissent avec leur brutalité ;  mais il gisait des témoins muets qui prouvaient que nous ne dormions pas  : c'était ça la guerre.

    Ici étaient étendus les corps des amis et des ennemis, avec les blessures les plus horribles, dans les positions les plus douloureusement ridicules, nous démontrant cruellement qu'un homme est vraiment peu de chose.

    Parfois nous pensions que devant une si terrible tragédie, il aurait fallu qu'il arrive quelque chose, quelque chose de surhumain qui aurait mis un point final à toute cette épouvante, à toute cette absurdité. Parfois-nos yeux essayaient de voir dans l'invisible pour rencontrer le signal que nous attendions inconsciemment et puis rien. Aucune des lois qui régissent l'univers ne changeait, le monde tournait impassible, imperturbable, indifférent à la clameur douloureuse lancée par l'humanité qui sentait ses entrailles se déchirer et la tuerie continuait…  Jusqu'à quand ? ... Ceci était une question à laquelle personne ne pouvait répondre.

    A la nuit tout était parfaitement calme. Les sentinelles placées, nous ne tardâmes pas à aller dormir en cherchant à le faire de la façon la plus confortable. A l'aube nous étions tous debouts et bien réveillés. Nous prenions seulement les précautions nécessaires à cette heure qui était la plus propice aux attaques par surprise.

    PERMISSION A ROME

    A environ huit heures du matin, le lieutenant nous fit appeler ; nous nous présentâmes et il nous demanda si nous aimerions aller en permission à ROME, ce que nous acceptâmes, enchantés : nous verrions ainsi des choses qui nous rappelleraient notre vie d'étudiant et que nous n'aurions jamais supposé voir autrement que dans des livres : la masse importante du Colisée ou nous laissions vagabonder notre imagination, revoyant le martyr des chrétiens dévorés par les fauves pour divertir un peuple de fous, comme son maître, et comme lui assoiffé de sang.

    Nous allâmes à la Basilique Saint-Pierre, restâmes subjugués devant la beauté des peintures de la coupole de Michel-Ange ; bien que profanes, nous sentions le réalisme de cette couleur la douceur infinie qui irradiait les regards, les sourires des anges et des vierges donnant l'impression que leurs ailes se mouvaient et que d'un moment à l'autre il allaient nous frôler, et que nous allions entendre le son séraphique de leurs voix. Il est vraiment dommage que nous ne puissions décrire de telles beautés sans avoir peur de les   flétrir.

    Le monument au roi Victor-Emmanuel, d'une imposante grandeur, nous parut magnifique, tant par ses dimensions que par sa beauté. Il était tout proche du Pallazzo Venezzio, d'où le Duce vomissait ses diatribes incendiaires contre les démocraties, poussant le peuple italien à se lancer dans l’aventure d'une guerre qui devait lui coûter si cher, avec la promesse d'un empire puissant… Songe de fou que le feu de la vérité a réduit en cendres.

    Après toutes ces promenades il ne nous restait de temps que pour visiter des endroits qui pour nous étaient de première importance :  les bars. Ainsi passa notre goût artistique qui s'était si soudainement réveillé devant tant de merveilles architecturales tant anciennes que modernes, et à la tombée du jour nous baignions nos têtes enfumées par l'alcool dans les fontaines publiques, et nous vomissions du camion tout ce que nous avions ingéré tout au long de la Via Nazionale.

    La nuit était déjà tombée lorsque nous regagnâmes notre Bataillon et comme il n'y avait rien de nouveau nous dormîmes toute la nuit. Nous allions continuer de poursuivre l'ennemi en retraite.

    Nous traversâmes ROME sous les acclamations du peuple. Celles-ci étalent les suivantes : "Vive la France ! Une cigarette ! Une cigarette ! Vive la France  ! Ayez-vous quelque chose à manger ? ». C'était dans cette triste situation que se trouvait le pauvre peuple italien ; ils acclamaient les Français, les Américains, et les Anglais, en échange d'une cigarette ou d'une boîte de conserves.

    Après la traversée du TIBRE nous vîmes les premières traces de l'ennemi ; l'aviation leur avait rendu visite, et partout on rencontrait au bord de la route des véhicules détruits, des cadavres d'animaux et d'hommes dans un amalgame invraisemblable, qui dégageaient une odeur répugnante qui nous obligeait à porter nos mouchoirs à nos nez. Nous passâmes par VITERBO qui, quelques heures avant, était encore entre les mains des boches qu'ils avaient abandonnée devant notre approche. Elle  était en ruines à cause des bombardements aériens et on pouvait voir dans ses rues les corps mutilés de beaucoup de ceux qui avaient été ses habitants, mélangés à ceux de quelques Allemands.

    Après un parcours de plus de 150 kilomètres nous nous arrêtâmes dans le village de MONTEFIASCONE pour passer la nuit. A l'aube nous avançâmes de nouveau et après avoir contourné le lac BOLSENA, nous attendîmes les événements, installés près de l'artillerie lourde qui tirait sans discontinuer. Les Allemands avaient contre-attaqué dans le secteur de la 3e division et nous venions à son aide. Chaque fois que quelque unité française essuie un échec ou se trouve en difficulté, on envoie à son secours les forces de choc de la Légion Etrangère.

    * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - La fin de la Campagne d'Italie (Juin 1944)

    Montefiascone

    L'infanterie avait été abandonnée à son sort par les tanks américains qui la protégeaient et elle avait été obligée de se retirer en abandonnant beaucoup de matériel de guerre. Nous prîmes position à 200 mètres du lac en profitant de la nuit pour attaquer à l'aube, appuyés par des tanks qui cette fois, heureusement, étaient conduits par des Français. L'aube naissait lorsque les lourdes masses d'acier firent entendre le ronronnement de leurs moteurs et, dépliées, faisant feu de toutes leurs bouches, firent face à l'ennemi. Inutilement l'artillerie allemande prétendit arrêter leur avance par un feu nourri, nous marchions derrière. Voyant que leur résistance serait vaine, ils préférèrent se retirer presque sans lutte. Notre mission était terminée.

    Nous partîmes pour aller camper au bord du lac.

    La nuit les avions patrouillèrent sur nos têtes sans bombarder. Au lever, bien que très tôt, nous primes avec délice un bain dans les eaux pures du lac BOLSENA.

    Dans l'après-midi nous partîmes de nouveau, sans savoir où, et le convoi s'arrêta à 15 ou 20 kilomètres ; on nous fit descendre des camions pour dresser le camp dans une oliveraie, toujours sur les bords du lac.

    Depuis le matin nous étions prêts à avancer, attendant l'ordre de marche qui arriva à 17 heures et fut exécuté séance tenante.

    Après avoir traversé le village d'AQUAPENDENTE, nous nous arrêtâmes près de la ligne de feu. Nous continuâmes et en traversant un petit cours d'eau le convoi fut attaqué par un tank qui attendait, caché, et qui parvint à tuer quelques soldats, à en blesser d'autres, ainsi qu'à détruire deux ou trois camions.

    RADICOFANI

    Un peu après, nous stoppâmes pour passer la nuit et une partie du lendemain. Sous une forte averse nous nous mîmes en route pour nous arrêter 15 ou 20 kilomètres plus loin, attendant les ordres. Il pleuvait avec persistance et l'artillerie allemande mettant à profit le déplacement de la nôtre, n'arrêtait pas de tirer, faisant siffler les obus sur nos têtes. Dans la nuit 11 continua de pleuvoir et nous étions tous mouillés. Le matin, comme les allemands ne se décidaient pas à nous opposer de résistance, nous les suivîmes jusqu'à RADICOFANI, où après une lutte courte et violente, le 1er Bataillon de la Légion, ainsi que nous, infligèrent une nouvelle défaite aux troupes nazies.

    RADICOFANI est un village situé sur le flanc d'une colline régulièrement élevée, avec un vieux château qui, à cette occasion, joua le rôle d'une véritable place forte. Selon les documents que nous trouvâmes dans le secrétaire du commandant, qui s'était suicidé plutôt que de se rendre, les troupes sous son commandement avaient pour mission de nous arrêter pendant trente-six heures au moins. Tout ce qu'elles purent résister ce fut environ quatre heures ! Des trois cents hommes, seulement une trentaine purent s'échapper. Nous continuâmes de l'avant, toujours sous la pluie, et nous nous préparâmes à relever le 1er Bataillon, maintenant il marcherait derrière nous pendant que nous poursuivions l'avance.

    L'ennemi prévint ce mouvement et redoubla son feu d'artillerie grâce à ses tanks qui étaient à proximité, envoyant un de ses projectiles sur une jeep qui fut incendiée et dont trois des occupants furent tués.

    * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - La fin de la Campagne d'Italie (Juin 1944)

    La pluie nous démoralisait, mais malgré tout, pendant la nuit, terriblement fatigués et déjà épuisés, mouillés et crottés, nous chargeâmes les mitrailleuses dans le camion, nous préparant à aller de l'avant. Nuit noire, seulement éclairée par les lumières livides des fusées. Courbés, traînant nos pieds douloureux et demandant par moment à la mort de nous délivrer de tant de misères et de tant de souffrances, nous allions en avant, toujours en avant, insensibles à cause de l'horrible fatigue et cheminant comme des automates. Rapidement nos nerfs furent de nouveau tendus, un tank ennemi barrait la route avec ses canons, bouchant le passage et il fallait passer.

    Le lieutenant qui marchait en tête ordonna de faire halte, et nous le fîmes contre le talus de la route. Nous ne pouvions pas calculer le temps qui s'écoulait entre chaque coup parce que le maudit boche tirait irrégulièrement. Et il fallait passer !

    Peu avant nous désirions la mort pour être libérés de tout ça, mais devant le péril, nous réagissions en nous raccrochant à la vie de toutes nos forces et comme toujours, l'idée de mourir nous horrifiait.

    Le lieutenant GUERARD se décida à passer le premier et, une fois de l'autre côté, de faire un signal avec sa lampe pour qu'un autre le suive. Lentement il s'approcha jusqu'à l'endroit ou éclataient les grenades et nous le perdîmes de vue dans l'obscurité. Ensuite nous nous mimes de l'autre côté de cette barrière de feu pour tenter d'apercevoir le signal convenu et, effectivement, nous le vîmes environ deux minutes plus tard. Le sergent passa et derrière, par ordre de grades, d'autres le suivirent un par un jusqu'à ce qu'arrive notre tour. A plat ventre dans le fossé de déversement de la route nous approchâmes à environ vingt mètres de l'endroit dangereux ; toujours en rampant nous allâmes jusqu'au milieu du chemin, cherchant un terrain pour pouvoir courir quand le moment en serait venu.

    Peu à peu, je me mis debout et lorsque le tank arrêta de tirer, à toutes jambes je me jetai en avant les yeux fermés et les mâchoires serrées. Les dizaines de mètres pendant lesquels je courus, ce fut avec l'énergie du désespoir et je me laissai tomber sur le sol.

    Après un bref repos nous repartîmes et arrivâmes à un endroit où la route passait entre deux collines et alors nous nous arrêtâmes pour passer la nuit ; n'importe où nous étendîmes la couverture et le tapis de sol, et sous cet imperméable nous nous installâmes. La seule chose que je fis fut de changer de chaussettes que j'avais collées aux pieds à vif et sanglants, ne formant qu'une plaie.

    Après quelques heures de sommeil, en me retournant, je me réveillai à moitié et m'aperçus que nous étions dans la boue, ce qui n'interrompit pas mon repos.

    A peine fit-il jour que nous reçûmes l'ordre de partir. Malgré ma bonne volonté, cela me fut impossible à cause des plaies de mes pieds et le lieutenant m'ordonna de monter dans   le camion.

    L'ennemi reculait et nous le suivions en occupant les positions qu'il abandonnait jusqu’à un petit village qu'il tenait sous le feu de ses tanks. L'un d'entre eux, caché, finit sous une pièce anti-tank, tuant ou blessant tous ses occupants.

    Ce jour-là, notre ami ZERPA sauva sa vie miraculeusement  :  avec une jeep, il devait assurer la liaison des forces avancées avec le poste de commandement, et pour cela il devait forcément passer dans le ligne de tir des tanks allemands cachés dans le voisinage. Avant d'arriver au point de chute des projectiles il imprima à son véhicule un mouvement de zig-zag. Le voir et lui tirer dessus fut vite fait. Avec nos jumelles nous suivions la progression de la première voiture, conduite habilement et sûrement par notre compatriote. Devant, derrière et sur les côtés s'élevaient des nuages de poudre et de fumée qui nous indiquaient les points d'impacts.

    Avec un soupir de soulagement nous vîmes qu'il avait dépassé la zone dangereuse sans avoir été touché. Avec une joie folle nous vîmes que la relève avait été effectuée à midi et vers quinze heures nous quittâmes le front.

    Depuis le Garigliano jusqu'à 170 kilomètres au nord de l'Italie, très près de la ville de SIENNE, nous avions délivré beaucoup de villages et beaucoup de kilomètres de territoire de la peste grise, mais beaucoup de nos camarades restaient sur le champ. Pour les habitants de cette partie de l'Italie, la guerre était terminée, mais pour nous, ce n'était que le terme d'une étape. Le moment de se reposer n'était pas encore arrivé. Où serait la seconde, quand ? Nous le saurions peut-être plus vite que nous ne le voulions…

    Après quatre heures de voyage nous fîmes halte de nouveau près du lac BOLSENA. Pendant le voyage nous avions vu au bord de la route un cimetière ou flottait le drapeau français avec une banderole portant la croix de Lorraine ; nous le regardâmes sans pouvoir dominer notre tristesse, et une profonde émotion envahit nos coeurs.

    * Survivant de Bir Hakeim par Domingo LOPEZ - 8 - La fin de la Campagne d'Italie (Juin 1944)

    Du fond du coeur nous leur adressâmes un salut d'adieu. Pauvres camarades, dont le retour était espéré inutilement désormais, par des mères, des frères, des épouses ou des fils, comme nous étions attendus nous-mêmes et, qui sait, peut-être en vain aussi.

    En arrivant au terme du voyage nous campâmes à un endroit où il n'y avait pas un arbre pour nous protéger de la chaleur accablante. Nous y restâmes quatre jours et le cinquième, après une marche à pied de quelques kilomètres, nous montâmes dans les camions, vers deux heures du matin, traversâmes ROME  au lever du jour.

    A neuf heures, nous étions à ANZIO, où nous attendaient des petits transports de troupe américains. Nous embarquâmes sur le US 670. Sur ces navires, comme sur les autres qui nous avaient déjà transportés, sauf l'Ile de France, nous étions serrés, bien que plus en ordre. Il y avait des lits disposés les uns au-dessus des autres, ce qui nous évitait de nous déranger pendant le sommeil.

    Nous levâmes l'ancre à 10 h20 et naviguâmes tout le jour en longeant la côte, ce qui rendait le voyage plus attrayant. Le bateau tanguait beaucoup et nous ressentions un certain malaise déjà connu de nous, mais heureusement très léger.

    Dans les dernières heures de l'après-midi nous étions en vue du port de NAPLES, et nous y débarquâmes à la nuit. Nous traversâmes en camions, la ville endormie, faisant le même chemin que la première fois que nous étions passés par là, pour nous arrêter à ALBANOVA.

    Une fois terminée l'installation du Bataillon nous eûmes la permission de nous rendre à NAPLES.

     

    A suivre....

     


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