• * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 - Dans l'enfer de Bir Hakeim (1942)

    A partir du 25 Mai 1942....

     

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 - Bir Hakeim

     

    Nous nous dirigeâmes vers Bir Hakeim comme renfort des troupes qui y étaient cantonnées. L'offensive allemande était dans toute son apogée et les troupes anglaises se retiraient devant le rouleau compresseur de l'Afrika Korps.

    Peu avant d'arriver à Alexandrie nous fûmes surpris par une tourmente de sable qui laissait à peine avancer les camions car elle empêchait presque totalement la visibilité des chauffeurs. Le convoi se composait d'une trentaine de camions transportant 8000 obus de canon de 75 et plus ou moins 100 (1000 ?) hommes. Cette nuit-là, nous la passâmes à Alexandrie et, aux premières lueurs de l'aube nous continuâmes pour arriver à Bir Hakeim à midi passé.

     

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Colonel Amilakvari

    Nous fûmes mis en présence du chef de la Légion, le Colonel AMILAKVARI, qui en un instant nous affecta aux compagnies dont nous devions faire partie.

    Avec ZERPA et BOLANI nous fûmes désignés pour la. C L. 3 (cie lourde n°3), SALAVERRI, et l'argentin PARDO et d’autres pour la C.L. 2 et SEQUEIRA pour la 5 a. d'infanterie légère, restant de cette manière tous dans le même Bataillon n° 2 de la Légion Etrangère,

    Il n'était pas besoin d'appeler notre attention sur l'activité qui régnait ici. Tous les soldats creusaient de profonds trous, mettant dessus des morceaux de bois, des pierres ou des morceaux de fer qu'ils trouvaient, laissant une petite entrée.  

    Nous restions à regarder tous ce mouvement, lorsque nous fûmes appelés de nouveau, cette fois pour être présentés au Capitaine Commandant de compagnie.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Capitaine Jean Simon

    Celui-ci était un homme de haute stature, blond, et qui parlait d'une voix de fausset qui nous causa une mauvaise impression. Il n'était pas beaucoup plus vieux que nous et était borgne : en Syrie une balle était entrée derrière son oreille lui emportant l'oeil droit.

    Il nous demanda nos noms et notre pays d'origine et nous dit ensuite : « Vous êtes volontaires, vous venez de loin pour lutter pour ma Patrie et je vous en suis reconnaissant ; sans doute êtes-vous pleins de bonne volonté. Maintenant vous devez savoir que la guerre n'est pas une fête, ici on meurt et on tue, par ailleurs, vous le verrez bientôt". C'est tout. Un moment après un sous-officier nous emmena aux pièces de 75 anti-chars que nous devions servir. Comme chef de pièce nous avions un basque nommé Luis ARTOLA, et comme compagnons, un belge, un polonais, deux espagnols et un tchèque.

    «Vous arrivez en un mauvais moment», nous dit le belge. « Pourquoi ? », demandâmes-nous.

    Un des espagnols entra dans la conversation. « Vous parlez espagnol ? »  Nous lui dîmes que oui. « D'où venez-vous ? ». D'Uruguay. "Et d'Amérique, tu viens mettre le nez dans un pareil enfer, idiot ? " Il était andalou, et quand il parlait il n'était pas difficile de s'en rendre compte. Comme nous restions à le regarder il continua à déverser un torrent de paroles, duquel nous comprîmes à peu près ceci :

    Ce matin il y avait en vue de puissantes colonnes allemandes qui avançaient en direction de la position. Le choc maintenant était inévitable, et voici pourquoi tout le monde se préparait avec tant de hâte. L'Espagnol nous invita à partager le trou, chose que nous acceptâmes avec reconnaissance parce que cela nous évitait d'en creuser un.

    Notre canon était dans un puits circulaire de 50 cm de profondeur et de deux mètres de diamètre. Disséminés à 10 ou 15 mètres de la pièce, les abris individuels.

    Bir Hakeim signifiait en espagnol « Puits du diable ». Pensez si le nom allait bien lui aller.

    L'endroit avait environ 5 kilomètres carrés, et pas une seule défense naturelle. Seul, un antique fort de pierres à demi détruit et qui devait en d'autres temps être un dépôt d'eau. Là étaient placés nos mortiers. Le champ était complètement miné, avec de petits sentiers que seuls connaissaient ceux qui étaient là ; ils aidèrent grandement à la défense que nous fîmes de ce lopin de désert. 

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Les forces concentrées en ce lieu représentaient environ 4.500 hommes (3700 ndlr).

    Le second et le troisième bataillon de la Légion un Bataillon de Tahitiens, les fusiliers-marins français avec des canons anti-aériens, quelques anglais avec la môme mission et l'artillerie coloniale avec des canons de 75 de longue portée.

    La nuit de ce 26 Mai arriva. L'air paraissait imprégné de nervosité, les sentinelles avaient été doublées et tous éveillés pour une quelconque éventualité. Nous fumions et pensions. Notre pensée s'envolait loin... loin... Que se passait-il à la maison ? Maman ne devait pas savoir que nous étions ici, sûrement pas, nous n'avions pas encore eu le courage de le lui dire…

    Revenons à la situation actuelle. Nous fumions en silence. « Halte-là ! Le cri de la sentinelle rompit le calme. L'autre donna le signal et le renseignement, ils échangèrent quelques paroles et de nouveau le silence nous entoura, l'énorme silence du désert. Il faisait froid.  Nous avions peur sur le moment de nous voir pour la première fois aux prises avec l'ennemi. Nous ne le croyions pas, nous l'avions tant désiré. Un officier faisait sa ronde ; la sentinelle refit entendre sa voix. « Rien à signaler ? », demanda l'officier. « Rien, mon lieutenant ».

    « Faites très attention, nous dit le lieutenant, parce que ça peut commencer d'un instant à l'autre".

    Nous nous endormîmes en pensant à ces paroles. D'un moment à l'autre ... d'un moment à l'autre...

     

    BIR HAKEIM - 16 JOURS D’ENFER

    Le jour du 27 Mai arriva. Avec les premières lueurs de l'aube arriva jusqu'à nous le bruit d'une forte canonnade en direction du sud.

    A 9 heures du matin se présentèrent en face de notre bataillon un certain nombre de tanks de la division italienne « Ariete » et le combat commença.

    Comme premiers servants nous devions apporter s obus au chargeur.

    La peur que nous sentions au début de la lutte était si grande que nous ne nous risquions pas à nous montrer loin de la tranchée qui nous était destinée ;

    Nous n'aurions pas aimé regarder ce qui se passait devant parce que nous pressentions que la panique nous aurait saisi. Nous faisions des efforts incroyables pour rester calmes et cacher aux autres que nous étions effrayés.

    Rapidement un cri angoissé arriva à nos oreilles et ensuite une main me toucha à l'épaule : « Occupe le poste du chargeur qui a l'air d’être mort » m’ordonna ARTOLA. Mais comme Je n'avais pas d'expérience, je m'excusai piteusement.

    Le chargeur qui devait être toujours debout était exposé aux éclats des grenades allemandes et je voulais éviter ce péril par cette honteuse esquive. Et penser qu'une heure avant je me croyais courageux et qu'avant, rien ne me faisait reculer.

    La cruelle réalité de cet enfer me convainquit du contraire, ma valeur était surfaite.

    « Allons, hors du trou et charge le canon, il n’y a pas de temps à perdre », disait ARTOLA impatient.

    En tremblant je sortis du trou qui m'offrait une sécurité relative. Avec difficulté - dominer ses nerfs étant chose peu facile, ce dont je manquais en ce moment, je commençai à introduire l'obus dans la chambre, me jetant rapidement à terre.

    Le départ sonna ; je sentis un rude coup sur les côtes et criai « je suis blessé ! ».

    Il est indiscutable que les moments les plus tragiques de la vie ont leur côté comique. En tenant le côté douloureux ; je me relevai, les compagnons rirent. Ce qui s’était passé était, qu'en se jetant au sol, je l'avais fait derrière la roue du canon qui, en revenant, me frappa avec violence. En me rendant compte du ridicule dans lequel je m'étais mis, mes yeux se brouillèrent de larmes de rage et de honte C'était ce qu'il me fallait ; je serrai les dents et pris une farouche résolution. De moi personne ne pourra plus rire, jamais. Peu à peu, j'arrivai, non pas à perdre, mais à dominer la peur. Maintenant nous n'entendions plus le fracas du combat parce que nous étions assourdis. Le canon chargé, et prêt à introduire un autre obus, nous regardions alentour avec une espèce d'ivresse.

    Des nuages de fumée et de sable empêchaient de voir très loin, chose que les tanks mettaient à profit pour s'approcher ; ils venaient en zig-zag, cracher le feu, puis reculaient, ces masses d'acier se déplaçaient vite, cherchant le côté faible pour rompre nos lignes.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Rapidement une explosion d'un bruit terrible interrompit sa route. Il avait sauté sur une mine. Si les occupants descendaient, les armes automatiques de nos fantassins se chargeaient d'eux et les canons achevaient le travail de la mine. Pendant une courte trêve au cours de laquelle le coeur de l'offensive se porta sur un autre point, nous pûmes enlever le cadavre de notre compagnon. Le belge le prit par les pieds, et nous par les bras et nous le portâmes un peu plus loin pour essayer de l'enterrer au cours de la nuit. Un éclat de grenade lui avait ouvert le ventre. Les tanks ennemis faisaient un grand effort pour anéantir notre résistance. Jusqu'à ce que six d'entre eux parviennent à faire irruption dans la position.

    Ensuite on vit des actes d'héroïsme. Avec des bombes à la main les légionnaires se lancèrent à l'assaut des tanks les détruisant et faisant des prisonniers ou tuant les occupants. Peu à peu, l'ennemi perdit ses forces, relâcha sa pression. Au milieu de l'après-midi il commença à se retirer laissant sur le champ beaucoup de tanks détruits et, par conséquent, quelques morts.

    La tranquillité revint, mais nous savions que ceci n’était pas le principal et pensions avec angoisse que ça y était cette fois, la première et la dernière occasion de combattre. Ici nous ne voyions que deux possibilités :  tomber en combattant ou lever les bras pour se sauver la vie, terminant la guerre entre les grillages d'un camp de concentration, car nous savions que nous étions assiégés.

    La majorité des légionnaires était des espagnols républicains qui Jamais un instant ne pensèrent à se rendre, car, entre être envoyés à Franco ou mourir en combattant, ils préféraient la seconde hypothèse.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

     

    Le 28 commença le rationnement de l'eau à raison d'un litre par homme.

    Avec une température de plus de 40° et le sable qui nous fouettait sans cesse, la soif était notre désespoir, un supplice ; quand la souffrance était intolérable nous nous rafraîchissions la gorge avec un trait que nous prenions avec beaucoup de soin, comme s'il s'agissait d'or liquide.

    Ce jour-là, nous ne fûmes pas attaqués, mais les Stukas nous visitèrent et l'artillerie et les mortiers ne nous laissèrent pas en repos. Seulement pendant la nuit nous eûmes un peu de répit et pûmes manger, prendre un peu de thé chaud, préparé dans les profondeurs de quelque trou. Nous profitâmes aussi de l'obscurité pour approvisionner en munitions les troupes.

    Le 29, le troisième bataillon de la Légion organisa quelques contre-attaques qui n'avaient pas l’intention, nous le supposions, de faire reculer l'ennemi, dix fois supérieur en nombre et possédant un matériel que nous ne pouvions pas concurrencer. Elles n'avaient d'autre but, nous pensions, que d'éprouver la résistance des lignes ennemies, parce qu'elles se succédaient sans aucun résultat positif pour améliorer notre situation.

    Ce jour aussi prit fin et pendant ce temps nous entendions siffler sur nos têtes les obus qui ne faisaient pas de victimes, car nous étions tous cachés sous la terre comme des taupes. Nos 75 répondaient de leur coup sec et on entendait faiblement le bégaiement d'une mitrailleuse.

    La souffrance était intense et l'angoisse de nous sentir à peu près perdus irrémédiablement nous opprimait, mais notre moral était loin d'être affaiblis.

    Rien ni personne ne pouvait plus nous démoraliser, que la soif. Pourquoi en ces moments pensions-nous aux brasseries de Montevideo ? De la musique, de la gaîté, et de bonnes chopes. Nous aurions aimé nous débarrasser de ces pensées, mais y revenions sans cesse… de la bière, ... des rafraîchissements... quelle soif l .... Nous prenions le bidon, et... hop… une gorgée, assez ; assez ou fini la ration, et après ? bière fraîche, rafraîchissements.... Maudite guerre !

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Une autre journée passa, une autre nuit arriva… Nous entrâmes dans le trou et nous mîmes à parler avec l'andalou FLORES. Tout en fumant nous parlions de l'Uruguay, de la famille, en fermant les yeux, nous continuions à nous rappeler ; de temps en temps, il nous interrompait et disait : « Ecoute, qu'est-ce que tu fais ici ? et pourquoi ? Si au moins nous sauvions notre peau ». Surement, répondions-nous, si nous sortons d'ici nous croirons aux miracles, parce que ça va être difficile. Enfin la fatigue nous prit et nous nous endormîmes ».

    « Allons, debout, c'est ton tour de prendre la garde », dit quelqu'un en me réveillant.

    La garde, la garde… j'étais si bien à dormir. En maugréant, je me levai et prenant la mitraillette j'allai m’installer devant le canon. Les yeux et les oreilles bien ouverts et les nerfs sous pression. Les minutes passaient ; le silence nous entourait et parfois le a, allemands tiraient quelques rafales, ou en entendait le bruit d'un coup de canon ou le roulement bruyant d'un tank ; après, rien, rien.

    Je consultai ma montre. Une heure et demie du matin. Dans une demi-heure la garde serait terminée. Il faisait froid… dans les villes, on devait danser, s'amuser, il y avait des femmes et de la lumière... qu'on était bien à la ville, mais ici... Je regardai à nouveau la montre, deux heures moins le quart... encore quinze minutes.

    Je trouvais la vie, bien amère. Une mitrailleuse aboya et devant moi passèrent les balles traçantes comme des points lumineux, des points lumineux qui anéantissaient des vies.

    Je me dirigeais vers le trou d’INVERNON et le réveillai. « INVERNON, INVERNON, réveille-toi, c'est ton tour d'être de faction, et mets ta capote car il fait un froid terrible ».« Je viens... », me répondit une voix ensommeillée au fond du trou.

    Je revins rapidement à mon poste, "Rien de nouveau ?", demanda le camarade. Rien de nouveau, la consigne habituelle.

    Avant de me coucher, j'allumais une cigarette ça détend les nerfs. Cela nous fatiguait de penser à nous. Pourquoi cette tête voulait-elle le faire quand je désirais dormir ? et je pensais, je rêvais éveillé à la maison, la famille, pendant que je m'enfonçai dans une demie inconscience ; si nous réchappions d'ici… si nous réchappions. Cela tournait dans ma tête comme un leitmotiv.

    Avant l’aube, nous étions debout. C’était l'heure redoutable des attaques. Depuis que nous avions repoussé leur offensive, ils n'étaient plus venus, mais nous les attendions, et l'attente est terrible, elle détruit les nerfs. Une, deux heures, pour qu'il fasse jour ; maintenant nous n'avions plus peur d'être surpris, en pleine lumière, mais nous continuons à attendre et à redouter ce que nous savions inévitable :  une autre attaque. Nous nous demandions si nous serions capables de résister à un autre choc de la violence du premier.

    Dès le jour levé, notre artillerie commença à cracher au plomb sur l'ennemi, Nous courrions vite aux abris, qu'il répondait immédiatement. Pourquoi tirions-nous alors que nous recevions vingt canonnades pour une, Nous maudissions de toute notre âme la témérité des artilleurs français.

     

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Dans les trous nous nous faisions petits…, petits…; nous attendions, les muscles crispés, les obus allemands qui traversaient l'espace en sifflant très fort, éclatant derrière, à droite, à gauche.  On entendait des cris de douleurs, des gémissements, et par-dessus tout, les Stukas commençaient à décrire des cercles au-dessus de nos têtes tels des oiseaux de proie, et ensuite déchargeaient des centaines de bombes en piquant les uns après les autres, dans un rugissement infernal. Le camp s'obscurcissait à cause de la fumée et du sable que soulevaient les explosions. Après cette vague en venait une autre, et encore une autre, ; les fusiliers marins et les Anglais tiraient et tiraient avec leurs pièces anti-aériennes.

    Nos yeux suivaient atterrés les rapides évolutions des appareils : « encore un qui pique ! », criait quelqu'un, et nous nous réfugions au plus profond de notre trou, enfonçant le casque sur la tête, et en se bouchant les oreilles pour ne pas entendre le rugissement des moteurs. Nous n'en pouvons plus, nous n'en pouvons plus ! pensions-nous, jusqu'à ce que revienne le calme. Nous nous retrouvions, assourdis, nous nous rafraîchissions la bouche et la gorge desséchées, avec une gorgée d'eau et allumions une cigarette... rien de tel pour calmer les nerfs.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    « A vos postes », ordonna le chef de pièce. Nous sortîmes en courant pour les occuper, mais il ne se passa rien, seulement c’était dangereux, après un bombardement d'être surpris dans les trous. Une demi-heure d'attente... maintenant, oui, nous allions fumer, mais... « les avions ! » criâmes-nous, « ils reviennent ! » : de nouveau dans le trou, comme des taupes. En rugissant ils se précipitèrent sur nous en nous mitraillant. Sauvages ! si nous pouvions…, mais quoi, personne ne peut rien. Les batteries de D.C.A. tiraient, tiraient., ils s'éloignaient de nouveau, mais ... jusqu'à quand ?

    LA SITUATION DEVIENT DESESPEREE

    Les jours passaient et nos chances d'en réchapper étaient chaque jour plus minces ;  les bombardements de l'artillerie et de l'aviation étalent chaque jour plus violents.

    La résistance qu'ils rencontraient exaspérait sûrement les italo- allemands et le troisième bataillon de la Légion continuait ses contre-attaques.

    Parfois la nuit nous entendions les tanks allemands se déplacer pendant que nous ne pouvions les voir, à cause de l'obscurité ; nous savions qu'ils travaillaient à retirer des mines pour se faire un passage. Le lendemain nos hommes les remettaient de nouveau.

    Les premières lueurs du 31 Mai montèrent à l'horizon. Dans le camp ennemi il y avait une grande agitation, dénoncée par la poussière que soulevaient les tanks et les autres véhicules. « Que veulent-ils faire ? », nous demandions-nous avec préoccupation. Avec soin nous huilâmes le canon en retirant le sable et nous postâmes à côté de lui. Ce mouvement de l'autre côté ne nous disait rien de bon. Les vétérans nerveux semblaient flairer le danger dans l'air.

    Pour notre part, si nous étions tranquilles, nous n'en étions pas moins nerveux, pendant qu'ils bougeaient au loin.

    « Ce calme m'énerve », dit ARTOLA, scrutant le désert avec ses jumelles.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Cela ne nous plaisait pas. Ils n'avaient pas tiré un coup de canon et nous n'avions pas vu ces saletés de Stukas. « Regarde, pour moi c'est très rare de voir nos canons tirer et pas les leurs ! » "Allons, allons ...  les Allemands ... maudite soit la mère qui les a mis au monde... ils ne nous auront pas, jamais", dit FLORES, dans son jargon andalou.

    Et ainsi, chacun donnait son opinion, exprimait sa pensée, mais tous comprenaient ce que nous ne disions pas. "Regardez, regardez ce qui vient  ! ", cria quelqu'un.

    Tous tournèrent la tête vers le point indiqué. Une petite automobile italienne, arborant une bande blanche, venait jusqu'à nos lignes. Ils firent signe au chauffeur, la voiture s'approcha et un officier sortit à la rencontre du parlementaire, le saluant militairement.

    Cette scène se déroulait à 500 mètres du lieu où nous étions et nous en perdions le détail. C'est un officier italien, dit ARTOLA, qui regardait avec ses jumelles. « Et que diable veut-il ? », demanda un autre ? Et un troisième :  « ce n'est pas difficile à deviner, il vient sûrement demander la reddition !"

    Entre temps, on bandait les yeux de l'italien le conduire au poste de commandement. Une minute après il repartait par où il était venu. Qu’est-il venu faire ? C’était la question que nous nous posions. Bien vite on nous donna la réponse.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    A 10 heures du matin, le capitaine SIMON, personnellement, vint nous annoncer la nouvelle, le général Koenig avait reçu le message suivant : « Aux troupes de Bir-Hakeim toute nouvelle résistance ne ferait que verser du sang inutile. Vous subirez le même sort que les deux brigades anglaises nous avons rencontrées à Got el Oualeb et qui ont été exterminées avant hier. Nous cesserons le combat dès que vous hisserez le drapeau blanc et viendrez à nous sans armes ».

    « Comme vous l'imaginez, continua le capitaine avec sa voix de fausset, mais sereine, l'ultimatum a été repoussé et le général me charge de vous dire ceci" :  1° Nous devons nous attendre à une attaque sérieuse avec tous les moyens combinés (aviation, tanks, artillerie et infanterie). ELLE sera puissante. 2° Je répète mes ordres et la certitude que chacun fera son devoir sans faiblir, et à son poste, séparé ou non des autres ; 3° Notre mission est de résister coûte que coûte jusqu'à notre complète victoire ; 4° Bien expliquer ceci aux gradés et aux soldats de 2e classe. 5° Bonne chance à tous. Signé  KOENIG.

    Quand le capitaine termina la lecture de cet ordre du jour signé du général, et où il nous expliquait claire ment que notre devoir était de mourir aux postes de combat, nous crûmes que notre coeur cessait de battre et nous crûmes aussi que le capitaine, malgré la barbe de plusieurs jours et la saleté qui nous couvraient le visage, nous vit pâlir, car nous regardant fixement, il nous dit « Il ne faut pas croire que tout est perdu », et il s'en alla. Maintenant nous aurions dû être plus alertes que jamais, mais il semblait que la première attaque n'avait été qu'un jeu d'enfants comparée à ce qui nous attendait à ce moment ; Rommel l'avait dit clairement ! la reddition ou l'extermination totale.

    Nous pénétrâmes dans l'abri pour être moins seuls nous n'aurions pas aimé que quelqu’un dise que le manque de moral avait fait pression sur notre être, et que le moral fondrait comme un édifice auquel manque les fondations ; l'idée de la mort ne nous était jamais venue comme à ce moment et sans doute étions-nous venus ici disposés à mourir pour la cause que nous défendions. En cet instant, nous nous rendîmes compte qu'il est très facile d'être disposé à mourir pour défendre un idéal quand on a 24 ans et seulement une vague idée de la mort, mais quand on entre en contact direct avec elle, nous la palpons et quand nous la voyons matérialisée par des corps disloqués, des membres arrachés et des ventres d'hommes qui s'étaient aussi nourris d'idéal et qui mourraient sans doute avec une grimace atroce de peur et de souffrance, quand pénètre dans notre nez l'odeur putride de la mort, nous n'avons plus envie de mourir, nous ne voulons plus mourir. Un sanglot éclatait dans notre poitrine, pourquoi ! nous ne voulions pas mourir et maudissions la démocratie, le nazisme et toutes ces causes et ces hommes qui nous ont menée à la tuerie.

    Un soldat en arrière-garde est un homme avec des idées, qui pense et raisonne, enfin c'est un homme normal. Sur le front ou il risque sa vie, c'est une bête en instinct de conservation, il oublie ses sentiments et ne pense qu'à lui, il ne se rappelle pas ce qui est beau, divin ; donner sa vie pour que ses semblables profitent de son sacrifice suprême, jouissant de leur droit sacré à la liberté.

    Nous restâmes un long moment dans le fond de ce trou, oppressés par la plus horrible désespérance, jusqu'à ce qu'enfin le calme nous revint. Nous sortîmes pour rejoindre les camarades. Tous évitaient de parler de ce qui se préparait, entretenant la conversation sur des thèmes certainement dictés par leur subconscient : ils se rappelaient leur famille, leur foyer, et l'andalou FLORES, avec une tristesse qu'il essayait de dissimuler mais qui se lisait dans ses yeux sombres noyés de larmes rebelles, se rappelait sa femme et ses deux enfants qu’il n'avait pas vu depuis 8 ans.

    On dit que les agonisants, comme en un film, voient défiler devant leurs yeux les plus belles choses de leur vie. N'en étions-nous pas, nous des hommes destinés fatalement à mourir, agonisants pourrions-nous dire, bien que dans toute la vigueur de leur santé ? Les Stukas interrompirent la réunion. Maintenant ils venaient cinq et six fois par jour en vagues de cinquante, soixante et jusqu'à cent. Nous courûmes aux refuges dans le sifflement aigu des bombes et des explosions qui nous étourdissaient. A chaque éclatement nous étions soulevés du sol, la terre tremblait. Tranquilles, tranquilles, il ne fallait pas bouger... et les minutes devenaient des heures... le bombardement continuait implacablement.

    Quand les bombes ne tombèrent plus, et que le sable et la fumée furent dissipés, ils nous mitraillèrent, incendiant quelques camions.

     

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

     A la fin, ils se retirèrent. Les brancardiers passèrent en courant, nous n'avions pas tous eu la même chance.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Nous aurions mieux aimé qu'ils attaquent, plutôt que de rester tout le jour sans pouvoir esquisser un geste pendant qu'ils nous assassinaient de loin avec l'artillerie et les mortiers, et du haut du ciel avec leurs avions. Au moins, en combattant, on se réchauffait le sang, et l'odeur âcre la poussière troublait notre cerveau comme une ivresse.

    Ainsi, sous cette tourmente quotidienne qui commençait à nous rendre fous, qui nous faisait attendre la nuit avec angoisse afin de pouvoir jouir d'un peu de calme, voyant arriver le jour avec une véritable angoisse et de la peur, ainsi arriva le 6 Juin.

     A peine faisait-il clair que l'artillerie allemande commençait à pilonner vigoureusement nos positions de tous les points de l'horizon. Jamais on n'avait déchargé sur nos têtes une telle quantité d'obus et les avions contribuaient à persécuter l'objectif qui, cette fois, vu la furie destructive dont étaient possédés nos ennemis, devaient transformer les cinq kilomètres carrés de notre camp en un énorme puits qui nous servirait de fosse commune.

    Sous la pluie de mitraille qui traversait l’air dans un sifflement de serpent, nous attendions immobiles, étendus à terre. Quand ce fût fini, nous courûmes vers nos postes, mais il était clair qu'il se préparait quelque chose. En effet, les tanks étaient déjà en vue, ils nous attaquaient au même endroit que la première fois, mais ils le faisaient directement sur le fort, le combat était engagé.

    Nous avions atteint à une certaine sérénité pensant que la chance qui jusqu'à présent nous avait aidés, ne nous abandonnerait pas.

    Le pointeur, genou à terre et les mains crispées sur les volants de direction, l'oeil fixé sur la mire, guettait un tank qui entrait dans son champ de tir, le visage tendu et le regard fixe, nous attendions. INVERNON serrait fortement dans sa main le cordon qui faisait partir le coup de feu. La lumière se fit violente avec les pièces voisines de la nôtre, les explosions se succédaient rapides, sèches, et la poussière et la fumée se faisaient plus denses. Nous continuions à attendre. Un tank s'approcha. « Distance mille mètres sur l'objectif à droite ! » ; le pointeur répéta « distance mille mètres ! ». La voix de commandement est une question : "Vu ? » « Vu » « Prêt ?» « Prêt ! », répondit le tireur d'une voix sèche. « Feu" ! »,  le bras se plia... Une secousse,  une explosion et une nuée de sable se leva devant le tank. « Trop court », s'écria ARTOLA. « Tire un peu plus haut, plus haut ! ».

    La fumée et le sable soulevés par le premier coup de feu dissipés, ferme   et calme, notre pointeur manoeuvra les volants, et petit à petit, lentement, il ajusta : zigzaguant avec rapidité, le tank s’approchait en tirant. Il était placé obliquement à nous et ses obus passaient loin. Il était difficile de nous dire où il fallait viser dans sa course, mais s’il s'arrêtait, il était perdu. "Feu ! "En hurlant, plusieurs kilos d'acier partirent en direction de leur proie. Un éclair, une explosion et le tank commença à brûler. "Bénie soit ta mère !" s'écria FLORES et nous pensions aussi « bravo ! » Enthousiastes, nous nous dirigeâmes vers le pointeur.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    « Distance 2000 mètres, objectif en face, une dérive à gauche », dit le chef de pièce. « Vu ? » « Vu » répondit RIMBAUD, « Une fois prêts, feu à volonté ! », recommanda ARTOLA sans cesser de regarder avec ses jumelles. « Attention ! Feu ! Trop court, Feu !  A droite, à gauche", indiquait ARTOLA... "Plus haut le feu ! "et ensuite : « Il est servi, il saute sur une mine » ; les mortiers aussi faisaient leur travail, tirant sur l'infanterie allemande qui attaquait. Les armes automatiques entrèrent en action et nous attendions les tanks avec des obus perforants et quand nous en avions le loisir, nous dirigions notre bouche à feu sur l'infanterie, envoyant des grenades explosives.

    Quand l'une d'entre elles éclatait au milieu des italo-allemands, il y avait plusieurs hommes de déchiquetés. L'attaque s'arrêta, les avions revinrent et l'artillerie nous cracha dessus une pluie d'obus de tous calibres ; nous savions qu'après cela, ils se lanceraient de nouveau sur nous parce qu'ils faisaient de terribles efforts pour annihiler la résistance.

    Ils revinrent, mais nous les repoussâmes à nouveau, jusqu'à ce que revienne le calme. Eux aussi étaient épuisés et devaient avoir subis de lourdes pertes en hommes et en matériel. Nous nous rendîmes compte que l'ennemi avait gagné du terrain, et nous prîmes des précautions pour éviter toute surprise. La nuit arriva obscure, froide. Je pris la première heure de garde avec INVERNON. C'était un bon camarade et bavard, il me parlait de faits et de choses d'Espagne, son espoir de voir tomber le dictateur de son pays "Paco le sourd", comme il l'appelait. Oubliant notre situation, nous nous laissâmes emporter par le courant suave de nos illusions.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    C'était la première fois que j'avais une longue conversation avec ce gamin de 25 ans à peu près, et qui guerroyait depuis sept ans. Les hommes, dans de semblables situations, ont besoin d'ouvrir leur ooeur et ils le font avec le premier qui les écoute, et lui le fit avec moi.

    La conversation se poursuivait à voix basse, presque en secret. « Nous fumons  ? ». Bon. J'essayais d'allumer ma cigarette à l'abri de ma capote lorsque je vis mon camarade près de l'emplacement du canon, étendu à terre, qui empoignait le fusil-mitrailleur. Je m’étendis près de lui, préparant une grenade dans la main.  

    « Que se passe-il ? » demandai-je, presque à son oreille. Il me fit signe de garder le silence. Je prêtai l'oreille... quelqu'un traçait avec un outil à gratter le sable, sûrement les boches enlevaient les mines. « Ecoute" murmura-t-il. « Oui », et je continuai à attendre, tendu… immobile…, les muscles prêts à l’action.

    De la position voisine ils avaient aussi entendu bruit, parce que rapidement le silence fut rompu par le crépitement d'une mitrailleuse et les balles traçantes se dirigeaient vers le point où se produisait le bruit, puis une autre rafale, une autre, et encore une autre. Nos cigarettes étaient éteintes. INVERNON se rendit à l'abri pour les allumer de nouveau. Nous fumâmes en couvrant la lueur avec nos casques. Nos mains tremblaient un peu. « Quelle heure est-il ? », interrogea INVERNON.

    Il est onze heures moins le quart, et nous continuâmes à attendre en silence. Une mitrailleuse crépitait, et une allemande lui répondit avec son bruit de scie entrant dans du bois. A onze heures nous appelâmes ceux qui devaient nous relever. Avant que le jour ne se lève, je me réveillai et au lever me débarbouillai, c'est-à-dire que je mouillai le coin d'un mouchoir pour le passer sur mes yeux, et je me lavais la bouche avec une gorgée d'eau, l'avalant ensuite pour réconforter la gorge, j'étais prêt pour commencer le travail.

    L'horizon prenait des reflets d'incendie au ras du sol. Deux heures plus tard, il commençait à nous griller. Ceux d'en face devaient avoir mal dormi et être de mauvaise humeur, parce qu'à peine fit-il jour, qu'ils commencèrent leur symphonie pour canons. Ils se rappelèrent qu’il y avait d'autres endroits où attaquer, puisqu'ils le firent au nord de la position et que le fracas du combat venait jusqu'à nous.

    * Survivant de Bir Hakeim, par Domingo LOPEZ - 3 -

    Le calme du jour précédent était surement dû à ce qui se préparait.

    La citerne vint jusqu'à nous pour nous donner l'eau et on nous dit que, désormais, la ration serait d'un demi-litre par jour et par homme. On pouvait dire que nous en étions à la dernière extrémité.

    Est-ce que ces quelques kilomètres de désert sont si importants, qu'il nous faille résister jusqu'à mourir de soif ? à moins que nous n'ayons la chance d'être tués par les Allemands

    Peu à peu nous nous soumettions, non pas devant la puissance de l'ennemi maintenu à distance pendant tant de jours avec un courage que le monde entier admirerait plus tard (remarquez que nous parlons pour toutes les troupes qui défendaient Bir-Hakeim,  où ceux qui avaient le plus peur prenaient exemple sur les plus courageux qui les guidaient), nous nous soumettions devant les éléments de la nature : le sable qui s’élevait en nuage , pénétrait dans notre nez, notre bouche, nos yeux, augmentant la soif qui nous tourmentait, qui enflammait notre gorge desséchée, nous faisant enfler la langue, et craquant nos lèvres qui se couvraient d'une croûte dure... le tourment de la soif était peut-être notre plus terrible adversaire ; et si les choses ne changeaient pas nous serions obligés de déposer les armes pour une gorgée d'eau. De l'eau... oui, de l'eau !

    Dans le désespoir, le doute minait notre esprit, des murmures se firent entendre, le fantôme du mécontentement flottait dans l'air et notre imagination excitée travaillait .... Les officiers avaient de l'eau en abondance, ils espéraient s’en échapper et nous abandonner, et d'autres extravagances encore.

    Le jour passa... les attaques allemandes avaient été repoussées comme les précédentes, le drapeau tricolore à croix de lorraine continuait de flotter victorieusement, mais.... pour combien de temps encore ? Combien de camarades dormaient sous les sables calcinés de ce coin de désert libyen, et combien resterions-nous ? le destin devait répondre en temps utile et il était inutile de l'interroger...

     

     


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