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* La Résistance héroïque du BM 24 à OBENHEIM du 7 au 11 Janvier 1945
Depuis le 1er janvier 1945, la 1ère D.F.L. avait relevé en Alsace la 2 ème D.B. repartie de toute urgence en Lorraine. Le Bataillon de Marche 24, en avant du secteur défensif de la 1 ère D.F.L. étiré sur 52 km, est en place entre le Rhin et le canal du Rhône au Rhin. Obenheim, à 25 km au Sud de Strasbourg est son réduit principal ; Boofzheim, Rhinau et Friesenheim, ses avantpostes.
Le 7 janvier, le village d'Obenheim - libéré le 30 novembre 1944 par le sous-groupement Quilichini (2ème D.B.) - est tenu par l'infanterie du B.M. 24, une C.C.A. de 8 antichars, quelques éléments du Génie et une quinzaine d'Artilleurs du 1er R.A. qui assurent la liaison à partir des observatoires d'Obenheim, Boofzheim et Rhinau.
Anomalie flagrante, les positions sont adaptées pour une Division Blindée, pas pour de l'Infanterie. Il faudrait reculer toutes les unités derrière l'Ill, défense naturelle et unique.
Mais le Maréchal de Lattre ne veut pas abandonner les villages libérés...
Notre amie Brigitte Pefferkon, qui fut la Directrice de la Fondation BM24-Obenheim jusqu'à sa disparition prématurée en 2017, réunit patiemment durant des années les récits des témoins dans un ouvrage qui nous permit en 2014 de restituer un résumé de ces terribles journées.
Aujourd'hui, les témoins du BM 24 s'en sont allés. Nous nous souvenons de Jacques BENHAMOU, qui fut parmi les derniers anciens du BM 24 à assister aux commémorations de la Bataille dans le village d'Obenheim.
Il avait été fait officier de la Légion d'Honneur en 2014 en présence de Brigitte Pefferkorn.
Aujourd'hui nous avons une pensée pour Jean GILBERT, Ancien du 1er Régiment d'Artillerie et de Obenheim, à qui nous adressons sous nos voeux en ce début d'année.
Et c'est autour de son témoignage sur les derniers jours d'Obenheim et son départ en captivité en Allemagne que nous vous invitons, ensuite, à poursuivre l'hommage aux combattants d'Obenheim, en redécouvrant l'article que nous lui avions consacré en 2014.
« J'appartenais, avec mon coéquipier et ami le Brigadier Ignace COMARMOND à l'État-major du Groupement de 105 du 1er Régiment d'Artillerie... Nos missions consistaient à effectuer des reconnaissances pour repérer les futurs emplacements de batterie derrière les lignes et à établir des liaisons avec les Bataillons d'Infanterie pour des tirs d'appuis et de barrages...
Le 7 janvier, nous recevons l'ordre de nous rendre à OBENHEIM avec notre command-car équipé d'un poste radio 608 et de nous mettre à la disposition du Commandant COFFINIER, chef de corps du B.M.24.
Nous arrivons sans encombre à OBENHEIM et nous nous présentons au P.C. (à la mairie) où l'on nous donne nos instructions : nous mettre en place en face de la mairie de l'autre côté de la rue devant la fromagerie, tirer une ligne téléphonique et recevoir ou passer les messages intéressant le B.M. 24.
Nous choisissons un endroit idéal pour nos émissions et réceptions et nous nous mettons au travail. Les conversations se font en phonie et en clair. Nous apprenons l'après-midi que nous sommes encerclés, mais nous ignorons que nous allons rester dans notre voiture jusqu'au 10 janvier à 21h.
Les jours suivants, nous envoyons des messages et nous en réceptionnons.
Nous recevons également des obus et quand ça tombe trop dru, nous allongeons notre fil de micro et nous nous mettons à l'abri sous les escaliers de la fromagerie (....)
La journée du 10 janvier sera la plus pénible. Les Allemands nous envoient des tracts nous incitant à nous rendre : bien sûr, nous ne sommes pas d'accord.
Les bombardements se font plus violents et plus nombreux.
Les avions nous parachutent vivres et munitions, mais le plafond bas ne permet pas une bonne visibilité et les trois quart des parachutages tombent chez l'ennemi. En fin de journée, un éclat d'obus s'incruste dans l'émetteur du poste radio après avoir coupé en deux le canon de notre carabine. La réception fonctionne, mais pas l'émission.
Nous rendons compte au P.C. et l'on nous donne l'ordre de prendre nos armes individuelles et de nous poster aux fenêtres du premier étage de la mairie.
Je prends l'arme d'un mort puisque la mienne est hors d'usage et nous nous rendons au premier étage. Des chars ont pénétré dans le village et l'un d'eux, posté près du temple, nous allume.
Son tir a touché l'angle d'une fenêtre et nous nous replions au rez-de-chaussée.
La mairie est en feu et nous descendons à la cave avec les autres occupants.
Il est 21h ; nous sommes cueillis par les Allemands et les bras en l'air, nous sortons un à un.
C'est hallucinant : de chaque côté de la porte, des Allemands casqués, bottés et la capote jusqu'aux talons, la mitraillette en position de tir.
Et OBENHEIM qui brûle !...
Nous sommes rassemblés et craignons le pire.
En colonne, nous sortons d'OBENHEIM et nous sommes arrosés par nos propres obus !!!
Le dernier message que nous avons transmis a été : « tir de barrage tout autour du village ».
Nous nous sommes rendu compte que le 115 claquait sec.
Nous avons passé la nuit à GERSTHEIM et le 11 janvier au matin, par camion, puis par train, nos geôliers nous ont fait traverser le RHIN.
Nous descendons du train à DENZLINGEN puis, à pied, nous gagnons WALDKIRCH. Nous y sommes interrogés dans un bâtiment en ville. Nous sommes une dizaine à attendre notre tour dans le hall.
Un Sous-Officier du 1er Régiment d'Artillerie, Jean GUGENHEIM, veut aller aux toilettes ; la sentinelle lui balance un coup de crosse dans le dos.
GUGENHEIM se retourne et envoie un direct dans la figure de l'Allemand ; celui-ci épaule et tire en direction du rebelle. Heureusement, l'un des nôtres a le réflexe de lever le canon du fusil et le coup part dans le plafond. Aussitôt, c'est le branle-bas de combat et les Allemands arrivent de tous les côtés. Nous n'avons pas encore été fouillés et certains d'entre nous se débarrassent de grenades.
Quatre ou cinq jours plus tard, nous quittons WALDKIRCH à pied pour DENZLINGEN. En train, nous nous dirigeons vers le Nord. Arrêt à la gare d'OFFENBURG où nous subissons un bombardement allié. Puis, nous continuons le voyage. Dans les environs de BONDORF, le train est mitraillé par des chasseurs alliés : les Allemands se sauvent et nous laissent enfermés dans les wagons.
L'un des prisonniers réussit à sortir et nous ouvre les portes. Nous sortons précipitamment et avec nos capotes, nous formons des Croix de Lorraine. Le mitraillage cesse mais il y a eu des morts et des blessés.
Un avion est abattu et nous voyons le pilote descendre en parachute. Nous attendons dans la neige le remplacement de la locomotive et nous repartons vers STUTTGART où nous serons internés au Stalag V B à LUDWIGSBURG.
Dans un colis, il y a du nescafé et nous réussissons à faire chauffer de l'eau dans une boîte de conserve. A cet instant survient un gardien qui donne un coup de pied dans la boîte : l'eau chaude se répand à terre. Nous ne boirons pas de bon café aujourd'hui.
Ignace COMARMOND, à bout de forces, échange sa montre achetée au Caire contre une boule de pain ; il partage avec moi et nous sommes rassasiés pour un temps.
Au bout d'une semaine ou deux, je ne me souviens plus exactement, nous quittons LUDWIGSBURG en train et nous arrivons à NUREMBERG. Nous sommes conduits au Stalag XIII D où nous retrouvons des prisonniers de 1940.
L'accueil n'est pas des plus chaleureux. "(...)
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Joseph Sigward Armand Bouhadana
Nous avons également une pensée pour le regretté Joseph SIGWARD qui nous transmit le témoignage du dernier acte désespéré de résistance d'Obenheim, celui de son ami Armand BOUHADANA :
"... juste après le dernier assaut allemand, les assiégés n'ont plus de grenades près d'eux. Compte tenu du climat psychologique, personne ne bouge. Et là Armand prononce la phrase qui tue : « Allez René, montre-leur ! ».
Sans hésitation, BAJAT sort du trou en direction de la cache. Il est aussitôt abattu par un Allemand rescapé de la dernière attaque et qui était resté dans la neige le long des peupliers.
BOUHADANA, enfermé dans sa rage et sa détresse, s'entêtera jusqu'à ce que COFFINIER (le commandant du BM 24), accompagné de deux parlementaires allemands avec drapeau blanc, lui ordonne au mégaphone de cesser le combat... "
7-11 Janvier 1945 : le sacrifice du Bataillon de Marche 24
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Pierre Messmer, ancien de la 13 DBLE à Bir Hakeim rendit honneur à la Résistance des hommes du BM 24 en ces termes :
"En trois jours en janvier 1945, alors que la contre-attaque de von Rundstedt amenait le commandement allié à envisager un repli sur la crête des Vosges, le B.M. 24 résistera avec un incroyable courage aux assauts de la 198e Division allemande, bien décidée à reprendre Strasbourg.
Ce fut le B.M. 24 - à nouveau commandé par Coffinier - qui, avec le B.I.M.P., héritier du légendaire Bataillon du Pacifique, stoppa un ennemi surarmé et surexcité.
Aux Allemands qui leur criaient de se rendre, les 772 défenseurs d'Obenheim opposeront, trois jours et trois nuits durant, le feu de leurs mortiers et de leurs rocket guns.
Au soir du 10 janvier 1945, 760 Français étaient hors de combat : morts, blessés ou prisonniers.
Mais la ligne de l'Ill était renforcée et Strasbourg définitivement sauvée.
« Le sacrifice du B.M. 24 n'aura pas été vain, écrit le Général de Lattre dans son Histoire de la Première Armée Française, car, par leur résistance héroïque, Coffinier et ses hommes ont brisé l'élan de la 198e ID...
On peut saluer le fanion du B.M.24, l'ancien Bataillon de Djibouti : les défenseurs d'Obenheim l'ont nimbé de gloire ».
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