• * Entretien avec Dominique SEGRETAIN (1ère DFL) sur le site de l'association Vienne Résistance Internement Déportation

    Entretien avec M. Henri Dominique SEGRETAIN, Français Libre

    Publié le samedi 24 avril 2004 sur le site de la VRID
    Cet entretien a été réalisé à partir d’un questionnaire établi en coordination avec l’Université de Montpellier. Il est organisé en 6 thèmes : la personnalité, la perception de Pétain et De Gaulle/Vichy et Londres, l’engagement dans les FFL, la vie militaire, le retour à la vie civile, la Mémoire de la Résistance.
    I- PERSONNALITE 
    -Ses origines géographiques et familiales : Henri-Dominique SEGRETAIN est né à SAUMUR dans le Maine et Loire le 14 mai 1918 où il passe une partie de son enfance. Il vit ensuite à Blois, de 9 à 16 ans. Le dernier de 6 enfants, il est issu d’un milieu aisé : son père était directeur de la Banque de France d’une vieille famille poitevine (installée à Champdeniers en 1703-1704, puis à Niort) ; son grand-père maternel était professeur de philosophie au clèbre lycée parisien Louis-Le-Grand. Il qualifie son milieu de "patriote, sans engagement politique, proche des catholiques et plus particulièrement des Dominicains".

    - Sa formation : En 1940, il est licencié en Droit, diplômé de Sciences Politiques, et titulaire de deux certificats de Lettres obtenus à Paris.

    - Sa situation en 1940 : Il est jeune célibataire ( 22 ans), réside à Paris, et a une sensibilité politique de droite : il a fait partie des volontaires nationaux avec le colonel De la Rocque du P.S.F ( Parti Social Français). Mais, n’adhérant pas à la position de De La Rocque par rapport aux accords de Munich en septembre 1938, il donne sa démission et prend ses distances avec les partis politiques.

    II- REGARD SUR PETAIN et DE GAULLE, VICHY et LONDRES 
    - Perception de la défaite de 1940 : J’ai entendu, à la popote des officiers, à Auray, le discours du Maréchal PETAIN le 17 juin. Le 17 au soir, j’ai appris par la BBC que l’Angleterre continuait la guerre. Il n’y avait donc plus qu’une solution pour moi : passer en Angleterre. J’étais chef de section aspirant depuis 1 mois dans un régiment de chars à Auray pour former les nouveaux. Le 18 juin, j’avais été chargé de m’occuper des voitures belges et de les cacher sous les arbres. En principe, on devait défendre Auray avec des chars de la guerre 14-18. Il n’y avait que cela. IL y avait deux chars modernes, mais démontés ! J’ai été informé par le capitaine-adjoint qu’on devait quitter et former une colonne avec les voitures belges pour passer la Loire à Nantes. Ce jour-là, j’ai pris conscience que j’étais un homme et j’ai décidé de partir. J’ai invité mes soldats à venir avec moi. J’ai essayé de trouver un bateau à la Trinité-sur-mer. Le capitaine m’a dit : " Si je comprends bien, vous désertez ? Oui, incontestablement, je n’obéis plus aux ordres. Et vous invitez vos soldats à déserter avec vous ? Oui, je ne veux pas être prisonnier des Allemands. " On nous a emmené au sud de la Loire, jusqu’à St-Jean de Luz. De là des Polonais embarquaient...

    -A propos de la Révolution Nationale : Je n’en savais rien. J’ai appris beaucoup de choses par la suite, par exemple grâce au livre de M. Paxton. "Pétain a pêché à l’ombre de la Croix Gammée". Je ne m’en suis pas préoccupé à l’époque. Il n’y avait que la France Libre qui comptait.

    -A Propos des lois antisémites : Nous avions été informés et nous avons tous réagi au mois d’octobre 1940 en les trouvant ignobles.

    - Mers-El-Kébir : cela m’a été très pénible mais on ne pouvait faire autrement que de rester.

    -L’échec du débarquement à Dakar : J’ai réussi à partir sur le MESSALIA avec le Général De Gaulle. On le voyait tous les jours. Le soir du 23 Septembre 1940, on n’était pas fiers. Pendant quelques jours, on s’est posé des questions. Le 28 septembre, tous les officiers ont été convoqués et nos chefs nous ont expliqué pourquoi ils avaient agi ainsi. Quand le général De Gaulle a su qu’on avait été obligés de tirer , il a ordonné le repli. Nous avons perdu 3 hommes et nous avons tué 1 sous-officier français et 9 Sénégalais.

    III-LE FRANCAIS LIBRE 
    Avant mon engagement dans les Forces Françaises Libres, je n’ai pas eu connaissance de tracts, ni de journaux clandestins. Ma réaction a été immédiate, dès le 17 juin 1940. Ma famille n’était pas présente à ce moment là. J’ai pris cet engagement pour une raison patriotique. 

    Mon départ : de St Jean de Luz, j’embarque pour l’Angleterre avec des Polonais le 25 juin 1940. L’armistice était signé. Accueilli par les Britanniques avec une bonne tasse de thé, je prends un train pour Liverpool où je retrouve des Français qui reviennent de Norvège. Je ne suis pas passé par " Patriotic school" car j’avais mes papiers militaires donc on m’a cru. 

    Les dissidences au sein de la France Libre : Je n’étais pas au courant des combats politiques que livrait le Général De Gaulle. Quant à la tentative de l’Amiral Muselier, je n’ai jamais compris son cas. C’était une affaire de marin. 

    La vie politique à Alger en 1943-44 : Je n’y étais pas. Par la suite, j’ai su qu’il y avait des difficultés énormes. J’avais le sentiment de me battre : - pour le Général de Gaulle en priorité puis pour l’indépendance de la France pour laver la défaite de 1940 et enfin par goût de l’aventure par devoir contre l’Allemagne et contre le Fascisme et le Nazisme. 
    Le personnel politique et administratif de la France Libre : je les considérais comme des combattants au même titre que moi. 

    Sentiments à l’égard de : 
    - Général GIRAUD : au début, j’étais très content qu’un général français continue la guerre. Après, j’ai compris qu’il voulait le pouvoir. On n’était plus d’accord, mais sans trop s’opposer. 
    - Les Anglais : des rapports excellents. J’ai vécu 4 ans au Moyen-Orient et je les ai vus sous différents jours. 
    - Les Américains : on ne les aimait pas tellement, surtout après l’affaire de Dakar où ils se sont opposés au Général De Gaulle. Cependant, on avait un Américain avec nous dans la France Libre et il était remarquable. 
    - Les Soviétiques : on était plutôt d’accord, à partir du moment où ils nous aidaient. 
    Par rapport au régime Nazi : qu’il soit détruit. 
    Par rapport aux soldats allemands : j’en ai peu cotoyé ; j’ai davantage eu à faire avec des Italiens. 
    Par rapport aux prisonniers allemands : leur sort n’était pas mauvais. 
    La Résistance intérieure : On était 100 % d’accord mais on en a peu entendu parler. Nous ne doutions pas qu’il y avait des oppositions entre les gens. 
    Le C.F.L.N (Comité Français de Libération Nationale) : j’en ai eu connaissance et je considère que c’était une bonne chose , mais ce n’était ni une victoire politique de la France Libre, ni un compromis. Jean MOULIN : j’en ai entendu parler peu de temps avant son arrestation. Mais j’étais peu informé du C.N.R (Conseil National de la Résistance) car on n’avait pas le temps.

    IV- LA VIE MILITAIRE 
    Mes unités : J’ai d’abord appartenu à la 342 ° compagnie de chars qui s’est battue en Norvège, la 1° compagnie de chars de la France Libre. Puis, je me suis engagé dans la compagnie de transport auto pour Dakar dans les derniers jours d’août 1940, à la fin de la campagne d’Erythrée. Puis, j’ai intégré le BM 3, un bataillon colonial comme Sous-Lieutenant en novembre 1943. Ensuite, j’ai été transféré à Suez. Mais blessé dans un accident de moto, je n’ai pas fait la campagne de Syrie. 

    Ma formation : Je n’avais pas de formation militaire. Je comptais faire le commissariat de la marine. J’ai été recruté en septembre 1940 à l’Ecole de chars de combat avec mes diplômes. J’ai été nommé au 507° régiment de chars comme assimilé sous-Officier.

    L’armement : Je ne manipulais pas les canons. J’étais dans les chars. L’armement reçu des Anglais était bon, d’origine française. Les chars étaient en partie français, en partie américains ; les camions étaient des Bedford anglais.

    Conditions de vie : La nourriture était convenable, mais, en Erythrée on avait les rations anglaises et ce n’était pas fameux -du singe anglais- des cigarettes anglaises...

    Côté santé : les services étaient corrects. A la suite de mon accident de moto, j’ai été bien soigné à l’hôpital français puis dans un hôpital anglais très important. La solde était suffisante, car on ne dépensait pas beaucoup. J’ai pu m’acheter une moto avec 2 mois de solde.

    Relations avec les compagnons d’armes : Bonnes, en dépit de quelques passages difficiles. 
    A la Justice Militaire, j’ai côtoyé des Officiers de Vichy qui n’étaient pas tous faciles. 
    Au sein des FFL, il existait un "esprit" FFL, une fratrie. On avait à peine 20 ans et on était coupé de tout. On avait donc de l’affection les uns pour les autres. Nous étions de grands copains. Comme l’a dit le général SIMON, on a appris très vite qu’on était peu nombreux et nous en avons été très fiers, même avec des idées politiques différentes.

    Relations avec les soldats indigènes : Bonnes mais je les ai cotoyés peu de temps.

    Relations avec les FFI : en 1944 je n’étais pas sur le sol métropolitain mais j’ai été très content d’apprendre qu’ils existaient.

    Liens avec la famille : Nous avions seulement les messages de la Croix - Rouge deux fois par an. J’ai bien supporté l’éloignement en raison de la fratrie que nous avions constituée. Nous n’étions pas au courant de l’évolution de la situation en France.

    Les distractions : J’ai vécu plus de 3 ans au Moyen-Orient. On allait de temps en temps au cinéma, aux courses, le dimanche. Nos distractions étaient surtout nos soirées ensemble.

    V-LE RETOUR A LA VIE CIVILE
    La démobilisation : j’ai été démobilisé seulement en juin 1946 car j’avais une pleurésie depuis octobre 1945.

    La carrière militaire : je ne suis pas resté dans l’armée après ma démobilisation.

    Le retour en France : J’ai été bien accueilli à mon retour. Mon père a compris ma démarche en apprenant l’entrevue de Montoire. Mon frère aîné a fait de la Résistance en Normandie, à Evreux. 
    J’ai été surpris par la France retrouvée en 1944-45 : Ma famille se plaignait d’avoir très peu mangé.

    L’épuration : à l’époque, je n’avais pas d’opinion précise. Mais, avec les lectures, je me rends compte qu’on est allé trop loin.

    L’extermination des Juifs : Des camps existaient avant la guerre, en Allemagne, mais on n’imaginait pas que les Juifs seraient tués en série. J’ai heureusement appris en 1941 que certains avaient pu être hébergés et sauvés.

    Opinion à propos du parcours politique du général De Gaulle : au départ, je n’étais pas partisan de son entrée en politique et en 1946, j’ai hésité à voter en faveur du projet de constitution. Pourtant, je me définis comme "Gaulliste" mais un Gaulliste historique. Je ne pouvais pas ne pas être "gaulliste".

    Ma profession après la guerre : J’en ai exercé plusieurs : 
    - professeur au Brésil -à Rio-, à l’Alliance Française pendant 3 ans (250 élèves) 
    - en France, chargé de relations publiques à la filiale française d’une marque pétrolière.

    Effets de l’engagement dans la France Libre : J’ai le sentiment que mon engagement dans la France Libre a changé le cours de ma vie. Je peux dire aujourd’hui que le 18 juin, je suis devenu un homme. Je suis devenu conscient de mes responsabilités à 22 ans.

    VI-LA MEMOIRE DE LA RESISTANCE 
    Distinctions : la Croix de Guerre, la Médaille des Anciens de De Gaulle, la médaille des Combattants Volontaires .

    Les responsabilités associatives : j’ai été président des Anciens combattants à Ligugé.

    La place des Français Libres : nous sommes peu nombreux, on parle donc peu de notre action.

    La date commémorative la plus marquante : le 18 juin 1940, parce que le Général De Gaulle a dit ce jour-là : "Quoiqu’il arrive, la Résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas".

    Trois mots pour résumer mon engagement : 
    - Honneur 
    - Patriotisme 
    - Camaraderie

    Les livres les plus fidèles à l’esprit de la Résistance : 
    - Les Mémoires du Général De Gaulle 
    - Les ouvrages du Père Froissard 
    - la biographie du Général par Alain Peyrefitte.

    Opinion sur l’Allemagne et la construction européenne : J’ai mis lontemps à comprendre la position du Général. Je reste très ami des Anglais. J’adhère à l’évolution des relations européennes .

    CONCLUSION 
    Cette aventure m’a fait revivre. Il ne faudrait pas qu’on oublie que quelques hommes ont été capables de représenter un pays car nous étions en terre étrangère et le général De Gaulle n’y était pas connu.

    M. Henri-Dominique SEGRETAIN a écrit ses mémoires et évoqué le témoignage de 167 Français Libres dans son ouvrage " DE GAULLE EN ECHEC ? DAKAR 1940 , Editeur Michel FONTAINE, Collection du Cinquantenaire, 1992 .

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