• * Du devoir de mémoire au travail de mémoire...

    Article proposé comme contribution à la réflexion sur  les évolutions  de la transmission de la mémoire, en lien avec  le travail  opéré dans le secteur de l'éducation, des Nouvelles technologies et par les différents acteurs de la  mémoire dans la société civile.

    12 janvier 2016 - Jean-Marc TODESCHINI, Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Défense chargé des Anciens combattants et de la Mémoire

    Source : Huffingtonpost.fr

    Demain sera discutée au Sénat une proposition de loi visant à instaurer un "Jour de Mémoire". L'ambition de ce texte est noble : "sensibiliser et promouvoir auprès des jeunes l'histoire de notre pays, les sacrifices de nos anciens et les valeurs républicaines de la Nation française". C'est une ambition que nous partageons tous. Pour certains d'entre nous, c'est même une responsabilité tant l'histoire et les mémoires de notre pays constituent une part fondamentale de l'identité de notre Nation. Je me dois donc de faire vivre ces mémoires, dans leur pluralité, sans en oublier aucune.

    Ce texte déposé au Parlement part du constat que les jeunes ont déserté les monuments aux morts devant lesquels les Françaises et les Français sont appelés à se rassembler à l'occasion des journées nationales. Telle serait pour certains encore la meilleure manière de faire vivre la mémoire. Mais aujourd'hui, il est faux de penser qu'elle vivrait seulement devant les monuments aux morts. Elle vit dans les écoles, sur nos lieux de mémoire, face à des anciens qui témoignent. Elle n'est plus l'affaire d'une journée par an.

    La présence des jeunes dans les cérémonies est-elle encore un indicateur de leur intérêt pour l'histoire et les mémoires de notre pays et plus largement de leur mobilisation pour la défense des valeurs républicaines ? Je ne le crois pas. La mémoire, c'est d'abord un travail pédagogique à conduire sur le long terme. Quand un élève de primaire travaille pendant un an sur la réalisation d'un carnet de poilu sur la base d'un nom inscrit sur le monument aux morts de sa commune ; quand un collégien prépare un film sur la Grande Guerre avec l'aide de son professeur ; quand un lycéen fait un recueil de témoignages d'anciens déportés avec qui il est revenu sur le lieu de leurs souffrances, il fait vivre nos mémoires.

    Et au-delà du succès rencontré dans les écoles par les cycles commémoratifs des deux guerres mondiales, la mobilisation des jeunes dans les villes de France au lendemain des attentats de janvier 2015 témoigne aussi que la République peut compter sur la jeunesse pour défendre ses valeurs et ses principes dont elle connaît bien l'héritage et ceux à qui elle le doit.

    La mémoire, c'est aussi exercer nos jeunes à la citoyenneté. L'Etat s'est pleinement engagé ces dernières années dans une véritable politique pédagogique et d'éveil à la citoyenneté, en faisant de la transmission de notre histoire une étape-clé du parcours citoyen, en développant les nouveaux vecteurs de la mémoire, tels que le numérique, en construisant des contre-discours face à la désinformation et à la falsification de l'Histoire qui sévissent sur internet et font le terreau du terrorisme, en soutenant financièrement des projets pédagogiques et en encourageant les jeunes à se rendre sur nos lieux de mémoire. C'est pourquoi conduire les scolaires devant les monuments aux morts est une ambition que je souhaite dépasser pour faire des jeunes non pas des spectateurs mais des acteurs éclairés, des citoyens attentifs et dotés d'un esprit critique. C'est le meilleur moyen de lutter contre les discours et les actes qui se nourrissent de la haine et qui menacent notre socle républicain.

    Au devoir de mémoire, auquel trop de Français restent attachés sans mesurer les efforts que cela exige, s'est substitué le travail de mémoire. C'est une démarche du quotidien et un engagement de tous les instants qui requièrent ambition et courage. Oui, la mémoire, c'est faire preuve de courage : celui de renouveler sans cesse notre pratique mémorielle et d'investir tous les champs mémoriels pour ne pas commémorer d'un même élan des mémoires aussi diverses que celles qui ont fait la France, celle de la Grande Guerre, celle de la Seconde Guerre mondiale, celle des guerres qui ont conduit à la décolonisation mais aussi celle des attentats que la France a connus en 2015 et qu'il faudra faire vivre au fil des années. C'est pour cela que l'Etat prendra toute sa part dans la grande enquête engagée par le CNRS pour recueillir la parole des témoins des attentats, menée par des historiens, sociologues, philosophes, psychologues et neuroscientifiques.

    Aujourd'hui, les mémoires irriguent l'esprit des jeunes générations. Nos enfants s'y intéressent et n'ont pas besoin de contraintes législatives pour continuer de s'y intéresser. A nous de les accompagner en nous dotant d'outils pédagogiques modernes et en investissant massivement les nouveaux vecteurs de la transmission pour inscrire cette dynamique dans la durée. C'est aussi de cette manière que nous pourrons rétablir "la République en actes" comme l'a souhaité le Président de la République et que nous pourrons, comme l'espérait en son temps Jean Zay, donner à la jeunesse "assez de doctrine offensive, assez de convictions intangibles, assez d'impératifs, assez d'armes pour affronter les dangers d'une époque, pour défendre par tous les moyens l'héritage de nos libertés"


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