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* ALSACE, 25 Janvier 1944 : le drame de la Cie Chambarand (BM 4) à l'Illwald
Stèle de l'Illwald 2011 . à gauche Maxime Balay (Bm4) et à droite Emile Gauthier (Chambarand)
Porte-drapeaux Antoine Maniscalco et Marcel Barbary à droite
RECIT de PIERRE DEVEAUX
"... Les compagnies du B.M. 4 attaquent. Le terrain est miné, aussi mettons-nous les pieds dans les empreintes laissées par les camarades qui nous ont précédés.
L'Artillerie pilonne devant notre progression et nous offre un paysage apocalyptique fait d'éclairs, d'arbres qui craquent et s'effondrent dans l'indescriptible fracas des armes. Grisés par l'odeur de poudre montant de cet enfer dantesque, nous ressentons à ce moment un enivrement confus fait de plaisir cruel et pervers, plus fort que notre peur - car nous avions peur - celui du rapace qui fond sur sa proie...
Nous sommes stoppés, car le Génie n'a pas terminé le pont sur l'ILL et nous attendons l'appui des chars.
Nous stationnons dans la forêt. Des bras tendus s'élèvent au-dessus de quelques sapes ennemies dont les occupants retardataires se rendent. Nous prenons les abris que viennent d'abandonner les Allemands. Le bois est marécageux, il y a partout des canaux de plusieurs mètres de largeur. Nous regardons construire un pont. Quand les chars arrivent à proximité de la 2e Compagnie, la vibration du sol provoque l'explosion des mines qui blessent ou tuent une quinzaine d'hommes.
Nous sommes incapables d'utiliser nos armes, car lors de la progression par bonds, la chaleur de nos mains a fait fondre la neige, et l'eau qui s'est introduite dans les mécanismes a gelé, les canons sont bouchés. Certains essayent d'uriner sur les culasses, mais n'y parviennent généralement pas, car le froid particulièrement vif et l'émotion (que l'on pourrait aussi appeler la trouille) rendent introuvables nos zizis recroquevillés.
Jeudi 25 janvier : Nous piétinons, c'est très dur. Des chars empêchent notre progression en terrain découvert. La brigade trouve les Allemands fortement enterrés. Les pieds gelés commencent. Nos patrouilles avancent malgré tout.
Dans la soirée, gros émoi à l'Etat-major, l'ennemi attaque sur MOREL.
Dans la nuit, ils ont pu décrocher avec de grosses pertes. Ça devient angoissant.
Un moment on a cru perdues les autres compagnies du B.M. 4 ; il n'en est rien. 50 hommes de la 2e Compagnie sur 140 rentrent .
Que se passe-t-il sur le terrain ? A l'aube, la marche d'approche s'effectue en silence au milieu d'une plaine nue traversée par plusieurs rivières. Devant la 2ème Compagnie, de la forêt au canal du Rhône au Rhin, c'est un feu d'artifice. Le canon tonne, pilonnant les positions ennemies.
La 2e dépasse le B.M. 5 et tout à coup, c'est le silence, un silence pesant, un silence de mort qui couvre la plaine et les bois enneigés.
La 2e avance et se déploie pour atteindre son objectif : la corne Sud Est de l'ILLWALD.
A huit heures du matin par un froid de moins quinze degrés, les sections commencent à avancer dans les sous-bois. La 4e section a changé de chef depuis quelques jours. Le Lieutenant qui commandait a été blessé et remplacé par l'Adjudant-chef BOURCHANIN (un ancien de la gendarmerie).
Ses hommes sont de jeunes engagés qui ont rejoint le bataillon de marche il y a peu de temps, venus des Ardennes. Ils ne sont pas très aguerris encore, mais l'allant de leur chef les galvanise.
Les hommes marchent lentement, en tirailleurs, sur la neige dure. Le froid transperce les tenues américaines trop légères, peu adaptées à la température.
A chaque minute, l'œil et l'oreille attentifs cherchent à deviner un bruit ou une silhouette. De petits éléments ennemis sont encore disséminés dans la forêt, laissés en arrière pour retarder la progression. De temps en temps, des coups de feu partent, sur la droite, sur la gauche.
Parfois une brève rafale, une explosion de grenade. La marche est chaque fois interrompue, chaque homme à l'écoute, puis elle reprend avec davantage encore de prudence ! Mais la 2e Compagnie avance toujours.
Les quelques Allemands rencontrés sont, tour à tour, liquidés ou se replient. Aux approches de midi, la lisière est enfin atteinte et le Capitaine MOREL peut installer ses positions. Face à l'ennemi, il place la première section, la plus aguerrie, celle du Lieutenant VALOIS.
De chaque côté les deuxième et troisième sections.
Enfin, vers l'ouest, du côté des lignes françaises, la 4ème section de l'Adjudant-chef BOURCHANIN, moins expérimentée, plus fragile. Le moral est excellent, l'opération s'est déroulée de façon parfaite. L'effectif est au complet et s'ajoute la satisfaction de la mission accomplie.
Cependant une inquiétude va surgir rapidement. Le Capitaine MOREL qui a envoyé des reconnaissances à gauche et à droite de ses positions, voit revenir l'une après l'autre ses patrouilles déçues.
Les autres formations du Bataillon, sans doute accrochées plus vigoureusement par l'ennemi n'ont pu franchir le bois. La 2e Compagnie se retrouve seule, avancée à la lisière. Et tout à coup, le silence jusque-là protecteur est devenu solitude. Transis sous le froid intense, les hommes et leurs chefs sentent leurs muscles s'engourdir.
Illwald - Claude Robedat
Les heures passent, attentives et anxieuses. A plusieurs reprises, des alertes viennent crever cette solitude. L'ennemi n'est pas inactif. Il voudrait certainement reconquérir le terrain perdu ce matin et la position de la 2e Compagnie est maintenant très inconfortable.
Les Panzerfaust, les obus de mortier, des centaines et des centaines de balles traçantes, des milliers de projectiles font de cette nuit de l'ILLWALD un spectacle dantesque et hallucinant.
L'air gelé vibre aux explosions et aux crépitements, l'obscurité, pâle au-dessus du sol blanc est rayée de lueurs fulgurantes.
Au fil des minutes la situation devient critique. Elle sera bientôt désespérée, les tirs arrivant de tous côtés à la fois.
Il est même certain que les plus nourris partent des arrières où se trouve la section BOURCHANIN. Cela signifie clairement que la position a été contournée et que la Compagnie se trouve maintenant encerclée.
Les Allemands, tout vêtus de blanc (c'est un bataillon qui rentre de Norvège, bien entraîné aux combats d'hiver), attaquent avec une violence inouïe par la forêt.
Les hommes n'ont presque pas de protection. La 4e section ne peut plus faire un mouvement. Les hommes tombent sous la mitraille.
L'Adjudant-chef BOURCHANIN s'est abattu dans la neige, atteint mortellement, un des premiers, avec les trois quarts de ses hommes.
Fonds Emile Gauthier
Peu après, l'ennemi donne l'assaut, capture les quelques rescapés de la section et occupe la position.
Le Capitaine MOREL, au milieu des hommes traumatisés et désemparés qui restent en sa compagnie, réussit avec le Lieutenant VALOIS à en regrouper une quarantaine. Avançant à tâtons dans la nuit, la petite colonne cherche un passage entre les lignes ennemies pour sortir de l'enfer. Elle a fait tout de même deux prisonniers.
Puis elle arrive devant une rivière, le BENNWASSER aux eaux profondes et glacées. Il faut absolument la traverser. Ce n'est peut-être que de l'autre côté que se trouve le salut.
Mais parvenu sur l'autre rive, le Capitaine MOREL a perdu quelques-uns de ses hommes. Trop épuisés de congestion, ils ont été entraînés par les eaux, quelquefois sous les yeux de leurs camarades impuissants.
Au P.C. du Bataillon de Marche n°4, vers 22 heures, lorsque se présente enfin la 2e Compagnie, ce n'est plus qu'une malheureuse et pitoyable troupe réduite à l'effectif d'une grosse section.
Les hommes complètement exténués de fatigue et de froid - les vêtements trempés leur ont gelé sur le corps - sont dans un tel état qu'il faudra de longs moments avant qu'ils semblent revenir à la vie.
Et il faudra bien ensuite que le Capitaine MOREL, effondré devant l'ampleur du désastre, fasse le bilan.
Les présents sont rapidement comptés, il saura qu'il a perdu quatre-vingt-dix hommes : trente-cinq morts, vingt-cinq prisonniers et trente blessés.
Tragique revirement du sort des armes. D'une compagnie qui, à midi, se trouvait au complet après l'accomplissement d'une mission difficile, il ne reste ce soir que quelques hommes hébétés, rescapés - ils ne savent trop comment de l'épouvantable nuit.
Là-bas, de l'autre côté de la sinistre forêt de l'IILLWALD, le corps du chef BOURCHANIN et ceux de ses jeunes soldats éparpillés autour de lui, déjà raidis par la mort et le froid, ne sont plus que d'immobiles points sombres à la lisière du bois, étendus sur la neige d'Alsace.
Près de chacun d'eux, une tache de sang rouge vif sur l'immense tapis blanc, restera lorsqu'on aura relevé les corps, pour témoigner du sacrifice.
Dans la nuit, le Lieutenant ARTIERES rejoint le P.C. de SAINT-HIPPOLYTE avec une poignée de soldats. Après de nouveaux comptes, la 2e Compagnie déplore 60 disparus sur 140.
Parmi les morts, 5 Chambaran : Ferdinand BOURCHANIN, Raymond DUBOIS-CHABERT, Marcel GUICHET, Henri PILON et Henri VAUDAINE
Fonds Emile Gauthier
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Commentaires
les porte-drapeaux: Antoine Maniscalco et Marcel Barbary. Magnifique voyage, plein d'émotions