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* ALSACE 23- 24 janvier 1945 - Alexis LE GALL (1922-2019) et la 2e compagnie du BM 5 dans l'Illwald
Parmi les nombreux témoignages sur les combats de la 2e Brigade de la DFL dans l'Illwald, nous vous proposons de retrouver celui d'Alexis LE GALL, qui nous a quittés le 22 décembre dernier.
Le 19 juin 1940, Alexis Le Gall et son frère, Jacque, âgés respectivement de 17 et 19 ans, parvenaient à quitter Audierne à bord de l'Ar Zenith, le bateau "courrier" de l'Ile de Sein. Ils débarquent à Plymouth le 21 juin, parmi les tout premiers volontaires qui formeront l'embryon des Forces Françaises Libres. Alexis rejoint la 1ère DFL et sera de tous les combats du Bataillon de Marche 5 : Le Cameroun, El-Alamein, Tobrouk, la Tunisie, l'Italie, le débarquement de Provence puis la Campagne de France jusqu'en Alsace où il sera grièvement blessé en janvier 1945. "Les Clochards de la Gloire" publié en 2017 aux Editions Charles Herissey rassemble les souvenirs d'Alexis LE GALL
« Le 22 (janvier) nous partons pour le village voisin de Saint Hippolyte où le soir on nous annonce le départ de l'attaque pour le lendemain matin à la toute première heure. Nous faisons provisions de chaleur et prenons, dans la maison où nous sommes abrités, un bon repas chaud, sans oublier, suivant les conseils de notre hôte alsacien, de remplir notre bidon (1 litre) de schnaps, qui devrait nous aider à tenir le coup par le froid sibérien qui sévit. Il fait jusqu'à - 10° dans la journée, ce qui promet des nuits à - 20°.
Le 23 janvier, avant le jour, nous nous rassemblons pour le départ. Il n'est jamais très gai de partir à l'attaque surtout, comme ici, sans connaître le terrain. Avec l'expérience des vieilles troupes et les conseils des villageois, nous commençons par avaler une boisson chaude, arrosée de schnaps.
MULLER, qui les met en confiance en leur parlant alsacien, obtient leur accord pour emprunter 2 luges qui nous soulageront du poids des caisses de munitions, car les mitrailleuses, bien que séparées en pièce et trépied pour le transport, sont déjà assez lourdes et encombrantes. Il fait très froid avec une température de l'ordre de -15° mais la nuit est éclairée par la neige qui recouvre tout, du sol en haut des arbres.
Nous suivons un cap à l'Est qui va, au bout de 2 ou 3 km, nous faire traverser la route de SELESTAT à COLMAR (à 15/20 km au sud de la ferme de RIEDWASSEN que nous occupions précédemment) au-delà de laquelle nous pénétrons, au Nord d'une route forestière, dans des prairies précédant la forêt de l'ILLWALD, dont on aperçoit, au loin, les lisières.
Pour le moment rien ne se passe. Le jour s'est levé et le silence est parfois troué du claquement sec d'un coup de fusil ou de l'arrivée de tirs de mortiers.
Les voltigeurs qui nous entourent semblent avancer également dans l'inconnu avec, bizarrement, des routes qui se croisent, les uns avançant en obliquant de droite à gauche, les autres obliquant de gauche à droite.
Si bien que, partis avec la 2ème Cie, nous marchons désormais avec la 3ème : ce sont là les mystères de la tactique que le soldat n'essaie plus, depuis longtemps, de comprendre.
Quant à nous, en protection de la 3ème Cie, nous tenons le flanc gauche du bataillon et n'avons, nous dit BAUDET, aucune protection sur notre gauche.
En résumé, le B.M.5 tient la gauche de l'attaque de la Division (elle-même flanc gauche de l'attaque de la 1ère Armée) et, nous, nous protégeons la gauche du B.M.5. C'est gai !
Au moment où nous nous approchons de la lisière, deux coups de feu en partent et DUPIN tombe. Le petit Gilles se précipite vers lui et est touché à son tour, victime du même sniper que nous n'avons pu situer. Il nous faut nous camoufler provisoirement et nous tirons au jugé vers les premiers arbres.
Le sniper s'est tu. Apparemment DUPIN est mortellement atteint : le gars d'en face devait avoir un fusil à lunette. Quant à Gilles, il est juste blessé (à la hanche). Nous devons les abandonner car la progression doit continuer mais nous avons heureusement pu alerter deux brancardiers qui vont se charger du blessé.
La perte de DUPIN nous touche tous. Il nous avait rejoint durant l'été 43 et, depuis un an et demi, ce méridional, plein de bagout et pétillant d'intelligence, nous amusait de ses réflexions et de ses histoires ; joyeux compagnon, toujours de bonne humeur mais aussi plein de bonne volonté et de courage. Étudiant à l'université de Montpellier il avait, dès ses 18 ans, décidé de s'évader par l'Espagne, avait souffert au camp de MIRANDA et nous avait rejoint à ZUARA.
De notre quatuor solide de Tunisie et d'Italie, après la blessure d'OTTAVY en Italie et la disparition de DUPIN, il ne nous restait plus que FOURNIER et MULLER. Que Dieu les protège !
TANGUY est debout le 3e en partant de la droite
Groupe Facebook "Alexis Le Gall son devoir de mémoire"
Nous avons maintenant atteint le bois, que borde, hélas, un ruisseau glacé qu'il faut traverser.
Heureusement il n'est pas trop large et les occupants précédents (Allemands) y ont installé deux planches, accrochées aux deux rives, qui nous évitent, si on peut s'y maintenir, à s’enfoncer dans l'eau jusqu'au ventre. Par le froid qu'il fait ce serait catastrophique.
Avec la planche nous n'avons de l'eau que jusqu'aux genoux, ce qui limite les dégâts. Tout mon groupe passe sans dégâts. Comme d'habitude je fais équipe avec TANGUY.
Quant au groupe HOCHET, qu'accompagne BAUDET, il appuie sur notre droite une autre compagnie. Les voltigeurs de la 3ème Cie se sont arrêtés peu après le ruisseau.
Je poste la mitrailleuse de MULLER entre ces voltigeurs et le passage du ruisseau, en bordure de la forêt, couvrant des prairies dégagées. Quant à FOURNIER il ira plus avant et sur la droite, à hauteur des voltigeurs, où la forêt est moins dense et où l'on a donc un peu de visibilité. Je conviens avec TANGUY qu'il reste avec MULLER tandis que j'accompagnerai FOURNIER dont la pièce ne tarde pas à entrer en action car une unité allemande se replie devant notre avance et il en profite pour les arroser copieusement et accélérer leur retraite.
Devant nous et sur notre droite, ça tiraille de partout. L'attaque semble tourner à notre avantage mais toute la forêt retentit de coups de feu, de rafales d'armes automatiques, d'éclatements de grenades et d'arrivées d'obus ou de mortiers.
J'abandonne un moment FOURNIER pour aller voir où en est MULLER, quand j'entends des arrivées d'obus de mortier du côté de la pièce que je viens de quitter. J'y retourne aussitôt.
C'est la catastrophe : un obus est tombé pile sur la pièce. Seul FOURNIER bouge encore. Les 2 autres servants sont morts et FOURNIER ne vaut guère mieux. Son corps est criblé d'éclats du haut du dos jusqu'au bas du corps. Seule la tête a été protégée.
Il me dira, bien plus tard, que c'est son chargeur qui l'a protégé en se penchant sur lui pour lui montrer un groupe d'allemands qui essayait de se camoufler derrière arbres et buissons devant eux.
Notre mitrailleuse était installée dans un ancien emplacement allemand couvert de rondins et l'obus de mortier est tombé sur les rondins pulvérisant les deux jeunes servants, dont l'un, penché sur FOURNIER, lui protégeait le haut du corps.
J'appelle TANGUY et lui dis : « Si on le laisse ici il crève. Il faut l'évacuer et le confier au premier brancardier qu'on va trouver. Il faut le traîner jusqu'au passage du ruisseau, le porter de l'autre côté, l'installer sur une des deux luges, avec l'aide des gars de MULLER. Puis je vais le tirer vers un poste de secours jusqu'à ce que je trouve un brancardier. »
TANGUY n'est pas très chaud car, nous le savons tous deux, je n'ai pas le droit d'abandonner ma pièce, surtout en pleine attaque.
J'insiste : « Remplace-moi ici. MULLER peut s'occuper de sa pièce tout seul. Je ferai le plus vite possible ».
Avec son accord et son aide nous sortons FOURNIER et le traînons jusqu'au ruisseau ou les gars de MULLER nous aident à traverser. La luge est bien là. On y allonge FOURNIER sur le ventre et on l'y ficelle. Ses jambes traînent derrière mais ce n'est pas grave, la luge glisse quand même sur la neige et je m'attelle aux cordes attachées à l'avant pour traîner l'ensemble vers le salut, souhaitant éviter tout pépin ou toute rencontre d'officier. Car je suis provisoirement « déserteur » et, si je suis repéré, je risque gros.
Contrairement à ce que j'espérais, j'ai beau avancer je ne vois ni infirmier ni brancardier : c'est le vide complet et nous refaisons à l'envers le chemin parcouru le matin.
Enfin, au bout d'une demi-heure à trois quarts d'heure, j'aperçois, près du chemin forestier, la baraque à Croix-Rouge. Je hèle des gars qui se trouvent aux abords, leur refile FOURNIER et la luge et repart, en courant, rejoindre notre poste à près de 2 km de là. Je commence à connaître les lieux, les ayant déjà parcourus en aller et retour.
Pendant mon absence il ne s'est rien passé. La mitrailleuse est toujours là, servie par POTHELET et un autre jeune. Je m'installe près d'eux dans un emplacement allemand distant de 3 ou 4 mètres.
A la mitrailleuse, les deux morts gisent sur place et commencent à geler. Les servants sont assis dessus et tous nous attendons. Il ne se passe plus rien et la nuit tombe. Il fait froid. Il y a bien longtemps que le litre de schnaps est avalé et nos conserves de « ration K » sont gelées également. J'en ouvre cependant une boite.
On peut à la rigueur sucer le bloc glacé qu'elle contient mais pas le croquer et ce n'est pas cette nourriture glacée qui va nous réchauffer.
J'ai toujours les jambes et les pieds trempés et glacés.
Comme tout est calme, je vais rejoindre le sous-off commandant le groupe de voltigeurs qui nous accompagne car son poste est sous rondins et il y fait un peu plus chaud.
Nous bavardons tranquillement quand brusquement on entend des éclats de voix, des éclatements de grenade et des tirs : nous sommes attaqués.
Je me précipite vers mon emplacement et dis à POTHELET : « Tu ne tires que si tu distingues quelque chose. »
Mais nous scrutons en vain. Devant nous et sur le côté on se bat, Allemands et Français mélangés, mais on n'y voit goutte. Soudain on m'allume d'une rafale de mitraillette ou de fusil d'assaut, tirée à moins de 10 mètres. L'Allemand m'a repéré mais son tir m'a ébloui et je ne distingue rien. J'ai reçu comme un grand coup de poing dans le bras gauche. Je touche : ça saigne énormément et le bras s'ankylose.
Je murmure à POTHELET : « Je suis blessé. Il faut que j'évacue ». Je saute de l'emplacement en m'abritant derrière lui mais plus de nouveau tir. L'autre doit savoir qu'il m'a touché et se désintéresse de moi. Je rejoins TANGUY qui veut me couper la manche pour dégager la plaie et mettre un pansement mais je refuse car je me retrouverais avec chemise, blouson et capote sans manche et je n'ai pas de rechange. On me pose un pansement et ils me font un garrot.
J'ai déjà perdu pas mal de sang mais avec le garrot ça saigne moins. Je traverse le ruisseau tant bien que mal : nouveau bain de pied mais je commence à y être habitué, et je reprends seul dans la nuit le chemin parcouru l'après-midi en traînant FOURNIER.
Tout est blanc mais j'arrive à me repérer en retrouvant des arbres, buissons ou talus remarqués à mon premier passage. Il ne faut pas traîner car je commence à avoir des étourdissements.
Enfin voici le poste de secours. J'y pénètre, il y a la pas mal de monde, certains allongés, d'autres assis.
BEBEY, notre médecin auxiliaire camerounais, qui nous suit depuis le camp d'Ornano et qui est un ami, s'occupe de moi et la première chose qu'il décide est de couper les manches gauches. Décidément c'est une manie et de plus, ici, c’est fort mal réalisé.
Ma capote, mon blouson et ma chemise ont perdu leur manche gauche mais ils sont également lacérés dans le dos par la balle qui m'a rasé la peau et est passée à moins de 10 cm du cœur. J'ai eu de la chance. BEBEY me nettoie la plaie, fait mettre un pansement serré et je n'ai plus qu'à attendre l'évacuation.
L'os n'est pas cassé, ce n'est pas très douloureux et l'on est ici à l'abri du froid. Je me rends compte, à la réflexion, que l'évacuation de FOURNIER m'a finalement bien servi.
Sans elle, de nuit, je n'aurais jamais trouvé le poste de secours.
J'aurais erré dans la nuit jusqu'au moment où, par manque de sang et de forces, j'aurais chuté quelque part et peut-être gelé sur place. Tandis que là j'ai pu rejoindre directement le poste de secours.
Au matin on m'évacue en ambulance vers l'hôpital arrière (Spears) installé dans un hôtel à HOWALD (une station d'hiver des Vosges).
Ici c'est l'usine : les chirurgiens opèrent sans discontinuer. On me dit : « II faut curer ta plaie et recoudre l'arrière du bras qui est déchiqueté ». On m'allonge sur une table d'office et on m'injecte, en intraveineuse, un liquide inconnu.
Je perds conscience presque aussitôt pour me réveiller quand on m'empoigne pour me placer sur un chariot.
Je crie : « Attendez pour me charcuter. Je ne dors pas encore ». L'infirmier éclate de rire : « C'est fini ton opération. Tu te réveilles ».
Très bonne nouvelle, car combien de nos copains sont morts justement pour ne pas s'être réveillés après leur opération ! Je me retrouve dans une grande salle pleine de lits, serrés au maximum. Je suis parmi les vernis car nombreux sont ceux qui souffrent et gémissent.
Les plus à plaindre sont 2 Fusiliers Marins, noirs des pieds à la tête et boursouflés. Ils ont brûlé dans leur char ou leur half-track. Ils n'arrêtent pas de gémir et de crier, la nuit comme le jour.
Au bout de 3 ou 4 jours on vient les mettre sur un chariot. Ils ne disent plus rien. Ils sont morts. Horrible !
Plusieurs morts s'en vont ainsi. Ils sont vite remplacés. Ici, pas de visites, ni de consolations : c'est chacun pour soi. On crève ou on guérit, on pleure ou on dort. C'est l'antichambre de l'enfer. Je suis là depuis une huitaine de jours quand on nous annonce un prochain départ. On va être évacués par train sur l'arrière.
Ma blessure s'arrange et je figure parmi les valides. Comme il ne s'agit pas d'un train-hôpital mais d'un train ordinaire on n'évacue que les personnes transportables en les classant en deux catégories : ceux qui peuvent voyager assis et ceux qui doivent voyager sur civières ».
Alexis LE GALL
Groupe Facebook "Alexis Le Gall son devoir de mémoire"
source : Alexis Le Gall, son devoir de mémoire
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