Noël BERRIOT
Noël Berriot en 1941
Né le 22 décembre 1923, Noël BERRIOT fait partie des FFI à partir de mai 1944. En octobre 1944, à 20 ans, il entre dans la 1ère DFL comme Engagé Volontaire en temps de guerre. Il est affecté à la Compagnie Lourde d'Accompagnement du BM 5, spécialité antichars.
Noël BERRIOT est décédé le 1er septembre 2018.
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Pour rendre hommage à son grand-oncle ancien du B.M.5, Mme Christine Moutte, sa petite-nièce, a rassemblé en un livret les mémoires de Noël Berriott sur la 1ère DFL dans lesquelles il témoigne sur son vécu dans les combats dans l'Illwald.
"j'avais tenu à retranscrire ses mémoires en respectant cette manière simple et personnelle de raconter".
Christine Moutte
Copie de la couverture du livret
Fin janvier 1945 : la Bataille pour Colmar
Sélestat / Bas-Rhin (67)
On reste en cantonnement quelques jours à la sortie de Sélestat, on loge dans une maison, on attend. Et puis vient un ordre un soir : on doit dormir avec le sac sur le dos, couverture roulée, on doit être prêts à partir, on attend le rush. On dort avec le sac sur le dos, le sac sert d'oreiller. On ne sait rien, y'a que le sergent qui sait. Dans la nuit, on nous réveille, "Allez debout les gars, on y va". Là, y'a plus un mot, on se lève, on est prêts, on démarre. On sait que tout le monde ne redescendra pas, on nous l'a déjà dit.
Passage du canal
Attaque
Lors de l'attaque sur Colmar, on devait passer l'Ill -c'est une rivière qui est plus ou moins parallèle au Rhin côté français. Mais avant, il fallait passer un canal. Les Boches ne pouvaient pas faire sauter les écluses du canal car ça aurait tout noyé et eux, ils devaient garder la possibilité de se barrer.
On utilisait le camion anti-char toujours après les attaques, en cas de contre-attaque. Donc là, on ne prend pas notre camion anti-char, mais des mitrailleuses lourdes. Quand on a des pièces lourdes avec nous -mitrailleuses, caissons de cartouches- on les emmène en jeep aussi loin que possible près du front. Tout est monté dans les jeeps. Nous, on suit à pied avec tout notre barda sur le dos. Tout à coup, les jeeps s'arrêtent, elles ne peuvent pas aller plus loin et on nous dit : "ça y est les gars, on vous lâche là, alors salut les gars, faites attention hein! les gars".
On est chargés avec tout notre fourbi sur le dos, il y a de la glace partout, ça glisse pour traverser sur les passerelles des écluses. Les gars chargés du déminage nous tiennent pour qu'on ne tombe pas dans l'eau glacée du canal, on est obligés de se cramponner.
"Allez Berriot fais gaffe" je me dis. J'ai ma cartouchière pleine, 80 cartouches, j'ai 6 grenades, 3 de chaque côté dans mes bretelles, et je porte aussi la culasse de la 12,7 en plus de mon sac, ma couverture, mon fusil et tout, j'étais chargé comme une bourrique.
Et là, on passe l'un après l'autre. C'est tout un bataillon qui marche, tout un bataillon, mais t'entends pas un bruit, t'entends rien, pas un bruit.
On marche un peu, on tombe sur une petite route, et là, ça commence à flinguer. On est au contact. "Couchez-vous, bon Dieu! Couchez-vous!" Le capitaine était debout sur la route. "PORTMANN, couchez vous!" PORTMANN, il se couche pas, il reste debout comme le capitaine. "PORTMANN, couchez vous ou je vous botte le cul!". J'étais avec Mimile et un autre gars blessé. J'étais à l'abri d'un buisson à monter la mitrailleuse, et là, il nous tombe un obus, BAOUM !, et PORTMANN était encore débout ; je le regarde : "Oh la vache, il a rien eu!". Le sergent-chef Roger MORIN est blessé : un éclat dans le ventre. Le grand PORTMANN reste avec lui pour s'en occuper. MORIN, soigné, nous rejoindra plus tard à Menton, il avait eu tout le ventre ouvert, il m'a dit qu'ils lui avaient tout sorti du ventre avant de refermer.
SOUILLAT et moi, on continue, les autres suivent. On fait environ 1 km, on traverse des clairières en courant, mais on ne court pas vite, on est fort chargés.
Je vois un ancien qui semble danser en se marrant, je regarde mieux, il envoyait du sang à 3 mètres, il avait apparemment une artère coupée à la jambe, il faisait des ronds, il tournait sur lui-même, ça m'étonnerait qu'il s'en soit sorti.
Il y avait un petit pont pas très haut pour passer un chemin en zone inondée, c'était bourré de morts et de blessés, y'avait du sang partout. Et d'autres qui n'étaient pas blessés que t'arrivais pas à faire sortir, tellement ils avaient peur !
C'était terrible. Certains avaient bu de la goutte avant de partir pour se donner du courage.
On continue à avancer. Tant qu'on n'a pas percé, on s'en prend plein la gueule, les Allemands nous attendaient. Il faut passer, faut passer, y'a rien à faire ; entre les bois, on court. Mais on ne peut pas courir beaucoup, on est tellement chargés! et dans la neige, on n'avance pas!
Bien sûr, y'en a beaucoup qui avaient vraiment peur, morts de trouille, mais finalement, faut arriver à maîtriser la peur, et puis c'est tout. On était là pour ça, moi je n'avais pas peur. C'est pour ça que le capitaine il me considérait, il disait que BERRIOT, c'était quelqu'un.
Les Allemands ont contre-attaqué avec des troupes qui descendaient de Norvège et qui étaient super équipées, tout habillées en blanc et tout. Alors que nous, on n'avait même pas de snow boots. C'est surtout un autre Bataillon de Marche qui a encaissé, ils ont fini tous prisonniers ou tués, ils ont résisté jusqu'au bout. Et pour les prisonniers, il parait que les Boches ont fait une haie d'honneur de chaque côté et leur ont présenté les armes, pour les honorer car ils avaient bien résisté.
Quand on a fait cette attaque là, on voyait que des points noirs dans la neige : c’était tous les obus qu'on avait pris. Et que des points rouges : c’était tous ceux qui étaient blessés ou morts.
Passage de l'Ill
Attaque de la forêt de l'Illwald
On passe la rivière de l'Ill sur des canots pneumatiques qui permettent de faire passer deux personnes. Un canot avait déjà été crevé par les éclats d'obus. Je passe avec un copain sur un autre pneumatique, on nous tirait de la rive opposée avec une corde. Et là, ça se met à canarder. J'arrive en haut du talus de l'autre côté de la rivière. Tellement ça claque de partout, je m'abrite derrière un cadavre pour me protéger. On avance un peu. On arrive dans le bois de l'Illwald, une forêt de 8 kms sur 7. On doit faire une percée. Les obus qui s'abattent sont des obus fusants, ils éclatent dès qu'ils touchent une branche, donc ça éclate dès que ça touche les têtes d'arbres et ça sulfate tous ceux qui sont en dessous.
J'essaye de dégeler ma mitrailleuse, elle est démontée, j'aurais bien voulu avoir une boite de ration à allumer et faire du feu pour faire fondre la glace de la mitrailleuse, je suis à quatre pattes dans la neige, je ne fais plus attention aux explosions, je ne fais plus attention à rien d'autre, je ne tremble pas, je me dis que si j'arrive à la faire péter, elle va réussir à se réchauffer. Mon copain Lucien SOUILLAT de la Côte d'Or me dit "Oh Berriot, je reste pas à côté de toi, tu vas te faire tuer". Il s'éloigne pour se mettre derrière un arbre, il prend un éclat dans le dos. Un autre à côté de moi - un jeune de 19 ans de Bucy-les-Pierrepont - il se retrouve avec la cuisse ouverte. Le capitaine braille : "Tirez bon Dieu Berriot, tirez!". Je hurle : "Elle est gelée, bon sang, donnez-moi autre chose!". Il n'a plus rien dit.
Il me crie : "Occupe-toi de Souillat qui est blessé" SOUILLAT est tombé à plat ventre, on lui coupe ses habits jusqu'à la peau, tout ce qu'il a sur le dos : de la capote jusqu'au maillot de corps pour ouvrir tout en 4 pour mettre le premier pansement dans le dos. Le jeune de 19 ans blessé par un éclat dans la cuisse est au pied d'un arbre et appelle sa mère en pleurant, je lui dis "ça va, arrête, je suis là". On lui a découpé son pantalon jusqu'en haut de la jambe pour le soigner, il avait les panards à l'air, et il geignait : "Mon pantalon, mon pantalon". Il a été évacué lui aussi.
Alors, j'avais ma mitrailleuse 12,7 gelée qui ne voulait pas tirer. Mais même si ma mitrailleuse n'avait pas été gelée, je n'aurais pas pu tirer, sinon j'aurais tué nos gars. Parce qu'il y avait tous les gars qui se trainaient l'un et l'autre, ils étaient tous blessés et ils redescendaient du front et ils me passaient devant en traversant la forêt. J'en vois un qui était de Sissonne, tout le côté droit de son visage était comme râpé, comme s'il avait été traîné sur la route, sûrement qu'il avait eu une mine qui lui avait éclaté à la figure, et avec la terre, il avait tout le côté du visage perlé et il tenait dans ses mains sa carabine cassée en 2 -ça a dû lui passer tout près à lui aussi!- et il me dit "Allez Berriot, toi tu restes là, moi je vais être évacué".
On prend des abris que les Boches avaient fait faire par les civils alsaciens. La forêt avait été abattue et ils avaient mis des perches pour soutenir de la terre, tout était rempli de terre et c'était construit en pointe, et les Boches étaient retranchés derrière. Alors au départ de l'attaque, on en prend plein la gueule.
On se retrouve avec 2 mitrailleuses en action, donc 2 fois 7 personnes. Mais pour la
3ème mitrailleuse, il nous faut 7 autres gars, sauf qu'on n'a plus personne à mettre pour tirer... Alors on est obligés de laisser la mitrailleuse.
Un Boche muni d'un fusil à lunette est perché dans un arbre et descend tous ceux qui approchent. Un grand vigneron d'Epernay se met à essayer de le trouver dans la forêt et il réussit à voir où il est, le Boche essaye de se sauver en sautant de l'arbre, il se prend une rafale. L'arme à lunette lui a été prise et a été embarquée par les officiers car on n'en avait jamais vu de pareille.
A la sortie du bois, on se retrouve en bordure de plaine, là, on y voit plus clair, on a fait reculer les Allemands, ça ne canarde plus. Je n'arrête pas de marcher à la lisière du bois. Les autres se sont mis dans un abri en lisière et ne bougent plus tellement ils ont eu peur, certains sont terrifiés. On est restés six jours dans cette forêt de l'Illwald. Les Allemands se sont retranchés dans un bois en face. Impossible de traverser la plaine sans se faire dérouiller aussitôt. Les Allemands nous guettent de l'autre côté.
Un char essaie de passer sur un pont à moitié sauté, le pont résiste, le char passe. Il est demandé à l'artillerie de pilonner la position des Allemands, tout ça pour faire du bruit et pour permettre aux chars de traverser la plaine sans que les Allemands entendent les moteurs. C'est ainsi que les chars ont réussi à tomber sur le dos des Allemands et ils ont découvert un arsenal pas possible : que des canons en face, on n'aurait pas pu passer!
Un soir, il fait nuit noire, mais il ne fait pas noir/noir puisqu'il y a de la neige partout, je suis de garde et j'entends : "Tirez pas, tirez pas". J'attends que ça sorte du noir et je vois un gars qui débouche. Il venait chercher un lieutenant qui avait été tué. Alors voilà : le lieutenant on venait le chercher le soir, mais mes petits copains, il neigeait, ils sont restés cinq jours par terre! ça m'a dégouté.
Pour nos gars à nous, les morts avaient gelé tels qu'ils étaient tombés, dans n'importe quelle position. Ils étaient chargés sur les jeeps comme des bottes de paille, tous entassés pêle-mêle, puis chargés dans un camion avant d'être emmenés à l'abri dans les églises pour qu'ils puissent dégeler et qu'on puisse les mettre dans les cercueils.
Dans les contre-attaques de nuit, nos lignes sont enfoncées et les gars attaqués s'éparpillent un peu partout. Et après la contre-attaque, les gars s'appellent dans la nuit noire, on entend des braillements dans l'obscurité. Parce que les gars qui ont été éparpillés ont peur que nous, on leur tire dessus, car s'ils s'approchent d'un poste, on a ordre de tirer sans sommation. Après les contre-attaques de nuit, les infirmiers qui venaient chercher les blessés, criaient "Tirez pas! Tirez pas!", ils avaient peur qu'on tire.
On reste six jours là, en bordure de la forêt de l'Illwald, le froid est terrible, moins 25 degrés, on dort dehors, on ne peut pas faire de feu ; si tu fais du feu, tu te fais bombarder. On se coupait des petits morceaux de boeuf gelé qu'on réussissait à faire dégeler un peu et on les mangeait crus. On touchait des rations mais on n'avait pas de feu, on a mangé des spaghettis à la glace, les spaghettis étaient déjà cuits mais on n'arrivait pas à planter la fourchette dedans!
On dormait dehors avec une couverture pour nous couvrir, elle ne nous tenait pas fort chaud .... on a eu quand même plus de 500 pieds gelés dans notre division! Mais certains ne se déchaussaient pas. Nous, on se déchaussait. Il fallait se déchausser pour que le pied ne soit pas tout le temps serré : le pied est un peu libre, il se réchauffe un peu. Malgré la neige, on se déchaussait pour dormir. On se disait "On arrivera bien à remettre nos godasses". Les godasses, c'étaient des buvards, en plus du froid, les pieds restaient au frais. C'est le sergent GREBECQUE (ou VERBEQUE) qui nous avait dit de nous déchausser.
On faisait des abris avec des perches et des branches pour dormir ; une nuit, il neige tellement que tout cède sous le poids de la neige, on se retrouve engloutis dans la neige. On était crevés, vraiment crevés, on n'en pouvait plus.
Si on avait été équipés comme les Américains, il n'y aurait pas eu de pieds gelés. On avait des godasses en cuir et on avait les pieds trempés dedans, les chaussures se transformaient en buvard. J'étais avec le grand lorrain PORTMANN, et avec CHAUVIN ; une fois, je dis "Tu sais Mimille, mon pied, je le sens plus trop". Il me répond "Allez déchausse toi!" Ils font des boules de neige et ils me frottent et frottent mon pied avec la neige, CHAUVIN avait de l'alcool à 90 degrés, il m'en a mis dessus. Et je me suis rechaussé. Et je n'ai pas été évacué. Vers la fin, on nous a quand même équipés avec des snow boots.
Alors là, avec les snow boots, on était les rois! On n'avait plus froid aux pieds, on mettait les snow boots par dessus nos chaussures, ça nous faisait des sacrés tatanes!
La capote pesait lourd, pas besoin de porte-manteau, elle tenait debout toute seule. On dort serrés dans les abris, on dort à cinq de front, ça fait à peu près la largeur d'une couverture, alors on peut mettre cinq couvertures l'une sur l'autre, les autres aimaient bien se mettre à côté de moi parce que je tenais chaud.
L'attaque terminée, on nous amène notre camion anti-char, au cas où les Allemands fassent une contre-attaque avec des chars. Notre camion traverse deux cours d'eau grâce à des passerelles spéciales. Quand il a fallu repartir, on ne pouvait plus passer, les passerelles avaient été retirées, on était bloqués entre deux cours d'eau. Alors je dis aux copains "Maintenant, si on est attaqués, il va falloir se barrer à la nage!". Heureusement, les passerelles ont été ramenées, on a pu partir.
Sur l'Alsace, ça a été une grosse bataille, avec de très grosses pertes dans la 1ère Armée. Nous, on a perdu du monde, mais on est passés. La ville de Colmar a été libérée.
On part pour Marckolsheim avec le camion anti-char. A la sortie de Colmar, il y a des cadavres de Boches dans tous les sens, plein, plein... les gars n'étaient pas ramassés.
A Marckolsheim, au sud de Sélestat, le pont sur le Rhin qui relie la France à l'Allemagne avait sauté. Marckolsheim vient d'être libéré, on arrive sur les bords du Rhin. A Marckolsheim, une grand-mère sort de chez elle. Il y a un petiot gars qui dort sur notre canon et la grand-mère se met à pleurer en nous voyant, nous les gamins, dans cet état. Ah c'était terrible, ah la vache ! on en avait chié quand même !
Moi ça allait, je suis allé à la chasse aux lapins et aux faisans. Avec PORTMANN, on a aussi pêché à la grenade dans la rivière ; on jetait la grenade, c'est long à péter, et ensuite on récupérait plus loin les poissons le ventre en l'air. On était logés chez la grand-mère, on épluchait les légumes et elle faisait la popote. On dormait dans une chambre, on ne montait plus la garde. On était drôlement affaiblis. Il fallait la regonfler un peu la division !
Noël BERRIOT est décoré de :
- la Croix du Combattant
- la Croix du Combattant Volontaire de la guerre 1939/1945
- la médaille de la Reconnaissance de la Nation avec barrette
Fondation B.M.24 Obenheim