• * 76e Anniversaire de Bir Hakeim - Extraits (1) de la conférence de Claude J. CORNUEL " Souvenir d'un vétéran de Bir Hakeim et d'El Alamein"

     

    * 76e Anniversaire de Bir Hakeim - Extraits (1) de la conférence de Claude J. Cornuel " Souvenir d'un vétéran de Bir Hakeim et d'El Alamein"

    Claude J. Cornuel

          Pour célébrer le 76e anniversaire de la Bataille de Bir Hakeim, nous avons choisi de vous présenter trois séquences extraites de la Conférence que donna à Alexandrie en 1981, Claude CORNUEL, qui fut l'un des vétérans de la 3e Batterie du 1er Régiment d'Artillerie à Bir Hakeim. 

    Les témoignages choisis, en accord avec sa fille, Marie Barat, focalisent sur les circonstances de l'engagement de son père à partir de Beyrouth (Mai-Juillet 1940), sur la vie quotidienne à Bir Hakeim avant le siège , et se termineront par la relation de sa Sortie de Bir Hakeim le 11 Juin 1942, lorsqu'il fut l'un des témoins directs de la mort du capitaine  René Gufflet, commandant de sa Batterie .

    Le texte intégral de la Conférence de Claude Cornuel sera publié (PDF)  le 11 Juin 2018. 

    Tous nos remerciements à Marie Barat.

     

    I. Les circonstances de l'engagement

     

    " Par quel chemin suis-je arrivé à Bir Hakim et surtout dans les Forces Françaises Libres ?

    J'habitais l'Egypte depuis 1933. J'y fus mobilisé en septembre 1939. Incorporé à Beyrouth après un court passage au tribunal militaire comme greffier et interprète d'allemand, je fus envoyé sur ma demande dans un peloton d’EOR, lequel en quatre mois devait nous envoyer à Saumur pour faire de nous des aspirants.

    A fin février 1940 j'étais Maréchal des logis, avec un Brevet de chef de section. Un dimanche, je décidai avec un camarade, lui aussi d'Alexandrie, le Maréchal des logis MEJEAN, de déserter le Mess et de nous payer un repas chez Lucullius, un restaurant situé face à la mer, non loin de Saint Georges.

    Nous y rencontrâmes un de mes camarades de Faculté André MOTTET, fondé de pouvoirs du Crédit Lyonnais au Caire. Mottet était secrétaire du Capitaine Gasser, l'officier d'ordonnance du Général Weygand, Commandant en chef du T. O. M. O. (Théatre d'Opération de la Méditerranée Orientale). Mottet, me confia qu'on recherchait un militaire de toute urgence, connaissant très bien l'allemand et l'anglais susceptible d'être employé à l'Etat-major. Quelques jours plus tard, après ma rencontre avec Mottet, je fus convoqué à l'Etat-major en vue d'un examen. Je passai l'examen sans aucune difficulté.

    C'est ainsi qu'après une enquête de moralité auprès de mon chef de corps, en l'occurrence le Commandant du 29ème train, je fus admis au 2ème Bureau, section du Chiffre du T. O. M. O. Dans l'ordre ascendant, mes chefs étaient (je leur donne le grade qu'ils possédaient à l'époque) :  Capitaine Breveté d'Etat-major BOISSEAU, chargé de la section ; Chef de bataillon LELAQUAI, Chef du 2ème Bureau ; Colonel de LARMINAT, Chef d'Etat-major ; Général d'Armée WEYGAND, Commandant le T. O. M. O.

    Dans le Bureau du Chiffre, " le saint des saints ", nous étions trois officiers et trois sous-officiers ; nous les sous-officiers, nous assumions la dactylographie des messages codés, traduits en clair, et unanimement nous étions tous capables de chiffrer à nouveau, à l'aide d'autres codes, les messages à diffuser aux échelons inférieurs sous contrôle des officiers. Nous couchions dans nos bureaux, sauf les jours où exceptionnellement nous n'étions pas de service. Notre nourriture nous était apportée par de plantons. Le régime de la Grande Trappe. A l'entrée du couloir menant à nos bureaux, une sentinelle baïonnette au canon veillait à notre tranquillité. Tous les télégrammes codés étaient incinérés après le déchiffrage. Mes deux camarades et moi-même avions prêté serment que les documents que nous aurions à connaître du fait de notre emploi devraient demeurer "Top secret". Nous n'avions pas à parler à l'extérieur de ce que nous voyions et entendions.

    A notre travail de chiffrement et de déchiffrement des messages envoyés et reçus, s'ajoutait un travail de traduction des messages interceptés en allemand, italien, anglais. Deux officiers et moi-même avions la responsabilité des messages en allemand. Les autres s'occupaient des écrits anglais et en italien. A une période antérieure de désœuvrement succède une période de suractivité, cela n'était pas mal. Les codes dont nous nous servions étaient immédiatement remis en place après usage dans un coffre-fort dont seul l'officier le plus élevé en grade avait la combinaison.

    D'abord à Beyrouth, rue de Phénicie, dans les locaux du T. O. M. O., ensuite après le départ du Général Weygand rappelé en France, dans les bureaux des écoles italiennes réquisitionnées après l'entrée en guerre de l'Italie ;  sous le commandement du Général MITTELHAUSER,   j'appartenais au 2ème Bureau.

    Le fait que j'étais à peu près le seul dans ce bureau à avoir une pratique courante de l'anglais me permit d'avoir souvent à faire avec la liaison britannique et de me trouver en contact avec le chef de mission : le Brigadier général SALISBURY-JONES. Je revis plus tard après la guerre Salisbury Jones à Paris à l'ambassade de Grande-Bretagne et nous évoquâmes notre relation à Beyrouth.

    C'est à cette époque que je fis également la connaissance de "Bob", le Capitaine de cavalerie Robert de KERSAUZON, notre officier de liaison à Jérusalem. Je retrouverai Bob plus tard à Vannes, comme Commandant-Général du Réseau.

     

    * * *

     

    Je m'éloigne de Bir Hakim, pensent mes auditeurs, mais si je n'avais pas été au 2ème Bureau à Beyrouth, dans les circonstances que j'évoque, je ne me serais peut-être jamais, jamais retrouvé dans les rangs de la France Libre.

    Je m'explique. Les renseignements qu'il m'était donné d'obtenir du fait du poste occupé me permirent très tôt de savoir où était ce que je considérais être mon devoir, dans les premières circonstances où mon pays allait être appelé à demander l'armistice. J'étais aux premières loges.

    A partir de mai 1940, j'appris par le détail ce qui se passait en France et ce que les journaux tendaient à nous cacher (je parle surtout des grands quotidiens d'information). Le déferlement des blindés allemands à travers la Belgique par la trouée de Sedan. Je connaissais particulièrement les lieux :  Dinant, la vallée de la Meuse,  Bouillon, la vallée de la Semoy, de nouveau Sedan sur la Meuse, point principal de la percée allemande vers l'ouest - c'est dans cette région que j'avais passé mes vacances d'été, quelques années auparavant avant de joindre mon poste en Egypte. Les chars de GUDERIAN conduits par ROMMEL s'avançaient à travers la France. Tandis que les Allemands pénétraient à l'intérieur du pays sans rencontrer de résistance organisée, les civils en débandade refluaient vers le Sud, au milieu d'une armée en retraite, dans certains cas même, abandonnée par ses chefs. Les uns gênant les autres.

    Du 15 au 28 mai 1940, capitulation des armées hollandaise et belge. Retraite des britanniques vers Dunkerque et leur ré-embarquement frisant la catastrophe.

    Pour vous donner une idée de l'étendue du désastre, permettez-moi d'emprunter à l'excellent ouvrage de J. R. Tournoux : Pétain de Gaulle,  le passage suivant :

    Du grand quartier général, tout au long des journées et des unités, un capitaine téléphone à de GAULLE, nommé général à titre temporaire et sous-secrétaire d'état à la guerre dans le gouvernement Paul Reynaud le 7 juin 1940.

    " Mon Général les allemands ont atteint tel et tel endroit ".

    " Ce n'est pas vrai".

    " Mais, mon Général, je vous informe, c'est la triste vérité "

    " Ce n'est pas vrai, vous n'avez pas le droit de dire cela ".

     

    * * *

     

    Pendant ce temps à Beyrouth, l'armée du Levant, dans son ensemble ne parvenait pas à se rendre compte de l'étendue de la catastrophe. Ceux à qui j'en parle me rappellent Gallieni, la défense de Paris, les taxis de la Marne...

    Malheureusement les Allemands sont entrés à Paris le 14 juin 1940.

    A Beyrouth, je touche un revolver modèle 92 au magasin d'armement. Il n'y a pas de munitions pour ce modèle. C'est une antique pétoire, digne tout au plus à figurer dans une panoplie d'armes anciennes.

    " Pourquoi pas un pistolet à armoiries " demandai-je à l'armurier ?

    " Il faut laisser croire que vous êtes armé ", me répondit-il.

    Le 10 juin, l'Italie avait déclaré la guerre à la France et à la Grande Bretagne. Les Libanais chez qui j'avais pris une chambre et chez qui j'entreposais les objets et les vêtements que je ne pouvais conserver dans mon bureau, me regardaient avec compassion. Ces braves gens avaient à mon encontre l'attitude que l'on a à l'égard d'une personne qui vient de perdre un être cher et sans rien dire me montraient qu'ils souffraient pour moi.  Chers Libanais, vous n'étiez plus jeunes quand j'habitais chez vous. Selon toute probabilité vous êtes morts maintenant, mais par votre attitude vous m'avez réconforté, je n’étais pas seul. Le Liban c'était un peu la France. Vous saviez par expérience ce qu'avait été une domination étrangère. De tout cœur je vous remercie de votre sympathie au sens propre du terme.

    Le 17 juin, Pétain demande l'armistice.

    Le 18 juin, c'est le fameux appel du Général de GAULLE.

    A vrai dire je n'avais pas écouté la radio, ce jour-là je n'étais pas de service et j'avais été me promener, seul, du côté de la grotte aux pigeons. Le jour était radieux. J'étais presque honteux de ma sécurité en face de l'insécurité des êtres qui m'étaient chers. J'étais sans nouvelles de ma famille restée en France depuis le début de mai.

    En rentrant à l'Etat-major, j'apprends par mes camarades que CHURCHILL a proposé l'union de la France avec la Grande Bretagne. Je leur dis " C'est un bobard !"  Non, pas du tout, disent-ils. C'est vrai. Cela n'a pas l'air de les enchanter. Je tombe sur le Capitaine BOISSEAU en sortant du Bureau, il me demande en me voyant surexcité : " Qu'avez-vous ? Quelle catastrophe allez-vous m'annoncer en plus de ce que nous savons déjà ?  ".

    Il me poussa dans son bureau, me fit asseoir. Malgré la différence de grade, je croyais pouvoir lui parler d'homme à homme. Je lui dis que je voulais continuer la guerre avec les Anglais, avec n'importe qui, ajoutai-je, contre les Allemands. Il en savait assez sur moi pour me demander si j'avais un passeport en règle. Je lui répondis " Oui ". Il ajouta : " Allez le plus rapidement possible au consulat d'Angleterre, sans vous faire voir de vos camarades et sans leur en parler ; je vais moi, voir nos amis anglais. Quand vous serez au consulat, demandez un visa pour la Palestine, je puis vous assurer que vous l'obtiendrez". " Bonne chance" reprit-il. " Ici nous ne nous reverrons plus, mais certainement plus tard ".

    Au consulat on me fit attendre, mais on me délivra mon visa assez facilement, sans que j'eusse à fournir d'amples détails.

    Je fus muté le lendemain au contrôle postal en attendant ma démobilisation. Le 25 juin l'armistice était signé.

    Je fus démobilisé le 4 juillet, vu que je venais d'un pays limitrophe et que ma classe 1927/2 était déjà ancienne. En uniforme que j'avais payé de mes propres deniers -  je n’avais pas assez d'argent pour me procurer des vêtements civils convenables, d'ailleurs qu'en aurais-je fait, ma détermination étant de rester combattant. Sans répit, ayant ôté mes écussons et mes insignes des grade, j'avais conservé une somme d'argent suffisante pour prendre un taxi avec des civils qui se rendaient à la frontière. J'arrivai à Ras el Nakoura, poste frontière de la Palestine. Le chef de poste consultant mes papiers me demanda mon adresse en Palestine. C'est la seule chose que j'avais oublié de préciser sur ma feuille de démobilisation. Je répondis que je désirais m'engager dans l'armée anglaise. Il téléphone à la garnison la plus proche, St Jean d'Acre pour expliquer le cas. Il fut répondu qu'on me conduise au poste, qu'un véhicule passerai me prendre.

    Avais-je bien fait ? A un certain moment, j'ai eu peur. Peur d'être refoulé.

    Enfin deux heures après, une voiture militaire avec un officier anglais et deux soldats de la M. P. (Police Militaire) affublés de leur fameuse casquette rouge vinrent me chercher. Je fus conduit auprès d'un major à qui j'expliquais mon cas et je citais comme référence le Brigadier-Général SALISBURY-JONES, qui avait quitté Beyrouth quelques jours auparavant, ses fonctions à l'Etat-major du T.O.M.O. ayant pris fin. Une demi-heure d'attente, le major téléphonait au Quartier Général de Jérusalem et tachait d'atteindre le Brigadier-Général ou quelqu'un de son entourage. Quelques minutes après il reparaissait dans l'antichambre où j’avais été " remisé ".  Il s'avança vers moi, me tendant mon passeport qu'il avait conservé et me dit en souriant : " You are welcome. I checked with the person you mentioned. It is OK. now ".

    Maréchal des logis chef, ce qui était à l'époque mon grade français inscrit sur mes papiers militaires, faisait illusion. Ma vareuse de toile kaki, faite sur mesure, ma culotte saumur, bien coupée, mes bottes bien cirées brillent comme des miroirs, ma cravate et ma chemise bien repassée, surtout mon anglais correct, le tout laissant supposer que j’étais un gentleman, m'avait dédouané. Chose étonnante je n'avais pas encore transpiré, ce qui peut paraître étonnant quand on pense à l'inconfort de la tenue réglementaire du militaire français en pays chaud et à la tenue sport et chemise manches retroussées de son équivalent britannique.

    Je fus envoyé à Haiffa dans la voiture de l'Etat-major de St Jean d'Acre, dans un camp de transit avec les Polonais, qui étaient passés sous obéissance anglaise. Je pris un repas au mess, débarrassé de mes soucis et fut conduit dans une assez vaste tente à deux lits de camp. Je devais rester seul sous cette tente.

    Le lendemain matin le R. T. O. me fit mander par un caporal et me remit un billet de chemin de fer pour Ismaïlia (Egypte), ainsi qu'un ordre de mission pour Moascar Camp où, parait-il, il y avait déjà des Français : un bataillon d'infanterie colonial venant de Chypre, un escadron de Spahis marocains venant d'Alep, le reste du bataillon français de Chypre venant de Tripoli.

     

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    Défilé du BIM au camp de Moascar

    C'est seulement en arrivant à Ismaïlia que j'appris ce qui venait de se passer à Mers el Kébir : une escadre française à l'ancre avait refusé l'alternative des Anglais : continuer la lutte contre l'Allemagne ou se laisser désarmer. Ayant refusé, elle avait été coulée par la flotte anglaise et 1 300 marins français avait trouvé la mort.

    " Le sort en étais jeté ". Malgré la peine que je ressentais de la perte éprouvée par notre marine et surtout de la mort de 1 300 de mes compatriotes dans ce désastre, je ne reculerai plus. L'Empire français subsistait, il ne tarderait pas à nous rejoindre. Je me trompais évidemment, comme l'avait dit de GAULLE, ce général dont j'avais lu deux livres. La France avait perdu une bataille mais il me semblait impossible qu'elle ait perdu la guerre. J'aurais conclu un pacte avec le diable pour me battre contre l'Allemagne nazie, malheureusement le diable c'était Hitler. J'avais à régler une affaire personnelle avec les Allemands : j'avais perdu mon père tombé le 3 septembre 1914, mon oncle le 6 juin 1915, tous deux morts au champ d'honneur.

     

    Je signai mon engagement aux F. F. L., contresigné par les autorités britanniques le 6 juillet 1940.

    De 1940 à 1942 je pris part à la campagne d'Erythrée avec le 1er B.I.M. (Bataillon d’Infanterie de Marine) qui combattit sous les drapeaux français et britannique, mais mon échelon maintenu en réserve fut retenu à Port-Soudan pour des raisons administratives : l'arrivée des bataillons noirs venus d'Afrique équatoriale avec le commandant de BOISSOUDY - plus tard général grièvement blessé à Damas - fit que je ne pus être mêlé à la bataille.

    De même, pendant la campagne de Syrie en 1941 avec les Australiens contre les Vichystes, je fus privé de me battre avec mes compatriotes attachés à Vichy. Il ne pouvait être question pour moi de me battre contre une armée à laquelle j'avais appartenu : mon rôle fut donc jusqu'à Avril 1942 d'aider à garder sous l'autorité française des territoires qui lui avaient été confiés par le Traité de Versailles.

    A moi s'offrait maintenant l'occasion de lutter contre des Allemands dont les conceptions aussi bien politiques que métaphysiques s'opposaient diamétralement aux miennes.

    Je ne voulais pas manquer cette opportunité. Comme me l'avait promis le Général KOENIG, j'allais bientôt être servi. (...)

     

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