Le 10 mai 1940, les Allemands envahissent la Belgique et la Hollande. Le 13 mai, les troupes françaises sont bousculées à Sedan. L’armée belge capitule le 18 mai. L’éventualité d’une cessation des combats flotte au sein du cabinet de Paul Reynaud, président du Conseil. Certains des membres de son cabinet prônent la poursuite de la guerre comme le sous-secrétaire d’État à la guerre, d’autres évoquent un armistice auquel va se rallier le maréchal Pétain.
Le 18 juin 1940, un général français au nom encore inconnu invite sur les ondes de la BBC la poursuite de la guerre aux côtés des Alliés : (…) Je convie tous les Français où qu’ils se trouvent, à s’unir à moi dans l’action, dans le sacrifice et dans l’espérance. Notre patrie est en péril de mort. Luttons tous pour la sauver !
L’appel du 18 juin a été très peu entendu en France. Il ne peut avoir été entendu à cette date à Tahiti, lointaine colonie du Pacifique. Quel discours a donc motivé les habitants des Établissements français d’Océanie à se ranger dans la France combattante ?
L’appel historique du 18 juin 1940 n’a fait l’objet d’aucun enregistrement. Il est publié le jour suivant dans le Time et le Daily express.
Le gouvernement qui est réfugié à Bordeaux confirme par télégramme du 25 juin 1940 au gouverneur des Établissements français d’Océanie la cessation des hostilités sur tous les fronts vis-vis de l’Allemagne et l’Italie. L’annonce de l’armistice tombe à Tahiti comme un couperet.
Le 22 juin, jour de l’armistice, un second appel est cette fois-ci enregistré à Londres.
Le 2 juillet 1940, le discours fait l’objet d’une version filmée et l’affiche de l’appel est publiée le 5 août 1940. Le texte de l’affiche est différent de celui du discours. L’affiche de l’appel n’est placardée que courant octobre 1940, dans les diverses officines publiques de la ville de Papeete, comme à l’entrée de l’ancienne Poste en bois de Papeete où les nouvelles brèves du front seront par la suite communément affichées.
Ce sont donc des enregistrements postérieurs à l’appel du 18 juin qui ont été entendu par les populations de l’Océanie française, et relégués a posteriori sur les ondes de radio Fidji et dans les émissions en langue française en provenance de San Francisco, d’Auckland et de Sydney. Il est impensable que les deux seules émissions quotidiennes de la station de TSF de Papeete assurant sous l’autorité du Gouverneur Chastenet de Gery l’information des populations tahitiennes aient diffusé le message d’un Général félon appelant à la désobéissance civile.
Le médecin-capitaine Marcel Henric en poste à Taravao témoigne : Charles Lehartel m’informe vers la fin du mois de juin qu’un général français dont il n’a pu saisir le nom a parlé à la BBC de Londres pour inviter les Français hors de métropole à se joindre à lui pour continuer la lutte aux côtés des Anglais. Ce n’est que quatre ou cinq jours plus tard qu’il me livre le nom de ce Général : Charles de Gaulle.
Le général de Gaulle reste un inconnu en atteste la réflexion de Mama Ani, une grand-mère tahitienne qui lors du plébiscite avait dit avec fermeté : (…) …vau e metua tane peretane to’u, e ma’iti vau a Te Gaulle (moi, j’ai un père anglais, je vote Te Gaulle).
A Tahiti, les témoignages sont donc unanimes. Peu d’entre eux ont entendu, les appels du général de Gaulle, d’autant qu’à Tahiti et ses districts comme dans les îles, les postes récepteurs de radio sont rares. Peter Roau Brothers dit Tamu n’a pas entendu l’appel du général de Gaulle. Son frère d’armes, Maxime Aubry âgé aujourd’hui de 102 ans le confirme : Il n’y avait pas beaucoup de postes de radio à Tahiti, j’ai entendu l’appel en ville.
Adram Gobraith, gérant du garage Tiare organise notamment à son domicile de la rue Tepano Jaussen, des écoutes publiques au moyen d’une radio à lampes de marque Philco. Ses auditeurs sont assis en début de soirée sur la chaussée.
A Moorea, Jeanne Lasserre pionnière du tourisme tahitien raconte que depuis l’annonce de la déclaration de guerre, une partie de la population de la vallée a pris l’habitude de venir tous les soirs vers dix-sept heures, s’asseoir sur leur véranda pour écouter les nouvelles diffusées en tahitien à la radio. La langue tahitienne est prépondérante pour les populations locales, le français est peu maitrisé. Emile de Curton confère dans son livre Tahiti 40 que cette rupture linguistique maintient un certain déséquilibre social.
C’est le bouche à oreille qui provoque l’effervescence des populations locales. Jean Tracqui: Je n’ai pas entendu l’appel du Général de Gaulle, mais la rumeur publique qu’un chef de guerre appelait à la poursuite de la lutte a été plus porteuse que l’appel lui-même à Tahiti.
Les Tahitiens étant friands de deus ex machina de cet ordre, une certaine ébullition agite rapidement Papeete et les îles.
Le commerçant Robert Hervé : En ville, il y avait des rassemblements, des conversations. L’appel avait suscité l’enthousiasme (…) L’entrée des Allemands dans Paris : quelle consternation. Nous écoutions la radio en permanence. C’était l’écrasement de la France. Ma volonté de partir déjà très forte depuis 1939 a été décuplée. J’ai entendu l’appel du 18 juin : c’est ça que j’attendais.
Des rassemblements s’organisent, des déclarations solennelles sont faites : les popaa ont perdu la guerre. Nous ne sommes pas battus, nous maoris, proclament les chefferies locales.
A Papenoo, Teriieroo a Teriierooiterai clame : Aujourd’hui, toute la terre tahitienne s’anime, les esprits de la vallée et les esprits de la mer sont à nos côtés pour la lutte et les dieux farouches qui hantent les sommets de l’Aorai et de l’Orohena sont descendus vers nous pour nous soutenir dans la grande bataille. Le vent qui se lève, c’est le grand vent de la guerre des maoris. Jusqu’à la victoire, il soufflera et chassera la brise parfumée de nos soirées heureuses. Jusqu’à la victoire, nous ne penserons plus qu’à la guerre.
Le mot d’ordre est désormais donné pour s’engager aux côtes de la France libre : Les purutia n’ont pas encore vaincu tous les territoires français si vastes que le soleil ne s’y couche jamais. Ils n’ont pas vaincu les maoris. Les ignorants et les lâches meurent et disparaissent de ce monde. Nous ne sommes pas des lâches, nous ne sommes pas des ignorants, nous ne sommes pas des captifs.
Portrait : Teriieroo a Teriierooiterai
Teriieroo est né le 31 octobre 1875 à Punaauia.
Il suit une instruction primaire chez les Frères de Ploërmel à Papeete puis en 1892, il entre comme facteur à l’Office des Postes avant de devenir instituteur dans le district de Papenoo. En 1900, le gouverneur des Établissements français d’Océanie Edouard Petit le nomme chef du district de Papenoo.
Teriieroo favorise le développement des productions agricoles de son district pour lui permettre en 1912 d’accéder à la Chambre d’Agriculture puis en 1937 à l’Assemblée des Délégations économiques et financières. Il est aussi conseiller privé suppléant.
Teriieroo est l’un des artisans du ralliement des Établissements français d’Océanie à la France libre, habile orateur il saura fortement influer sur les populations locales pour rallier la France libre.
Le 28 mai 1943, le général de Gaulle le fait Compagnon de la libération.
Teriieroo a Teriierooiterai se retire de la vie publique en 1946.
Teriieroo a Teriierooiterai décède le 20 août 1952 à Papenoo où il est inhumé.
Jean-Christophe SHIGETOMI